Un texte qui ne répond pas à l’ambition affichée

Tribune libre parue dans le numéro de février du journal Initiatives.

Les élections et la concertation sur l’école menée cet été ont suscité l’espoir d’un réel changement, en rupture avec le quinquennat dévastateur de Nicolas Sarkozy, dont la RGPP fut le signe le plus symptomatique. Un changement qui devrait se traduire par des orientations et des traductions législatives fortes. D’où notre déception à la lecture du texte du projet de loi d’orientation et de programmation pour l’école présenté par le gouvernement. Ce texte doit être lu et analysé à l’aune des propositions contenues – et déjà connues pour partie – dans le projet de loi de décentralisation et dans le rapport final des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, sur lequel s’appuiera le projet de loi sur l’enseignement supérieur et la recherche.

Ce triptyque doit être examiné comme un tout afin de percevoir la cohérence du puzzle qui pourrait s’assembler. Le projet de loi sur l’école affiche de grands objectifs que le groupe CRC partage : recrutement d’enseignants, priorité au primaire, réaffirmation du rôle de la maternelle et scolarisation des moins de 3 ans, réaffirmation du collège unique, création d’écoles supérieures du professorat pour la formation des enseignants. Cependant, en l’état, il échoue dans le traitement de ses ambitions, à savoir refonder l’école pour faire reculer l’échec scolaire et réussir tous les élèves en construisant le service public d’éducation sur le modèle de l’élève qui n’a que l’école pour apprendre. Le premier sentiment est donc celui d’un manque de souffle, d’envergure, pour tout dire d’ambition.

Si l’aspect déclaratif est propre à tout projet de loi programmatique, le texte reste flou et contradictoire à bien des égards, renvoyant au décret un très grand nombre de dispositions importantes et qui méritent encore débat. Le texte est aussi porteur d’ambigüités qui ne sont pas sans risque et sur lesquelles je souhaite insister.

Le projet de loi s’inscrit dans une territorialisation de l’Éducation nationale que nous refusons. Ainsi il est prévu de rendre les contrats d’objectifs des Établissements Public Locaux d’Enseignement tripartites, en rajoutant, en plus de l’établissement et de l’autorité académique, la collectivité de rattachement. La compétence de l’orientation est confiée aux régions via le transfert des CIO et le transfert des conseillers d’orientation-psychologue pourrait suivre. Il est également prévu de confier à la Région la définition et la mise en œuvre de la carte des formations professionnelles initiales, via les ouvertures et les fermetures de sections. Ce choix de territorialiser la carte des formations professionnelles initiales répond à une logique d’adéquation des formations aux bassins d’emplois que nous refusons.

Cette logique strictement à court terme, avec une visibilité des besoins en termes de bassin d’emploi forcément très limitée dans le temps, ne répondra pas à l’exigence d’émancipation des citoyens et à l’enjeu d’élévation de leur niveau de qualification qu’exige aujourd’hui la société de la connaissance. Pour ce qui est de l’enseignement technique agricole, il ne figure même pas dans le projet de loi alors qu’il est un des éléments constitutifs très positif du système éducatif et qu’il doit le rester. Les propositions que nous porterons viseront, tout au contraire, à réaffirmer la place au sein du service public d’éducation nationale de l’enseignement professionnel et de l’enseignement agricole, en les dégageant de l’orientation par l’échec. Le projet de loi affirme l’importance de l’éducation artistique et culturelle, mais sans préciser la part dévolue au scolaire et au périscolaire.

On retrouve là toute l’ambigüité contenue dans la réforme des rythmes scolaires qui, encore une fois, se trouve déconnectée d’un projet global école/société et du choix d’école et donc de société que nous voulons. On ne voit guère d’ailleurs dans la réforme de la « journée » qui est proposée, ce qui va permettre de concourir au recul de l’échec scolaire et à la réussite de tous. On voit bien par contre comment cette mise en avant des partenariats avec les collectivités et les associations rimera avec désengagement financier de l’État et recul des missions actuelles de l’Éducation nationale.

Le projet de loi réaffirme le collège unique comme élément de réussite, mais dans le même temps il met en avant l’individualisation des parcours. Ainsi, si le texte supprime les dispositifs d’apprentissage précoce, il maintient la possibilité d’effectuer des apprentissages en CFA dès 15 ans, soit avant la fin de la scolarité obligatoire. Il réaffirme une « différenciation » des enseignements selon les profils avec des « enseignements complémentaires au tronc commun » en plus des « enseignements communs » en 4e et 3e, et des « approches pédagogiques différenciées ».

Tout au contraire, nous porterons notre proposition d’une scolarité obligatoire allant de 3 à 18 ans, car pour transmettre des savoirs plus complexes à plus d’élèves, lutter contre l’orientation par l’échec et les sorties sans qualification, il faut plus de temps. Le texte affiche l’objectif de « réussite de tous », mais le socle commun des connaissances et des compétences mis en place par la loi Fillon de 2005 dans la continuité des logiques européennes et des accords de Lisbonne – certes enrichi d’une dominante « culture » – demeure. Ainsi, est maintenue, en parallèle, l’existence du socle et des programmes, ce qui signifie bien que le socle reste un « minimum » à acquérir pour les élèves en difficulté et que les autres élèves bénéficieront eux d’enseignements complémentaires.

Le texte crée le principe des Ecoles supérieures du professorat et des métiers de l’éducation, dont les modalités qui posent nombre de problèmes sont renvoyées au décret. Pour le reste, le texte ne prévoit pas la mise en place de véritable pré-recrutement des enseignants, proposition qui faisait l’unanimité chez les participants lors de la concertation et qui figure dans le rapport remis au ministre. Or cet outil est indispensable, d’une part pour faire face à la crise du vivier de recrutement qui sévit et d’autre part, pour engager la nécessaire refondation du métier, totalement absente de ce projet de loi. C’est pourquoi, dans le travail parlementaire qui va s’engager nous œuvrerons pour enrichir ce texte, porter nos propositions, et faire lever les ambigüités afin de permettre la reconstruction d’un service public d’éducation laïc, gratuit et national – fondé sur le postulat que tous les enfants sont capables de réussir – véritablement en capacité de répondre aux défis d’émancipation et d’élévation des connaissances qui s’imposent.

Retour en haut