Votre politique fiscale mérite un carton rouge

Votre politique fiscale mérite un carton rouge - ISF et bouclier fiscal (Pixabay)

Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues – je vais parler à ceux présents de ce côté-ci de l’hémicycle parce que quand on voit l’affluence de l’autre côté, cela promet ! (Rires sur les travées du groupe CRC-SPG.) –, il y a six jours, la majorité présidentielle du Sénat, après l’Assemblée nationale, renonçait à la maîtrise de la politique budgétaire de la France, dimension essentielle de la souveraineté populaire que le suffrage universel lui a confiée.

Par ce vote, vous avez voulu satisfaire les agences de notation, qui ne connaissent que la politique à la corbeille, avec comme fil rouge les termes « économies ! économies ! économies ! », accompagnés d’un recours, que je trouve cynique, au mot « vertu ». J’ai donc examiné le projet que vous nous soumettez aujourd’hui avec cet indicateur.

Or, six jours après, on s’aperçoit que vous vous désavouez, faisant mentir la formule de Jean-François Copé, « nous sommes le parti des droits et des devoirs », en appliquant la vieille servilité à l’argent, en réduisant l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, de 1,8 milliard d’euros. Le chiffre est énorme, mais son analyse vaut le détour !

Vous supprimez l’ISF pour les plus « modestes » de ses contribuables, ceux qui ont moins de 1,3 million d’euros de patrimoine, qui économiseront ainsi 1 097 euros par an.

Mais l’ISF n’est pas seulement ébréché, il est modifié dans ses pourcentages. Avant, les très riches payaient 2,5 % et les moins riches 0,5 %. Désormais, comme on vient de l’évoquer, les moins riches ne paieront rien du tout, mais les plus riches verront leur pourcentage baisser puisque celui-ci ne pourra excéder 1,5 %.

C’est ainsi qu’un contribuable disposant d’un patrimoine de 40 millions d’euros aura une réduction de 449 050 euros, soit 8 654 euros par semaine, alors que le Gouvernement se prépare à rétablir, par semaine, une « corvée » de cinq heures de travail gratuit pour des allocataires du revenu de solidarité active, le RSA.

M. Guy Fischer. Scandaleux !

M. Jack Ralite. Voilà ce qu’il en est des bénéficiaires de la vertu de Bercy, qui, de plus, gardent encore le bouclier fiscal, lequel ne sera supprimé totalement qu’en 2013.

J’ajoute que la hausse du SMIC au 1er juillet est prévue à 2 %, soit 27,30 euros bruts par mois pour un salarié à taux plein.

C’est un tri dégradant de la personne humaine : aux riches magnifiés, 8 654 euros par semaine ; aux pauvres méprisés, cinq heures de boulot sans le sou ! Vous portez la détresse des pauvres à son comble. Vous portez l’allégresse des riches à son épanouissement. Ce que vous avez voté, c’est une injure sociale ! Une sociologue, Hélène Thomas, dirait que vous créez « une frontière entre des citoyens à part entière et des citoyens à part, entre des sujets de droits pléniers et des hommes sans autre qualité que leur appartenance au genre humain ».

L’heure est à une nouvelle sollicitude sociale, et l’on commencerait à discuter comme dans un débat ordinaire imposé par ceux qui menacent de partir à l’étranger et que vous choyez toujours... J’ai entendu une phrase vulgaire : « Si vous ne diminuez pas l’ISF, on se tire ! ». J’appelle cela de la délinquance fiscale. J’appelle cela une violence sociale.

M. Guy Fischer. Tout à fait !

M. Jack Ralite. Le mandat parlementaire, c’est un « pouvoir d’agir » comme représentant du peuple souverain qui nous interdit toute légèreté, toute superficialité. Or vous illustrez dans vos votes cette pensée profonde et grave du philosophe Pierre Legendre : « La paix gestionnaire est une guerre ». J’ajouterai que c’est une tyrannie rentabilisatrice, une cannibalisation des relations humaines.

Vous devriez être très inquiets de votre politique de clivages. Vous devriez vous inquiéter d’une autre manière de la dette dont vous faites un épouvantail en vous délestant de la politique budgétaire. Pourtant cet espace de redressement est possible, puisque la dette peut être vertueuse si elle sert à l’investissement productif et à l’emploi.

Vous vous êtes encagés dans une fuite en avant suicidaire. Voyez le malheureux peuple grec, notre père fondateur en démocratie ! Dans l’ouvrage qui reçut récemment le Prix du Sénat du Livre d’histoire, j’ai noté que Périclès, dans certaines circonstances, parlait en voulant laisser un dard dans l’oreille de l’auditeur afin d’« engourdir le débat ». Nous, nous parlons pour créer un espace dans l’esprit et le cœur de l’auditeur afin d’énerver le débat. Notre objectif, c’est la dignité, ce quelque chose dû à l’être humain du fait qu’il est humain. Craignez les réactions du peuple : « La colère contre l’injustice rend la voix rauque », dit le poète.

Mais nous sommes copartageants d’un monde commun et nous savons, dit Jacques Rancière, que « le chemin étroit de l’émancipation passe entre l’acquiescement aux mondes séparés et l’illusion du consensus ». Vous voulez l’un ou l’autre. Nous ne voulons ni l’un ni l’autre. Nous voulons répondre au désir d’autre chose pour l’avenir, les yeux tout proches de là où chaque jour nous posons les pieds. Il y a besoin, pour cela, d’un rapport politique, adulte, franc, en plein pluralisme, en pleine tension vibrante, en pleine pensée et action pour la vie, tout simplement. Une gréviste de décembre 1995 remarquait : « Tant que l’argent dominera le monde, nous en manquerons ».

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Jack Ralite. Je termine, monsieur le président.

Ce texte élyséen ne sera pas banalisé. Nous ne céderons pas d’un pouce devant votre oppression qui ose s’appeler « délicate » et vos normes contraignantes, sauf pour les riches. Pour montrer notre opposition, nous émettrons un autre vote négatif en fin de parcours. Mais ce que nous vous demandons, en conformité avec les objectifs de l’article 36 sur lequel se fonde mon rappel au règlement, c’est de ne pas faire discuter aujourd’hui le contraire de ce que vous avez voté la semaine dernière. Votre texte, si dépourvu de cette vertu à laquelle vous vous référez, mérite un carton rouge ! (Les sénateurs du groupe CRC-SPG brandissent des cartons rouges portant la mention « ISF et Bouclier Fiscal : CARTON ROUGE ! ».)

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