Cette proposition de loi fragilise une économie artistique et culturelle déjà fort ténue

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, effectivement, nous ne pouvons nier que les opérateurs français de ventes volontaires aux enchères publiques sont confrontés à d’importantes évolutions tenant notamment au développement de sites spécialisés sur internet.

Toutefois, après avoir fait ce constat, nous observons que les raisons qui ont motivé le dépôt de cette proposition de loi et vos explications sur les conséquences qu’aura son entrée en vigueur ne sont en fait que des leurres.

Dans un premier temps, examinons les raisons.

Vous dites exprimer, à travers cette proposition, votre souci de préserver « la compétitivité d’une activité importante pour le marché de l’art en France et, plus généralement, pour les consommateurs ».

Or la compétitivité que vous tenez tant à conserver n’est malheureusement pas celle des petites et moyennes structures nationales.

En effet, comme la précédente loi sur le sujet, qui remonte à 2000, ce texte est le résultat du lobbying de deux maisons mondialement célèbres qui, sous couvert de vouloir redynamiser le marché de l’art en France, tout en se référant à la directive européenne comme ligne intangible, sont avides de parfaire leur domination.

Bien qu’elles jouissent d’ores et déjà d’une situation de domination absolue du marché, elles pourront désormais être mandatées pour vendre de gré à gré et viendront concurrencer, directement sur leur terrain, galeristes et antiquaires.

Nous préférons analyser les besoins du marché français sous un autre angle et nous constatons qu’il existe une réelle exception française dans le secteur du marché de l’art, que nous devons préserver.

Dans ce domaine, ce ne sont pas deux grosses sociétés, mais 15 000 professionnels qui nous préoccupent. Ces professionnels soutiennent plus de 10 000 emplois et entretiennent des rapports avec 60 000 artisans.

Avec cette proposition, vous portez donc atteinte à notre patrimoine commun, un patrimoine que les professionnels locaux se sont efforcés de construire et de valoriser avec un savoir-faire spécifique, qui est un gage de qualité. Cette proposition de loi fragilise une économie artistique et culturelle déjà fort ténue.

Il est donc bien difficile de croire en cette réforme et en la sincérité de ses objectifs. Non seulement la proposition de loi visant à la mettre en œuvre n’astreint, de fait, à aucune étude d’impact, mais, de plus, les galeristes et les antiquaires, qui brassent pourtant l’essentiel du volume d’affaires du marché, n’ont pas été sérieusement auditionnés.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Comment ça ?

Mme Josiane Mathon-Poinat. Pas vraiment ! Monsieur Hyest, je vous en prie, ne faites pas comme M. Braye…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais je ne vous permets pas ! Vous mettez en cause le rapporteur !

Mme Josiane Mathon-Poinat. On ne peut pas dire qu’ils aient été entendus !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si j’avais entendu tout le monde, le texte aurait été supprimé…

Mme Josiane Mathon-Poinat. Là, j’aurais peut-être été d’accord ! (Sourires.)

Venons-en, dans un deuxième temps, aux conséquences de la proposition.

Ce texte, qui prétend vouloir relancer le marché de l’art en France en dérégulant le fonctionnement des mises aux enchères, provoquera l’effet inverse, en démantelant toutes les protections juridiques et en niant les spécificités culturelles de notre pays dans la foulée.

Il est proposé d’élargir l’autorisation des ventes de gré à gré. Cette mesure aurait pour effet de déstabiliser complètement le marché français par un risque de position de quasi-monopole des deux géants internationaux, qui réalisent déjà 27 % des ventes volontaires aux enchères publiques en France alors qu’elles ne représentent que 2 % du total des opérateurs implantés dans notre pays. (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx proteste.)

Étrange posture qui, au nom de la concurrence, crée ainsi une concentration du marché aux mains de quelques-uns !

Il est aussi proposé de passer d’un régime d’agrément à un régime déclaratif. Ainsi, les ventes aux enchères ne seront plus régulées a priori, elles seront libres et les établissements commerciaux désirant s’y livrer ne devront plus obtenir un agrément, mais simplement se signaler auprès d’une autorité de régulation, le Conseil des ventes.

Cette autorité sera composée de membres nommés par l’exécutif, ce qui permettra tous les conflits d’intérêts possibles. Quelques petites modifications ont néanmoins été apportées sur ce point.

Les intervenants sur ce marché sont nombreux et de statuts très divers, ce qui, loin d’être un handicap, constitue une richesse. Citons, à titre d’exemple, les marchands d’art, qui, à la différence des salles de ventes, ne sont pas que l’interface entre le vendeur et l’acheteur : ce sont des professionnels investis dans un champ particulier qu’ils connaissent bien.

Leur travail est un long processus consistant à repérer des artistes, même méconnus, à acheter leurs œuvres, à les valoriser, à informer les clients et à conseiller les collectionneurs. Au-delà de cette activité apparemment mercantile, les marchands d’art remplissent un rôle éducatif et culturel auprès du public.

Grâce à ces différents acteurs répartis sur tout le territoire, nous disposons d’un maillage territorial qui assure le maintien d’une économie locale dont nous avons besoin.

Avec la mainmise donnée aux grosses maisons de ventes à travers cette proposition, le caractère puissamment spéculatif du marché de l’art sera renforcé et ces petits acteurs n’auront plus qu’à mettre la clé sous la porte.

Telles sont peut-être les réelles conséquences de cette proposition de loi !

En résumé, aussi bien pour les raisons que pour les conséquences de ce texte, nous sommes bien loin d’être convaincus. Nous avons, au contraire, de bonnes raisons d’être inquiets de cette réforme.

Il s’agit d’une application purement doctrinale de la directive européenne Services, qui dérégulera un marché spécifique au profit d’une poignée de grosses sociétés et qui niera nos spécificités culturelles en important des techniques de vente libérales, qui sont la cause de la fermeture de 30 % des galeristes en Angleterre.

Mes chers collègues, si effectivement le marché de l’art est confronté à des évolutions et, s’il est vrai que notre pays n’occupe désormais que la quatrième place du marché mondial des ventes aux enchères, il est aussi vrai que le marché français se tient bien et que, depuis 2002, le montant des ventes volontaires a augmenté de presque 30 %. D’ailleurs, je le rappelle, c’est grâce à quelques marchands français que Paris est redevenue la capitale du dessin.

Pour toutes ces raisons, nous réitérerons notre rejet de ce texte.

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