Cette réforme brutale accroît les inégalités

Rapporteur pour avis de la commission de la culture.

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la voie professionnelle a subi depuis 2008 une refonte extrêmement brutale et profonde, qui n’a quasiment rien épargné, ni la carte des formations, ni la construction des parcours, ni les modalités pédagogiques d’enseignement.

La voie du baccalauréat professionnel en trois ans pouvait être intéressante pour les meilleurs élèves. En revanche, afin de tenir compte des plus fragiles et des risques d’accroissement du nombre des sorties du système scolaire sans qualification, j’ai toujours plaidé, en tant que rapporteure pour avis de la commission de la culture, pour le maintien en parallèle de l’ancienne voie.

Nos craintes se sont malheureusement confirmées année après année. La réforme est d’autant plus difficile à mener que les moyens consacrés aux lycées professionnels diminuent. Il faut noter l’affaiblissement particulièrement inquiétant des ressources provenant de la taxe d’apprentissage. En outre, la répartition du produit de cette taxe est très surprenante, puisque, au sein du second degré, le public reçoit à peine plus que le privé, alors que ce dernier scolarise cinq fois moins d’élèves. Par ailleurs, au sein du second degré public, les lycées généraux et technologiques reçoivent environ 5 % de son produit, contre moins de 3 % pour les lycées professionnels.

La construction du barème de la taxe et l’affectation des fonds par les organismes collecteurs désavantagent donc très nettement les élèves de l’enseignement professionnel public. Que comptez-vous faire pour y remédier, monsieur le ministre ?

Pour dresser un premier bilan de la réforme, je me suis penchée sur le suivi des élèves de seconde professionnelle. Des taux de redoublement élevés, qui s’élèvent jusqu’à 6 % dans les académies de Lille et de Versailles, soit plus que dans les anciennes sections de BEP, ont été enregistrés. Plus gravement, le nombre des sorties du système scolaire a augmenté et atteint presque 15 % d’après le rapport des inspections générales. Si cette tendance se confirme, la réforme se soldera par un accroissement sérieux des inégalités sociales et scolaires.

La certification intermédiaire et le contrôle en cours de formation regroupent une grande partie des écueils de la réforme. La progression pédagogique est perturbée, la charge d’organisation démesurée, la fiabilité des évaluations très incertaine, l’articulation avec l’accompagnement personnalisé et les périodes de formation en entreprise déficiente.

Les formations de niveau V sont graduellement déprofessionnalisées, ce dont les organisations patronales s’inquiètent d’ailleurs.

Parallèlement, la possibilité de poursuite d’études en section de technicien supérieur a été beaucoup trop mise en avant, sans qu’aucun dispositif concret d’accompagnement des bacheliers professionnels ne soit mis en place. Du point de vue tant de la capacité d’insertion sur le marché du travail que de la poursuite d’études, la réforme risque de susciter beaucoup de frustration parmi les familles et les élèves.

Ce sont bien sûr les milieux populaires et les moins favorisés qui en paieront le prix. Je rappelle que la moitié des élèves en voie professionnelle sont enfants d’ouvriers, de chômeurs ou d’inactifs, alors que ces derniers ne représentent qu’un tiers de l’effectif global du second degré.

Enfin, la mastérisation a ouvert une crise majeure du recrutement des enseignants en lycée professionnel.

J’évoquerai brièvement cette réforme, le Conseil d’État venant d’annuler partiellement l’arrêté du 12 mai 2010, qui décline notamment les modifications statutaires relatives à l’année de stage, lesquelles avaient entraîné la suppression de 16 000 postes. Dans son arrêt du 28 novembre dernier, il considère que vous étiez « incompétent », monsieur le ministre, pour abroger seul les textes antérieurs. Ce que je dénonçais ici même en avril dernier, à l’occasion d’une question orale avec débat sur la réforme de la formation des enseignants, est aujourd’hui reconnu par la plus haute juridiction administrative ! Oui, c’est un camouflet : l’arrêté du 19 décembre 2006 fixant notamment le temps de service en responsabilité des stagiaires à huit heures par semaine et imposant une formation dans les IUFM, les instituts universitaires de formation des maîtres, s’applique donc de nouveau !

Cette précipitation, les professeurs de lycée professionnel l’ont éprouvée durement : les parcours appropriés de master dans les universités ont été construits à la hâte et restent invisibles, d’où un tarissement sans précédent du vivier de candidats. Se prépare ainsi l’affaiblissement des formations dispensées dans les lycées professionnels, à cause d’un manque de titulaires bien formés et du recours massif à l’emploi précaire. Les difficultés sont accrues par les obstacles mis à la reconversion de salariés. Le MEDEF et les branches professionnelles s’en alarment déjà.

Pour conclure, j’aimerais évoquer la question de la régionalisation de l’enseignement. En effet, un possible transfert aux conseils régionaux de la compétence pour les lycées professionnels, y compris pour la gestion du personnel enseignant, a été évoqué encore récemment. À titre personnel, j’y suis résolument hostile. Les ressources financières des régions sont trop minces et leur expertise pédagogique trop faible. En outre, tout ce qui est de nature à renforcer les inégalités sociales et territoriales entre les élèves doit être combattu.

La déstabilisation actuelle de l’enseignement professionnel, qui s’ajoute aux problèmes déjà évoqués par notre collègue Françoise Cartron, explique également l’avis défavorable de la commission de la culture sur les crédits de la mission.

Retour en haut