L’alternance ne saurait constituer le remède aux difficultés d’insertion des jeunes sur le marché du travail

L'alternance ne saurait constituer le remède aux difficultés d'insertion des jeunes sur le marché du travail - Développement de l'alternance

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous abordons l’examen aujourd’hui ne pèche pas par ses intentions. Nous partageons le constat de l’insuffisante sécurité des parcours professionnels, livrés à la précarité, et de la nécessité d’œuvrer pour l’emploi des jeunes. Toutefois, nous pensons que la majorité porte une lourde responsabilité en la matière et que la proposition de loi ne contribuera pas à enrayer ce phénomène.

M. Ronan Kerdraon. Tout à fait !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Concernant les jeunes, le constat est accablant : le chômage touche un quart des moins de vingt-cinq ans, 21 % d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté et le recours aux emplois précaires explose dans cette classe d’âge.

M. Ronan Kerdraon. Eh oui !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Que l’on se rassure, le Gouvernement a trouvé la solution puisque, à grand renfort de communication, il mise sur l’apprentissage !

Si l’apprentissage peut être une voie à explorer dans certains cas, il ne saurait constituer le remède aux difficultés d’insertion des jeunes sur le marché du travail ni à l’orientation d’élèves mis au ban du système scolaire. En effet, plus d’un tiers des apprentis ne trouvent pas d’emploi à l’issue de leur formation ; quant aux ruptures de contrat, elles concernent environ un quart des apprentis chaque année, pour atteindre, dans certaines formations comme celles du secteur de l’hôtellerie ou de la restauration, des taux de 37 % !

Sur la forme, la proposition de loi ne se donne pas d’autre objectif que d’exaucer les vœux présidentiels, ce qui constitue une regrettable distorsion du fonctionnement de nos institutions et un dévoiement des droits des parlementaires.

Se parant d’objectifs ambitieux, la proposition de loi manque pourtant son but : elle alterne entre dispositions insignifiantes et innovations dangereuses, aboutissant à la précarisation des apprentis comme des salariés.

Concernant l’alternance, un certain nombre de dispositions ont été transférées dans le projet de loi de finances rectificative pour 2011. Elles ont cependant un lien avec cette proposition de loi, et j’en dirai donc un mot.

Bien que ces dispositions soient plus favorables aux entreprises qu’aux apprentis, ces dernières n’ont pourtant eu de cesse d’en atténuer la portée. Ainsi, l’exonération de charges d’un an pour toute nouvelle embauche en alternance dans les entreprises de moins de 250 salariés et le nouveau seuil de 4 % d’apprentis dans les entreprises de plus de 250 salariés, au lieu de 3 % antérieurement, accompagné d’un système de bonus-malus gradué, n’ont pas semblé convenir au patronat.

Alors que ces dispositions sont censées rendre l’apprentissage attractif, non seulement rien n’est fait pour revaloriser les salaires dérisoires des apprentis, qui se situent entre 25 % et 78 % du SMIC, mais des pressions ont également été exercées pour amoindrir les malus des entreprises. C’est ainsi qu’a germé l’idée d’une exonération de contribution supplémentaire à l’apprentissage pour les entreprises s’engageant à augmenter de 10 % leur nombre d’apprentis d’ici à l’an prochain.

En outre, l’instauration d’un plafond pour la part de la taxe affectée aux formations professionnelles, le « barème », favorise la part reversée directement à l’apprentissage, alors que la loi lui réserve déjà 52 % du produit de cette taxe.

Cette limitation ne serait pas si problématique si la part « barème », ainsi fortement diminuée, ne permettait pas précisément de financer l’enseignement professionnel que je veux défendre ici. Oublié, négligé, injustement méprisé, il mérite pourtant toute notre attention. On prétend le revaloriser, alors qu’il va voir ses financements amoindris !

La proposition de loi crée par ailleurs la possibilité de signer un contrat d’apprentissage saisonnier avec deux employeurs différents, ce qui favorisera les entreprises, ravies de pouvoir capter cette main-d’œuvre à bas coût dans un secteur par définition précaire. Les difficultés pour les familles et les apprentis en seront décuplées, ces derniers se trouvant contraints de se diviser entre deux postes, deux formations, deux logements, etc. De plus, il n’est pas certain que la complémentarité de ces contrats soit assurée pour l’obtention du ou des diplômes préparés, tant les emplois dits « saisonniers » sont divers.

La proposition de loi prévoit également la possibilité d’effectuer un contrat d’apprentissage dans des entreprises d’intérim. Là encore, l’intérêt est évident pour l’entreprise, mais beaucoup moins pour l’apprenti, qui doit être engagé dans une mission longue et formatrice de un à trois ans, ce qui est n’est pas le cas en intérim.

Quant à la possibilité de renouveler une fois le contrat de professionnalisation, qui peut déjà durer douze mois et, dans certains cas, vingt-quatre mois, elle est inadmissible ! Cela revient à créer des contrats précaires pouvant durer jusqu’à quarante-huit mois, ce qui est même en dehors du cadre légal des contrats à durée déterminée.

Enfin, au mépris de l’âge de l’obligation scolaire fixé à seize ans, des sections « apprentissage » seraient ouvertes en troisième et en quatrième ; dans le même temps, l’âge du contrat d’apprentissage serait encore abaissé pour atteindre quatorze ans.

Concernant la réglementation des stages, la proposition de loi est malheureusement insuffisante. Elle ne dit en effet mot de la revalorisation de la gratification, ni de l’ouverture des droits à cotisation pour la retraite et le chômage.

Le contrat de sécurisation professionnelle, issu de la fusion entre les conventions de reclassement personnalisé et les contrats de transition professionnelle, ne tient pas compte du bilan opéré par la Cour des comptes sur les anciens dispositifs et des insuffisances qu’elle a pointées, en particulier le nombre limité de bénéficiaires et le manque d’efficacité dans le retour à l’emploi. Ainsi, loin de la sécurité sociale professionnelle que les organisations syndicales appellent de leurs vœux, cette disposition est un aménagement du licenciement économique. S’il est légitime de chercher à limiter les effets de ces licenciements, ce n’est évidemment pas suffisant. Il faut aller au-delà, s’engager dans une démarche tournée vers le maintien de l’emploi et pas seulement vers la reconversion des salariés une fois le licenciement intervenu.

Quant aux dispositions sur les groupements d’employeurs, il s’agit là d’une dérégulation totale.

M. Ronan Kerdraon. Eh oui !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Elles reposent sur l’idée selon laquelle les salariés devraient servir de variable d’ajustement aux entreprises, en permettant la mise à disposition de salariés au profit des employeurs du groupement.

En autorisant l’adhésion à deux groupements, la proposition de loi étend la possibilité à toutes les entreprises, y compris les plus grosses, ainsi qu’aux collectivités.

Les salariés seront placés dans une situation de grande précarité, puisque l’obligation d’embauche en contrat à durée indéterminée est supprimée et que, contrairement aux missions d’intérim, le salarié mis à disposition ne perçoit pas de prime de précarité.

La possibilité d’étendre le principe du groupement aux collectivités sert, elle, le projet de casse du statut de la fonction publique et permet la généralisation de l’externalisation, jusqu’alors très limitée.

Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, nous voterons contre le texte.

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