Changer de politique en changeant de budget reste notre but

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous pouvons, depuis hier, nous poser des questions sur le contenu de la discussion que nous allons entamer.

En effet, depuis quelque temps, tout portait à croire que le cadrage économique de ce projet de loi de finances pour 2012 était passablement obsolète et ne correspondait plus tout à fait à la réalité de la situation du pays, qu’il s’agisse de la croissance attendue, du niveau et de la qualité de l’emploi ou de la situation de nos échanges extérieurs.

Il est même probable que le service de la dette publique connaisse en 2012 une petite poussée de fièvre puisque la position de la France est, entendons-nous dire, en voie de dégradation relative ces temps derniers et que le fameux triple A accordé à notre dette publique n’en a apparemment plus pour très longtemps.

Au demeurant, ce triple A ne nous rapporte finalement pas grand-chose puisque les taux longs imposés à la France sont d’ores et déjà largement supérieurs à ceux qui sont consentis à l’Allemagne, et même supérieurs à ceux qui grèvent la dette publique des États-Unis. Nous en sommes à 3,22 % pour les obligations à dix ans quand l’Allemagne, de son côté, obtient 1,77 % !

Et voilà que le projet de loi de finances rectificative pour 2011, le quatrième du nom, qui vient d’être présenté au conseil des ministres, solde l’affaire !
Nous sommes, si tout est normal, amenés à débattre d’un projet de loi de finances pour 2012 qui n’a pas de sens et s’approche beaucoup plus de l’hypothèse d’école que de la réalité. Comment, d’ailleurs, parler de véritable débat quand nos ministres nous expliquent, à longueur d’intervention, qu’il n’y a pas d’alternative ? Margaret Thatcher, Premier ministre de la Grande-Bretagne de 1979 à 1990, portait déjà, en son temps, le surnom de TINA, acronyme de sa formule favorite : there is no alternative. Nous ne pensons pas, quant à nous, qu’il n’y ait pas d’alternative ; nous pensons, au contraire, qu’il y a encore d’autres choix à faire !

Voici maintenant que nous allons débattre pour la forme, mais cela nous permettra finalement de mieux appréhender les orientations profondes de chaque force politique engagée dans le débat démocratique instauré en vue de l’élection présidentielle d’avril-mai prochains et des législatives qui suivront. Oublions donc notre amertume de discuter un texte « mort né », mes chers collègues, pour voir si cette discussion générale peut, à tout le moins, éclairer nos concitoyens sur les enjeux de la politique budgétaire et économique, au moment où nous nous apprêtons à solliciter leur opinion.

Depuis déjà quelque temps, les membres du Gouvernement nous expliquent que la situation de crise que connaît notre pays est telle que nombre des réformes mises en œuvre depuis 2007 n’ont pas pu pleinement faire jouer leurs effets pour le bien-être général. Il est vrai qu’un catalogue de quelques-unes des mesures prises depuis lors montre assez vite les limites de l’exercice.

Je commencerai par la défiscalisation des heures supplémentaires.

Cette mesure, qui devait traduire dans les faits la logique du « travailler plus pour gagner plus », a été épinglée par la Cour des comptes, laquelle a considéré, à juste titre, qu’elle coûtait plus cher qu’elle ne rapportait à l’économie du pays.

La situation du chômage dans notre pays, indépendamment de la crise, celle des comptes sociaux, grevés par les exonérations associées, la stagnation même de la productivité apparente du travail sont autant de preuves que l’orientation fixée n’était pas la bonne du point de vue du plus grand nombre.

Pour les entreprises, en revanche, il semble bien que l’affaire ait été relativement fructueuse, puisqu’elles ont vu se réduire leur contribution au financement de la protection sociale et que la rémunération des heures supplémentaires leur a permis de faire l’économie, de temps à autre, d’une hausse normale des salaires plus importante.

Pour l’État, notons, au chapitre des menues recettes, une petite baisse du poids de la prime pour l’emploi, ce qui était l’objectif réel de la manœuvre.

Qu’en est-il de la réforme de l’imposition des patrimoines ? Je passe rapidement sur l’exonération de droits du conjoint survivant qui, dans bien des familles relativement modestes, a permis de gérer au mieux le traumatisme de la succession.

Pour en revenir à l’essentiel, je dirai qu’au nom d’une solidarité nationale inversée le Gouvernement a largement aidé les familles les plus aisées et les patrimoines les plus substantiels à faire de l’optimisation fiscale grâce au jeu subtil des donations-partages et à ses effets sur le montant des droits de succession à venir comme des droits appelés au titre de l’ISF chaque année.

Un ISF qui, pour des raisons purement électoralistes, a été « réformé » de telle sorte que les 300 000 plus modestes anciens redevables de cet impôt – qui disposent tout de même d’un patrimoine dont la valeur est comprise entre 790 000 euros et 1,3 million d’euros – ne paient désormais plus rien, tandis que ceux qui restent imposés ont bénéficié d’un très bel allégement de leur facture !

Même si vous êtes en partie revenus, au mois de septembre, un peu contraints et forcés, sur une partie des allégements de la fiscalité du patrimoine que vous aviez mis en œuvre, vous vous êtes évidemment gardés de revenir sur l’abaissement de l’ISF et vous avez préféré faire payer un peu plus d’impôt sur les plus-values aux véritables classes moyennes !

La mission assignée au Président Sarkozy d’alléger la fiscalité des plus hauts patrimoines a été largement respectée, et ce résultat peut être mis à l’actif de la législature…

Parmi les autres réformes mises en œuvre, celle de la fiscalité locale appelle, bien sûr, un regard particulier.

Après de longues années de propagande acharnée, après force colloques, articles de presse, interventions télévisées ou radiodiffusées, le patronat français a enfin trouvé le Gouvernement susceptible de mettre en œuvre la courageuse suppression de la taxe professionnelle, principale recette fiscale des collectivités locales. Si cet impôt méritait sans doute d’être réformé, fallait-il pour autant le supprimer et faire ainsi droit à une revendication fort ancienne du patronat puisqu’il la réitérait depuis 1976, le CNPF ayant passé le relais au MEDEF ?

En 2010, la taxe professionnelle a donc disparu, pour devenir cet impôt croupion que constitue la contribution économique territoriale, dont une part importante échappe d’ailleurs à toute décision locale puisqu’elle est fixée et répartie au niveau national au travers de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.

L’affaire n’a pas été sans coûter quelques ressources puisque la suppression de la taxe professionnelle a mobilisé 11 milliards d’euros bruts pour être compensée.

Les plans sociaux ont-ils cessé ? Le nombre des chômeurs a-t-il diminué ? L’activité économique est-elle repartie de plus belle ? S’il fallait que nous ayons à prouver que la suppression de la TP n’a pas changé grand-chose à la situation économique de ce pays, ce serait bien par la réponse négative que nous pouvons apporter à ces trois questions !

À une époque où l’argent public doit être judicieusement utilisé, ainsi qu’on ne cesse de nous le répéter, le moins que l’on puisse dire est que vous n’avez pas été regardants sur la dépense, non plus que sur le résultat !

Le contribuable local, qui voit, lui, sa taxe d’enlèvement des ordures ménagères augmenter tous les ans, peut être amené à ne pas apprécier ce gaspillage !

Nous nous étonnerons toujours, mes chers collègues, que le débat sur la fiscalité locale n’ait jamais, depuis fort longtemps, concerné que le volet entreprises et que la révision des valeurs locatives soit toujours en panne.

Une autre réforme ? Je me souviens qu’en 2008, dans le cadre de la loi de modernisation de l’économie, le Gouvernement avait fait passer à la fois la création du statut d’auto-entrepreneur et l’ouverture à la concurrence de la distribution du livret A.

Dans le premier cas, je ne sais pas si le bilan est très probant. Un grand nombre d’entreprises se trouvent sous le régime de l’auto-entrepreneur, mais leur activité demeure assez réduite puisqu’elle permet de réaliser un chiffre d’affaires se situant aux alentours d’un de 600 à 700 euros par mois, ce qui ne peut évidemment suffire à assurer un revenu suffisant aux intéressés.

La seule chose dont on soit sûr, c’est que l’auto- entreprenariat a permis à l’État, comme à la sécurité sociale, de récupérer quelques recettes de poche, parce que le travail au noir a pu ainsi reculer. Il a donné en outre à quelques entreprises le moyen de gérer en douceur des plans sociaux, en transformant leurs salariés en pseudo-entrepreneurs indépendants.

Pour le livret A, le résultat n’est vraiment guère convaincant non plus. C’est que le livret A a fait, comme le livret de développement durable, l’objet d’une centralisation à géométrie variable, qui s’est surtout traduite par la mise à disposition des banques privées de plusieurs dizaines de milliards d’euros d’épargne populaire, sans obligation d’affectation.

Ni la construction de logements sociaux, indispensable pour répondre aux besoins collectifs – et il convient de demander au passage ce qu’est devenu le droit au logement opposable, dans l’état de tension que nous connaissons sur le marché immobilier des grandes agglomérations – ni le crédit aux PME n’ont connu dans la dernière période la moindre embellie, bien au contraire !

Il doit y avoir quelque chose qui n’a pas fonctionné – ou qui a trop bien fonctionné – dans ces différentes réformes ! On peut l’exprimer dans la formule suivante : l’argent a bel et bien été mis sous la coupe des marchés financiers, mais son utilisation n’a pas été aussi positive qu’on aurait pu le souhaiter.

Si le Gouvernement a respecté la feuille de route qui lui avait été fixée – alléger la fiscalité du patrimoine, liquider la taxe professionnelle, réduire encore le coût du travail –, tout cela s’est déroulé alors même que les comptes publics connaissaient des difficultés majeures et sans qu’aucun des maux dont souffre notre société – chômage, pauvreté, emploi des jeunes – ne trouve remède.

Changer de politique en changeant de budget est donc plus que jamais d’actualité et procède de la même nécessité.

Notre groupe ne votera évidemment pas ce projet de loi de finances pour 2012, adopté par la majorité à l’Assemblée nationale, car il est une nouvelle production des politiques que nous combattons bec et ongles puis 2007 !

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