La branche famille sert une fois encore de variable d’ajustement

Rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales pour la branche famille.

Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, en tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales pour la branche famille, je ferai un constat sans appel : une fois encore, la branche famille sert de variable d’ajustement de nos finances publiques.

Sous prétexte de diminuer le coût du travail et de restaurer la compétitivité de l’économie française, on prive notre protection sociale de ses recettes traditionnelles : les cotisations patronales.

Or la branche famille, autrefois excédentaire, est entrée, depuis 2008, dans un cycle déficitaire d’une ampleur sans précédent. Cette situation résulte pour partie, outre d’un déséquilibre dans la répartition des richesses qui est loin d’être anecdotique, de la crise économique, qui a fait perdre à la branche famille près de 2,7 milliards d’euros de recettes, mais elle s’explique surtout par les conséquences de plusieurs mesures négatives votées ces dernières années, dont la plus significative sur le plan financier et la plus symbolique sur le plan politique est la prise en charge par la branche famille de prestations jusqu’alors servies par la branche vieillesse : je veux parler de la majoration de pension pour les assurés ayant élevé au moins trois enfants et de l’assurance vieillesse des parents au foyer. Pour la seule année 2011, ces deux prestations ont coûté 8,8 milliards d’euros à la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF. Il est donc clair que le déficit de la branche famille résulte d’abord d’un choix de politique économique opéré à son détriment pour réduire le déficit du système de retraite.

Mais il y a plus grave encore : la CNAF a connu une fragilisation sans précédent de ses recettes lors de l’élaboration de la loi de finances pour 2011.

En effet, vous vous en souvenez certainement, lors du débat sur le financement de la dette sociale, il a été décidé de doubler le montant de la dette mise à la charge de la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, en lui transférant 130 milliards d’euros supplémentaires ! Pour assurer le financement de cette dette, le Gouvernement n’a pas trouvé mieux qu’affecter à la CADES 0,28 point de CSG dont bénéficiait précédemment la branche famille.

À l’époque, notre commission avait unanimement dénoncé cette décision, la qualifiant de « marché de dupes ». Même si je suis personnellement défavorable à la CSG, le fait est qu’il s’agit d’une ressource pérenne et dynamique. En guise de compensation, la branche famille s’est vu attribuer trois recettes aléatoires : la taxe spéciale sur les contrats d’assurance maladie dits solidaires et responsables, dont le produit annuel représente un peu plus de 1 milliard d’euros ; la taxe exceptionnelle sur la réserve de capitalisation des entreprises d’assurance, qui doit rapporter 835 millions d’euros en 2011 et en 2012 ; la CSG prélevée « au fil de l’eau » sur les contrats multisupports d’assurance-vie, dont le produit, nous disait-on, s’élèverait à 1,6 milliard d’euros en 2011.

Certes, en 2011 et en 2012, ces trois recettes nouvelles compenseront les 3,5 milliards d’euros de CSG perdus. Mais, dès 2013, le compte n’y sera plus : en effet, la taxe exceptionnelle sur la réserve de capitalisation des entreprises d’assurance, qui est une mesure temporaire, ne rapportera plus rien, tandis que le rendement de l’imposition des contrats multisupports d’assurance-vie commencera à décroître, avant de s’annuler à l’horizon 2020. Ce ne sont donc plus 3,5 milliards d’euros, mais seulement 2,3 milliards d’euros, que la branche famille percevra. Elle subira ainsi un manque à gagner de 1,2 milliard d’euros.

Je reconnais qu’il avait également été prévu d’allouer à la branche famille, à compter de 2013, le produit de la contribution assise sur les primes d’assurance obligatoire en matière de circulation des véhicules terrestres à moteur, évalué à 1 milliard d’euros par an. Mais, dans le même temps, la loi de finances pour 2012 a instauré une clé d’affectation des droits de consommation sur les tabacs qui sera moins favorable à la CNAF dès 2013. Ces nouvelles règles d’attribution se traduiront pour cette dernière par une perte de recettes de 400 millions d’euros. Le Gouvernement a donc repris d’une main ce qu’il donnait de l’autre !

En définitive, ce petit montage financier ne rapportera à la branche famille que 600 millions d’euros, soit la moitié de la compensation intégrale annoncée. Et il y aurait beaucoup à dire sur la complexité du système mis en place…

Il résulte de tout cela que le déficit prévisionnel de la branche famille pour 2012 s’élève à 2 milliards d’euros, ce qui est tout à fait considérable. Ce résultat s’inscrit d’ailleurs dans une continuité parfaite mais déplorable avec ceux des années précédentes : le déficit de la branche famille s’est établi à 2,6 milliards d’euros en 2011, à 2,7 milliards d’euros en 2010 et à 1,8 milliard d’euros en 2009.

Dans ce contexte de dégradation continue, je maintiens que la priorité aurait dû être de rétablir l’équilibre de la branche famille, surtout dans la période de crise que nous connaissons, où il est plus que jamais nécessaire de soutenir les plus démunis.

Aujourd’hui, le Gouvernement décide une nouvelle fois de ponctionner les recettes de la branche famille en ne simplifiant pas –c’est le moins que l’on puisse dire – la tuyauterie financière !

Bien sûr, il affirme que la suppression des cotisations patronales affectées à la branche famille sera entièrement compensée par l’affectation à celle-ci des nouvelles recettes de TVA et de CSG. À l’entendre, il s’agirait donc d’un simple transfert financier. Cependant, quelle garantie nous donnez-vous, madame, monsieur les ministres, que la perte de recettes subie par la branche famille sera effectivement et intégralement compensée ? Que se passera-t-il si les recettes de TVA attendues ne sont pas au rendez-vous, du fait d’une réduction de la consommation ?

Le projet de loi de finances rectificative prévoit seulement le dépôt d’un rapport analysant a posteriori les conséquences de cette opération pour l’équilibre de la branche. Est-ce bien sérieux, quand les enjeux sont aussi lourds ?

Le procédé retenu ne peut que nous faire douter de la neutralité du transfert… Il aurait fallu, au minimum, introduire une clause garantissant que la réduction des cotisations sociales serait compensée à l’euro près pour la branche famille.

Cette fragilisation sans précédent de la structure financière de cette branche compromet à coup sûr son retour à l’équilibre à court et à moyen terme. En définitive, c’est l’ensemble de la politique familiale qui est peu à peu détricotée. Je rappellerai, à cet instant, le gel de la revalorisation des prestations familiales décidé à la fin de l’année dernière, mesure que nous avions très vivement dénoncée et à laquelle notre commission s’était opposée. Elle ne constituait en réalité qu’une première étape…

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, en tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales pour la branche famille, je vous demande de rejeter ce projet de loi de finances rectificative en adoptant la motion tendant à opposer la question préalable présentée par la commission des finances.

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