Une proposition qui n’est pas à la hauteur du défi et des exigences de notre temps

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, très chère Marianne, notre assemblée se pose aujourd’hui la question de savoir s’il est opportun d’instaurer en France une « journée nationale de la laïcité ». Mon groupe et moi-même frissonnons devant tant d’audace… Et l’on imagine l’émotion que cela pourrait faire ressurgir sous les linceuls de Jean Jaurès, Léon Gambetta et Victor Hugo !

Une « journée nationale de la laïcité », proposez-vous, quand 365 jours par an ne nous suffisent pas à regagner le terrain perdu depuis la séparation, au demeurant incomplète, des églises et de l’État !

Les livres d’histoire décrivent un Sénat autrement plus combatif sur le sujet ! Sur ces travées, combien d’illustres tribuns se sont fait entendre avec force pour défendre la primauté des pouvoirs civils sur l’ordre du religieux ? Combien se sont battus pour faire reconnaître le droit de croire ou de ne pas croire, pour abolir toute hiérarchie entre les croyances, comme entre croyance et non-croyance, sous la protection vigilante d’un État neutre et désintéressé ?

C’est un contresens de déclarer la laïcité ennemie de la religion. Elle est, au contraire, le fruit d’un combat pour la liberté de conscience ; pour la liberté, tout simplement.

Là, la guerre civile en vue d’instaurer un pouvoir religieux. Ici, la gangrène du communautarisme et, trop souvent, le citoyen français ramené à un statut de franco-musulman ou de franco-juif... Cette pente réactionnaire nous rappelle que, comme pour la démocratie, nos combats pour la laïcité sont universels et permanents. Au moment où la laïcité est menacée, nous ne devons pas faiblir !

Aussi, je critique votre idée de résolution non parce qu’elle est mauvaise, mais parce qu’elle n’est pas à la hauteur du défi et des exigences de notre temps.

« Liberté, égalité, fraternité » et laïcité ne sont pas des croyances ; ce sont les éléments de l’air que nous respirons tous les jours. Que l’un d’eux vienne à manquer et la société tout entière devient irrespirable.

Aurait-on l’idée d’instaurer une journée pour la liberté, une autre pour l’égalité, une autre encore pour la fraternité ? C’est chaque jour que nous devons nous lever pour faire vivre ces valeurs, et chaque jour plus vigoureusement ; au Parlement comme ailleurs, au Parlement plus qu’ailleurs. Chez nous, on ne dénonce pas les privilèges seulement le 4 août !

La laïcité est un état d’esprit qui se vit dans tout l’espace de notre République.

En France, l’Église et l’État sont presque séparés. Ce « presque » signifie que nous n’avons pas fini le travail entrepris par nos prédécesseurs.

Vous le savez, notre groupe et le Parti de gauche sont attachés à l’application pleine et entière de la règle de la séparation des églises et de l’État contenue dans la loi de 1905. Pour nous, les privilèges publics dont bénéficient encore certains cultes en Alsace-Moselle ne se justifient plus. Du temps a passé en Guyane depuis le décret-loi de Charles X ! Les délais nécessaires à une transition culturelle non violente vers un régime authentiquement républicain me paraissent donc avoir été amplement respectés.

Je me permets de pointer que la départementalisation de Mayotte a mis fin aux droits coutumiers : preuve que l’on peut étendre les lois de la République à l’ensemble du territoire.

La règle est simple à énoncer et respectueuse des orientations religieuses et philosophiques de chacun : les cultes sont libres et égaux en droit, mais ils ne constituent pas un service public. Ce sont les fidèles, et non pas l’impôt, qui financent leurs lieux de culte, les salaires du prêtre et de l’évêque ! Notre combat est celui-là.

« En un mot, je veux, je le répète, ce que voulaient nos pères, l’Église chez elle et l’État chez lui. », proclamait Victor Hugo, le catholique, debout au premier rang de notre hémicycle, comme le rappelait M. Domeizel. Quelles raisons impérieuses auraient les Républicains d’aujourd’hui d’y renoncer ?

À la puissance publique de s’occuper de l’intérêt général, aux citoyens de financer ce qu’ils croient juste pour eux et leurs intérêts particuliers, en fonction de leurs convictions spirituelles et religieuses.

Déshabiller Marianne pour habiller Marie, c’est chercher noise à la communauté des citoyens, qui est une et indivisible.

La liberté d’adhérer à une église ne donne aucun droit particulier, ne dispense pas de l’application des lois et relève de la sphère privée.

La France, officiellement laïque, permet pourtant à son président de porter le titre de chanoine d’honneur de la basilique Saint-Jean de Latran. C’est symbolique, certes, mais la République, surtout lorsqu’elle est menacée dans ses fondements, de l’intérieur comme de l’extérieur, aurait besoin d’exposer d’autres symboles au regard de ses citoyens et à la face du monde.

Est-ce en tant que Président ou en tant que chanoine que Nicolas Sarkozy demande que les étudiants israélites puissent passer leurs examens la nuit, en raison de la Pâque juive ?

Assez de ce mélange des genres !

Nous l’avons dit en débattant des horaires de piscine, des consultations à l’hôpital ou du port du voile intégral : en République, il n’y a pas de place pour des privilèges, des passe-droits attachés à des appartenances ou à des pratiques religieuses.

En France, l’école privée a droit de cité. Elle ne doit plus avoir le droit de détrousser l’école publique. Chaque année, 10 milliards d’euros sont volés à l’école publique, offerts à l’enseignement privé, confessionnel à 90 %. Cela a assez duré ! Les vases communicants ont été organisés et, je le déplore, ils ont été votés dans cette assemblée.

La République ne doit plus céder aux exigences des églises, voilà tout ! Cette soumission a privé cinq cents de nos villages d’une école publique, a fait naître plus encore d’écoles confessionnelles payées par les communes et de nombreuses crèches confessionnelles. En poursuivant dans cette voie, M. Carle doit le savoir, nous irons sans aucun doute au-devant de graves déconvenues.

Pour toutes ces raisons, j’estime que promouvoir la laïcité, c’est faire plus et mieux que de l’honorer une fois l’an. Défendre l’idée de laïcité, c’est l’appliquer et l’appliquer sans trêve !

En conséquence, je pense que, sans rejeter la proposition minimaliste qui nous est soumise pour solde de tout compte, il conviendrait plutôt d’aborder cette question au fond, par exemple en débattant de bonne foi sur la proposition de loi du Parti de gauche, proposition dont M. François Autain et moi-même avons eu l’honneur d’être les premiers signataires.

« Trop souvent les hommes ont tendance à privilégier ce qui les divise. Avec la laïcité, il faut apprendre à vivre avec ses différences dans l’horizon de l’universel... ». Je vous invite à vous approprier cette recommandation du philosophe Henri Peña-Ruiz.

Puisque vous semblez tenir à une commémoration, je vous propose de célébrer l’école laïque, chaque 28 avril par exemple, en reprenant l’hymne qui fut chanté dans toutes les écoles lors de son cinquantenaire :

« Honneur et gloire à l’École laïque,

« Où nous avons appris à penser librement,

« À défendre, à chérir la grande République

« Que nos pères jadis ont faite en combattant. »

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