Il n’est pas possible de mener une politique du logement sans argent public

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici au terme de la discussion de ce projet de loi, dont les conditions d’examen auront été pour le moins expéditives.

Ainsi, nous avons débattu de ce texte en première lecture mercredi dernier ; la commission mixte paritaire a échoué hier ; l’Assemblée nationale a donc réexaminé ce texte hier dans la nuit…

M. Benoist Apparu, ministre. Dans la soirée !

M. Michel Billout. … pour nous permettre d’en discuter cet après-midi.

Il me semble que ces conditions sont particulièrement mauvaises pour mener à bien le travail législatif, et qu’elles témoignent très clairement de la volonté du Gouvernement et du Président-candidat de faire adopter le plus grand nombre de mesures libérales avant les échéances électorales, tant leur résultat est redouté par l’actuelle majorité gouvernementale.

Loin des effets d’annonce, la mesure, telle qu’elle est proposée initialement dans ce projet de loi, est contestable à plusieurs titres.

Premièrement, et symboliquement, elle a pour unique dessein de tenter de faire la démonstration qu’il est possible de mener une politique du logement sans argent public. Rien n’est plus faux, puisqu’il est aisé de mettre en relation la crise du logement actuelle et le désengagement de l’État en la matière.

Deuxièmement, une telle mesure laisse entendre que le déficit de logements serait dû à la faiblesse des politiques menées en la matière par les collectivités territoriales, auxquelles il faudrait donc imposer une majoration des droits à construire. Un tel argument apparaît fallacieux dans la mesure où l’effort de construction est aujourd’hui principalement soutenu par ces mêmes collectivités.

Le dispositif, outre qu’il apparaît redondant par rapport à d’autres dispositions notamment insérées dans les lois Grenelle 1 et Grenelle 2, ainsi que dans la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, dite « loi MOLLE », et qui n’ont pas fait la preuve de leur efficacité, risque à terme d’être contre-productif et d’entraîner un renchérissement du prix des terrains, rendant par là même plus difficile l’intervention des offices d’HLM, dont les difficultés sont déjà très grandes.

Pour cette raison, nous sommes satisfaits de la transformation de ce texte par la commission au Sénat en première et en deuxième lecture, par les possibilités ainsi dégagées pour favoriser la construction, alors même que le texte initial enferrait plus encore la France dans la crise du logement : les seuls bénéficiaires de cette mesure auraient été les banques, les promoteurs et les investisseurs, puisque, dans le texte adopté par l’Assemblée nationale, rien ne contraint les prix de sortie.

Je ne m’étendrai pas ici sur les difficultés d’application d’un tel dispositif, qui sont nombreuses, notamment pour les logements collectifs déjà bâtis.

Je développerai davantage les raisons de notre contestation de la version initiale de ce texte, qui constitue un véritable affront fait aux collectivités locales en ce qu’il leur impose une majoration de la constructibilité.

Une telle disposition aurait en effet toutes les chances de se révéler inconstitutionnelle tant elle empiéterait sur les compétences des collectivités telles qu’elles sont définies par la loi. Je vous rappelle que la gestion du droit des sols est de la responsabilité exclusive des maires.

Nous ne pouvons donc ainsi confondre urbanisme et aménagement.

D’ailleurs, monsieur le ministre, la notion d’urbanisme de projet que vous avez développée ne vise en réalité qu’à libéraliser ce droit, pourtant garant de l’utilisation des sols à des fins d’intérêt général. (M. le ministre manifeste son exaspération.)

De plus, en obligeant les collectivités à délibérer pour déroger aux dispositions de ce texte, et en les contraignant à organiser une consultation de la population sur la question unique de la majoration des droits à construire, vous semblez ignorer que ce sujet s’inscrit clairement dans des questionnements plus larges liés à la politique d’aménagement que traduit le projet d’aménagement et de développement durable inclus dans le PLU.

La majoration proposée, parce qu’elle est uniforme, méconnaît le travail très précis que nécessite tout projet d’aménagement. En outre, d’autres leviers existent pour lutter contre l’étalement urbain et favoriser la densification.

Au reste, nous aurions souhaité que le Gouvernement agisse avec la même audace pour garantir le respect de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, ou loi SRU. En effet, il est particulièrement étonnant de vous entendre affirmer ici qu’il faut encourager les maires bâtisseurs, alors même que vous n’avez eu de cesse de vouloir vider cette loi de sa substance, en allant jusqu’à refuser de renforcer les astreintes pesant sur les maires qui ne la respectent pas.

M. Benoist Apparu, ministre. Mais les maires ne sont pas contraints !

M. Michel Billout. Plus largement, et à l’inverse de la démarche engagée par le Gouvernement, nous considérons que, pour résoudre la crise actuelle du logement, il faut agir sur la nature même des constructions via un investissement public incitatif et des outils fiscaux adaptés permettant de répondre aux besoins socialement divers.

Dans ce cadre, comment croire que le Gouvernement, qui prône une France de propriétaires et qui mène la charge contre le logement social, pourra réellement répondre aux difficultés de nos concitoyens ?

Ce n’est donc pas de « mesurettes » que nous avons besoin, mais bien d’un changement de cap : il est nécessaire que l’État s’engage de nouveau dans une politique publique du logement et qu’il facilite par ailleurs l’intervention des acteurs publics au plus près des réalités locales.

Pour ce faire, la mise à disposition de terrains constitue une perspective intéressante.

M. Thierry Repentin, rapporteur. C’est vrai !

M. Michel Billout. Ainsi, en favorisant cette mise à disposition gratuite pour la construction de logements sociaux, les collectivités et les offices pourraient réduire le coût des opérations de construction de manière significative.

Toutefois, d’autres voies doivent également être ouvertes, à l’image du pacte proposé par la fondation Abbé Pierre. Il s’agit ainsi, et avant tout, de réaffirmer la volonté d’extraire le logement de la sphère marchande et de la bulle spéculative.

Cette entreprise passe par l’utilisation des possibilités offertes en matière de réquisition de logement, par l’encadrement des loyers, par l’abrogation de lois scélérates, comme la loi Boutin, et par la suppression des niches fiscales créées sur l’initiative de quelques ministres du logement : Périssol, Borloo, Scellier, de Robien...

Mais ce chantier implique également une remise à niveau des subventions de l’État, notamment pour les aides à la pierre, car, je vous le rappelle, c’est bien un million de logements qu’il nous faudra construire au cours des prochaines années.

Les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen soulignent que le droit au logement, qui a valeur constitutionnelle, est reconnu par nos engagements internationaux, notamment par le pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, directement applicable dans notre droit. Ces textes créent une responsabilité toute particulière à la charge des pouvoirs publics, et spécifiquement de l’État.

Nous ne tolérons pas que, aujourd’hui encore, des personnes dorment dans la rue, alors même que nous vivons dans un pays riche. Pour cette raison, nous vous avons régulièrement appelés à adopter nos amendements visant à interdire les expulsions de personnes en difficulté et, a minima, des publics déclarés prioritaires au titre du droit au logement opposable, le DALO.

Dans cette perspective, et alors que nous fêtions hier les cinq ans du DALO, je remarque que le bilan d’application de la loi est loin d’être satisfaisant. Mais c’est bien ce qui caractérise la politique du Gouvernement : de simples effets d’annonce !

Il est grand temps de passer des paroles aux actes et de s’atteler à l’élaboration d’une politique publique du logement à la hauteur des besoins. Tel est l’objectif du présent projet de loi, tel que modifié et adopté par notre commission de l’économie : c’est bien ce texte-là que le groupe CRC soutiendra !

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