Un décalage important entre l’affichage budgétaire et la réalité humaine et territoriale

Rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour le soutien des forces.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne sais pas si le 9 novembre 2011 fera date dans l’histoire sociale ou parlementaire, mais il me semble que c’est la première fois, à une petite exception près, que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a entendu les représentants des syndicats des personnels civils de la défense à l’occasion de l’examen d’un projet de loi de finances.

Il est très important que cette expérience soit renouvelée plus souvent car les syndicats nous permettent d’entrevoir l’envers du décor de la réforme de la défense ; leur approche réaliste nous permet de lire avec un œil plus critique les six cent huit pages du « bleu » budgétaire consacré à la mission « Défense ».

Je vais vous exposer, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quatre principales raisons, tirées de l’analyse du programme 212 « Soutien de la politique de défense », pour lesquelles j’ai exprimé devant la commission des affaires étrangères l’opposition de mon groupe à l’adoption des crédits de la mission « Défense ».

Sur le plan financier, ma principale inquiétude porte sur le projet Balard. Je me demande si la fascination excessive pour les grands projets n’a pas conduit à signer, avec ce contrat, une sorte de bombe à retardement financière…

D’abord, ce contrat engage l’État et les générations futures pour une durée de trente ans, au moment où les évolutions financières et politiques n’ont jamais été aussi rapides.

Ensuite, a-t-on tiré toutes les leçons de l’expérience du partenariat public-privé conclu pour la construction de l’hôpital sud-francilien ? Cette démarche, initialement présentée comme exemplaire, s’est révélée en pratique catastrophique, les travaux conduisant à des malfaçons et à des surcoûts inacceptables.

Enfin, on prétend que la redevance de 130 millions d’euros par an – hors taxes ! – sera financée par des économies de fonctionnement. Certains doutent de la pertinence des calculs qui conduisent à une telle affirmation. J’ajoute que, si l’hypothèse présentée par le Gouvernement se vérifie – souhaitons-le ! –, on pourra alors s’interroger rétrospectivement sur l’efficacité de la gestion des crédits de la défense. Je signale que la Cour des comptes vient de tenir un raisonnement analogue : elle conclut que la réduction du nombre d’applications informatiques est un révélateur des redondances auxquelles ont conduit la gestion et les cloisonnements antérieurs.

Plus généralement, je dénonce le décalage important entre l’affichage budgétaire et la réalité humaine et territoriale.

Les difficultés des collectivités territoriales confrontées aux restructurations sont souvent bien analysées et relayées par le Sénat. Je saisis l’occasion pour citer le cas du territoire du Cambrésis, qui doit aujourd’hui faire face aux bouleversements liés à la fermeture de la base aérienne de Cambrai-Épinoy. Dans cette partie de la France, les friches militaires succèdent aux friches industrielles. La seule perspective consiste en une hypothétique reconversion aidée par un État qui procède à des coupes budgétaires de plus en plus rigoureuses.

Je souhaiterais que le Sénat défende la cause des personnels aussi bien que celle des territoires. Les restructurations en effet portent en elles l’éclatement des communautés de travail au sein de la défense. Cet éclatement est amplifié par le transfert au secteur privé d’un certain nombre de fonctions de soutien. Certes, le Gouvernement semble aujourd’hui hésiter à intensifier sa politique d’externalisation, dont nous demandons solennellement un bilan précis. Ce dernier montrera vraisemblablement que les économies de fonctionnement ne sont pas systématiquement au rendez-vous. La notion de réorganisation semble véhiculer, pour le Gouvernement, une image de progrès, alors qu’elle est un facteur d’épuisement et de stress pour les agents. Par-dessus tout, la suppression des 54 000 emplois dans la défense s’accompagne d’une destruction de nos savoir-faire qui met en péril à la fois notre communauté de travail et notre indépendance nationale.

En ce qui me concerne, je suis très sensible au sort réservé aux personnels civils. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a posé un principe très clair : « Les personnels militaires devront se concentrer sur les missions opérationnelles, les personnels civils sur les tâches administratives et de soutien. » Dans ces conditions, pourquoi, monsieur le ministre, ne pas offrir de meilleures perspectives de carrière aux personnels civils ? Comme nous l’ont rappelé les syndicats que nous avons auditionnés, on trouve des militaires à des postes ne présentant aucun caractère opérationnel tandis que les postes d’encadrement sont rarement occupés par des personnels civils, qui en ont pourtant la capacité.

Je me demande enfin si la modernisation de notre défense est bien en phase avec celle de la société française. En effet, il faut constater que la féminisation de la défense n’est pas encore très développée. Ce n’est pas seulement une question de genre. Faut-il rappeler qu’un certain nombre d’études spécialisées montrent que la participation accrue des femmes aux fonctions de management d’une structure renforce son efficacité et sa rentabilité, tout en y réduisant les conflits ? C’est pourquoi, pour une meilleure visibilité, il serait nécessaire qu’au milieu de la grande profusion de chiffres et de données qui accompagnent la présentation du budget de la défense figurent aussi des indicateurs chiffrés sur la place des femmes dans la défense de notre pays.

Telles étaient, mes chers collègues, mes principales remarques concernant le programme 212.

À titre personnel, je ne voterai donc pas les crédits de la mission défense, mais je rappelle que la commission des affaires étrangères a suggéré au Sénat de les adopter.

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