Lettre au ministre de l’intérieur à propos de l’assassinat de trois militantes Kurdes à Paris

Monsieur le ministre,

C’est avec stupeur et avec une profonde émotion que j’ai appris l’odieux meurtre de trois militantes kurdes dans leur bureau du Centre d’information du Kurdistan.

Je tiens dans un premier temps à saluer l’engagement et la mémoire de ces trois militantes - Sakine Cansiz, une des fondatrice du parti des travailleurs du Kurdistan, Rojbin Dogan, représentante du Congrès national du Kurdistan, que je connaissais personnellement depuis plusieurs années, que j’appréciais particulièrement pour son courage et sa ténacité pour que soient enfin respectés les droits du peuple kurde en Turquie, et Leyla Soylemez, jeune militante - militante en faveur de la liberté et de l’émancipation des femmes et de tout le peuple kurde.

Au travers de ce lâche assassinat, les Kurdes paient à nouveau un lourd tribut à la juste lutte qu’ils mènent pour la reconnaissance de leurs droits politiques et culturels dans un pays où, de plus en plus, la démocratie est bafouée, la justice instrumentalisée, la liberté d’expression piétinée. Mes pensées vont bien évidement à leur famille et à leurs proches mais aussi à leurs camarades de lutte.

Une lourde responsabilité pèse désormais sur les autorités françaises pour qu’elles identifient les coupables et les commanditaires afin que ceux ci soient pourchassés et condamnés à la hauteur de ce crime. Je prend acte et apprécie votre engagement personnel sur ce point particulier. Je souhaite également que des mesures soient prises pour garantir et assurer le droit à la sécurité des militants et militantes kurdes présents en France.

Vous le savez, ces assassinats sur le sol français sont d’autant plus inquiétants qu’ils interviennent au moment où le gouvernement turc engage des négociations avec le leader kurde Abdullah Ocalan, détenu à l’isolement sur l’ile d’Imarli.

Dans ce contexte, je pense que le moment est venu pour que le gouvernement français dénonce ou renégocie l’accord signé entre Ankara et Paris en octobre 2011 qui, sous prétexte de "coopération opérationnelle de lutte contre le terrorisme", a surtout permis au gouvernement turc d’emprisonner ses opposants politiques. En effet au moment où votre prédécesseur signait cet accord, près de 4200 membres du BDP ont été arrêtés en moins de six mois par la police sur ordre du gouvernement du premier ministre Recep Tayyip Erdogan. Quant à la police française elle a exclusivement conduit des opérations de perquisition dans les locaux d’associations kurdes et procédé à l’arrestation de militants, relâchés rapidement faute de preuves de leur participation à une quelconque activité terroriste. En revanche les réseaux extrémistes turcs n’ont jamais été inquités.

Le soutien « indéfectible » de la France a donc encouragé le gouvernement turc à poursuivre sa politique répressive, dont j’ai pu constaté les ravages lors de mes multiples déplacement dans le Kurdistan de Turquie.

Le BDP, qui siège désormais de manière légitime au parlement turc, propose une autonomie régionale qui garantisse les droits du peuple kurde, le respect de sa culture et la pratique de sa langue. Il ne fait pas que défendre ses droits mais porte un projet social, démocratique et écologique pour toute la Turquie. C’est sur cette orientation, malgré un mode de scrutin très défavorable, que le BDP a multiplié par deux son nombre de députés, confirmant l’adhésion massive du peuple kurde à ces propositions. De nombreux élus du BDP sont aujourd’hui encore emprisonnés, sans procès.

Pour toutes ces raisons je pense que le maintien de l’accord de coopération policière, malgré le changement de gouvernement opéré en mai dernier, ne correspond pas au rôle que l’on est à même d’attendre de la France : contribuer à une solution politique, équitable et pacifique de la question kurde. Encourager cette solution politique est le meilleur moyen pour que cessent les opérations militaires conduites par l’armée turque et le PKK et que je déplore.

Comptant sur votre détermination dans ce dossier et dans l’attente d’éléments de réponse de votre part, je vous prie d’agréer, Monsieur le ministre, l’expression de ma haute considération.

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