La ratification du pacte budgétaire, monsieur le Premier ministre, est à nos yeux une faute politique

La ratification du pacte budgétaire, monsieur le Premier ministre, est à nos yeux une faute politique - Nouvelles perspectives européennes (Friedemann W.-W. - https://flickr.com/photos/e2/)

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans l’Europe entière, la ligne de rupture est atteinte. La visite qu’a effectuée hier Angela Merkel à Athènes, dans une ville en état de siège, est le dernier signe de cette rupture sociale et démocratique.

La France compte 5 millions de chômeurs. L’Union européenne en compte 25,4 millions. Partout le chômage, la précarité, la dévastation industrielle et la casse des services publics gagnent du terrain.

Nous traversons depuis 2008 une crise majeure du capitalisme financier mondialisé. Et si l’Union européenne est dans la tourmente, c’est parce qu’elle a été taillée sur mesure pour satisfaire les marchés et les multinationales.

Vingt sommets européens se sont tenus depuis 2008 ; chaque fois, on nous a annoncé le « sauvetage de l’Europe ». En réalité, les décisions prises n’ont fait que précipiter la fuite en avant de l’Union, en faisant toujours plus payer l’addition aux peuples européens.

C’est dans ce contexte que, avec le Président de la République, vous nous demandez de ratifier le « traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire », signé au mois de mars dernier par Nicolas Sarkozy. Ne comptez pas sur nous ! Cette ratification est, à nos yeux, une faute politique.

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. Pierre Laurent. Oui, une faute ! Vous avez été élus pour conduire le changement, et non pour marcher dans les pas du sarkozysme. (Marques d’ironie sur les travées de l’UMP.)

Depuis hier, vous prétendez qu’une majorité de gauche existe en France pour adopter ce traité. C’est faux !

M. Michel Mercier. Eh oui !

M. Pierre Laurent. Faut-il rappeler que, sans les 4 millions d’électeurs et d’électrices du Front de gauche, hostiles à ce traité, il n’y avait pas, au printemps dernier, de majorité pour battre la droite ? (C’est vrai ! sur les travées de l’UMP.)

M. Bernard Fournier. Ils l’ont oublié !

M. Pierre Laurent. Faut-il rappeler que des millions d’électeurs ont cru à votre engagement de renégocier le traité ? (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

Les artifices de présentation de l’arithmétique parlementaire ne masqueront pas la réalité.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ça, c’est bien possible !

M. Pierre Laurent. À l’Assemblée nationale, 63 députés de gauche n’ont pas voté ce projet de loi de ratification et, alors que le groupe socialiste dispose de la majorité avec plus de 289 sièges, seuls 263 de ses députés l’ont approuvé.

Je veux d’ailleurs saluer le courage de toutes celles et de tous ceux qui, à nos côtés, à gauche, écologistes ou socialistes, ont refusé de céder aux pressions et sont restés fidèles à leurs convictions.

Ici, au Sénat, le traité n’aura pas non plus de majorité à gauche.

M. Jean-Michel Baylet. Il en a eu une à l’Assemblée nationale !

M. Pierre Laurent. Les enquêtes d’opinion l’ont montré : les Français voulaient être consultés par référendum. Vous avez contourné cette volonté populaire. La ratification du traité restera entachée par ce refus.

Non, il n’y a pas, dans notre pays, de majorité populaire, de majorité de gauche favorable à ce traité !

M. Jean Besson. Ce n’est pas vrai !

M. Pierre Laurent. Mes chers collègues, l’Histoire s’accélère : ou bien l’Europe poursuit sa fuite en avant avec toujours plus d’austérité et de confiscation des pouvoirs, et elle laissera toujours plus de terrain aux apprentis sorciers qui prônent la dissolution de la zone euro et le retour au choc des égoïsmes nationalistes ; ou bien elle choisit la voie de la solidarité et de la démocratie, et c’est alors un projet de refondation de l’Union européenne qui doit être d’urgence mis en chantier.

Voila trente ans que l’objectif numéro un de l’Union européenne est d’être attractive pour des capitaux qui n’ont ni patrie ni sens de l’intérêt général ! Voila trente ans que tous les pouvoirs, à commencer par le pouvoir monétaire, ont été mis au service de la finance, qui dispose du droit de vie ou de mort sur les outils productifs !

Privatisations, déréglementation, reculs des droits sociaux et mise en concurrence sont allés de pair avec les missions d’une Banque centrale européenne qui n’a été indépendante qu’à l’égard des peuples et de leurs besoins, et dont le seul rôle a été de protéger les marchés.

Et quand la crise a éclaté, qu’a décidé le Conseil européen ? De soutenir la finance, encore et toujours ! Tous les dispositifs mis en place l’ont été sans contrepartie pour les banques. Seuls les peuples ont été forcés de payer l’addition.

Recapitalisations, FESF, MES, Six-pack, pacte « euro plus »… que de termes et sigles barbares dissimulant systématiquement des plans d’austérité qui ne le sont pas moins, et dont la « troïka » est la sinistre ambassadrice !

Résultat, on parle aujourd’hui de « crise humanitaire » en Grèce. La situation sociale est explosive en Espagne, au Portugal, où le chômage de masse est devenu la règle pour les jeunes et pour les femmes. La récession menace l’ensemble de la zone euro. Et ce n’est guère plus brillant en France.

Si des ruptures ne sont pas opérées, c’est l’idée même d’Union européenne qui est menacée. Aujourd’hui, donner des perspectives à l’Europe, c’est agir pour une refondation de l’Union européenne au service des Européens, dans la coopération. Or, jusqu’à ce jour, ce n’est pas le chemin qui est pris : cela n’a pas été évoqué lors du sommet européen du mois de juin dernier et cela ne figure pas non plus à l’ordre du jour des prochains sommets, notamment celui des 18 et 19 octobre.

Nous proposons, pour notre part, trois chemins pour refonder l’Union européenne. Du reste, vous devriez écouter les forces critiques qui refusent ce traité et qui, comme nous, travaillent à des propositions de réorientation.

Je pense par exemple à la Confédération européenne des syndicats, qui, pour la première fois de son histoire, rejette en bloc un traité. Je pense aussi, en France, aux 65 organisations politiques, associatives et syndicales qui appellent ouvertement à la non-ratification – pour une Europe solidaire ! –, aux 80 000 personnes qui étaient dans la rue le 30 septembre à Paris ou aux 120 économistes qui viennent de publier un appel dans le même sens.

Le premier des chemins à emprunter, c’est la rupture avec l’austérité. Il faut sans attendre donner la priorité au redressement social et productif de la France et de l’Europe.

La crise de l’Union européenne n’est pas une crise de la dette. Sans création de richesses, nous ne résoudrons aucun problème.

C’est pourquoi le chemin qu’il faut suivre, c’est l’harmonisation des standards sociaux, pour lutter contre le dumping social et les délocalisations. Il faut choisir la coopération industrielle pour construire la mutation sociale et écologique, et non plus la concurrence. Il faut cesser d’attaquer la protection sociale et la formation, qui sont des atouts, et non des obstacles à notre productivité. La promotion des services publics doit reprendre le pas sur les privatisations.

Allons-nous laisser Mittal dépecer la sidérurgie européenne et les constructeurs automobiles s’entre-tuer en Europe ? Allons-nous laisser les fusions financières piller le trésor EADS, sacrifier la chimie et la pharmacie ? Allons-nous assister à ce massacre sans que jamais la France appelle l’Europe à la mobilisation et à la reconstruction d’une politique industrielle digne du XXIe siècle ?

Vous savez qu’une véritable politique de redressement productif nécessite la mobilisation massive de ressources financières au service d’une stratégie industrielle publique européenne. Comment ferons-nous si les robinets du crédit restent fermés sauf pour nourrir des actionnaires avides de dividendes ?

Dès lors, le deuxième chemin est celui de la reconquête des pouvoirs bancaire et monétaire, au service du redressement social et productif.

La bataille pour le changement du statut et des missions de la Banque centrale européenne doit être un objectif central, et la France doit la mener sans faillir.

L’appel des économistes que j’ai évoqué contient plusieurs propositions pour une expansion coordonnée de l’activité, de l’emploi et des services publics. Je pense notamment au financement direct, sélectif et à bas taux, par la BCE, des organismes publics de crédit.

Un fonds européen de développement social et écologique pourrait appuyer une telle dynamique. Et l’Union européenne devrait reprendre le contrôle sur la finance, par exemple en interdisant les échanges d’obligations souveraines sur les marchés de gré à gré, autrement dit la spéculation sur la dette, en limitant strictement la titrisation et les produits dérivés et en taxant les mouvements financiers spéculatifs.

Tout cela est indispensable.

Le troisième chemin est la démocratie. L’Union européenne est devenue un empire autoritaire où la voix des peuples est sans cesse bafouée.

M. Francis Delattre. Mais sans Goulag !

M. Pierre Laurent. La refondation démocratique de l’Union européenne doit être le combat de la France. Commençons par renforcer le rôle des parlements nationaux et du Parlement européen et par doter les citoyens de nouveaux outils d’intervention.

Le traité qu’il va nous être demandé de ratifier tourne le dos à ces trois objectifs. L’article 3 instaure la fameuse « règle d’or », applicable au budget de la Nation, de la sécurité sociale et des collectivités locales.

À la règle inapplicable, et d’ailleurs inappliquée depuis Maastricht, des 3 % du PIB s’ajoute dorénavant celle du non-dépassement de 0,5 % de déficit structurel.

Les États signataires acceptent de surcroît de se soumettre à un « mécanisme de correction ». C’est ainsi que le « projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques », que nous examinerons dans quelques jours, prévoit la création d’un Haut conseil des finances publiques, une instance dont l’unique fonction sera de mettre sous surveillance les budgets publics, singulièrement ceux des collectivités locales, ce que le Président de la République a omis de le dire aux élus réunis ici voilà quelques jours lors des états généraux de la démocratie territoriale.

C’est au nom de cette règle d’or, et par anticipation, que vous décrétez déjà un « choc budgétaire » de 30 milliards d’euros en 2013, avant d’autres « chocs » à venir, de même ampleur, voire d’ampleur supérieure, dont les deux tiers seront payés par les citoyens.

S’agissant de la sécurité sociale, les économies prévues, déjà très importantes, vont amplifier l’augmentation des inégalités d’accès aux soins et des « reste à charge » pour les plus fragiles, donc la fragilisation de l’hôpital public.

Les collectivités locales, quant à elles, ne verront pas la couleur des compensations des transferts de compétences, et la baisse des dotations dépassera, on le sait, les 2 milliards d’euros. Comment, dans ces conditions, revitaliser les territoires ruraux et les quartiers populaires ?

Pour couronner le tout, les budgets et les projets de réforme économique devront être visés par la Commission européenne avant d’être examinés par les parlements nationaux, et des corrections pourront être demandées.

Le texte prévoit enfin, à l’article 8, qu’un État, même seul, peut en attaquer un autre devant la Cour de justice de l’Union Européenne et réclamer des sanctions financières contre lui s’il estime que des engagements ne sont pas respectés. Bel état d’esprit : la délation en lieu et place de la solidarité !

La perspective européenne que dessine ce traité, c’est un « fédéralisme autoritaire » au service des plus puissants, à commencer par l’Allemagne.

D’ailleurs, Angela Merkel est déjà à l’initiative pour la prochaine étape : une nouvelle centralisation de la « gouvernance économique ».

Ce traité, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre délégué, n’a pas été renégocié, comme l’avait promis François Hollande. Le texte signé en mars par Nicolas Sarkozy est intact. (Marques de satisfaction sur les travées de l’UMP.)

M. Charles Revet. Et voilà !

M. Pierre Laurent. Le volet « croissance » obtenu au mois de juin dernier ne fait absolument pas le poids.

D’abord, juridiquement, il n’aura pas de valeur, tandis que la loi du traité, elle, s’imposera. Les sommes évoquées, 120 milliards d’euros, constituent une goutte de croissance dans un océan d’austérité ; à titre de comparaison, je rappelle que la totalité des plans d’austérité imposés dans les pays européens atteint 440 milliards d’euros sur cinq ans. De surcroît, les sommes concernées seront conditionnées à des mesures dites « de compétitivité ».

Cela explique-t-il le soudain engouement qu’on perçoit ces jours-ci pour un « choc de compétitivité » de 30 milliards à 40 milliards d’euros contre les salaires ? Une mesure qui n’a jamais figuré dans les 60 engagements de François Hollande, mais qui correspond exactement au contenu du « paquet emploi » de M. Barroso, un arsenal de déréglementation du droit du travail et d’écrasement des salaires.

Voila pourquoi il n’existe pas de majorité populaire, ni de majorité de gauche pour soutenir ce traité !

M. Jean Besson. Ce n’est pas vrai !

Mme Éliane Assassi. Bien sûr que si !

M. Pierre Laurent. Vous ne le ratifierez qu’avec la droite, qui endosse sans complexe l’héritage empoisonné de Nicolas Sarkozy. Nos collègues de droite suivront à la lettre les recommandations de Laurence Parisot : « On ne doit pas se poser la question de la ratification du traité européen : il faut le signer des deux mains. » Pour notre part, nous garderons le cap du changement. (Rires sur les travées de l’UMP.)

Je vous lance un ultime appel. Ne ratifiez pas ce traité ! Consultez les Français, si vous êtes si sûrs de la majorité qui existe à gauche dans le pays ! Envoyez un signal aux citoyennes et aux citoyens, aux forces politiques, sociales et syndicales, et aux mouvements de résistance, qui, sur notre continent, sont prêts à relever le défi de la réorientation de l’Europe !

Mme Éliane Assassi. Exactement ! Allez, un peu de courage !

M. Pierre Laurent. Prenez l’initiative – nous faisons cette proposition au gouvernement de la France – de convoquer au nom de notre pays des états généraux de la refondation européenne, en créant un processus citoyen et démocratique pour redéfinir les objectifs de l’Union européenne !

Tôt ou tard, les forces de gauche, si elles veulent réussir une politique de changement, devront se rassembler pour mener une telle réorientation. Soyez assurés que, pour notre part, nous ne ménagerons aucun de nos efforts pour continuer à travailler à ce rassemblement !

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