La fraude fiscale est source de difficultés financières majeures pour les États et de souffrances pour les populations

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce n’est évidemment pas la première fois que notre assemblée accorde quelque intérêt à la discussion de conventions fiscales internationales – qu’il s’agisse d’ailleurs de textes initiaux fixant les relations entre les administrations françaises et étrangères ou d’avenants apportés aux conventions existantes –, mais le débat d’aujourd’hui va nous permettre de procéder à des rappels utiles.

Le Sénat, depuis que notre groupe a été à l’initiative d’une commission d’enquête sur l’évasion et la fraude fiscales, se montre particulièrement attentif et vigilant pour tout ce qui concerne les relations internationales en matière de fiscalité, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Cela d’autant plus que, parmi les outils dont nous disposons pour réduire autant que possible les déficits publics, la lutte contre la fraude fiscale – source de difficultés financières majeures pour les États et de souffrances redoublées pour les populations – figure évidemment en bonne place.

Avant même d’évoquer le cas des deux entités concernées par les conventions bilatérales, le fait est que, selon des sources et des documents concordants, la fraude fiscale et sociale priverait la France de ressources importantes : plus de 40 milliards d’euros d’après le Conseil des prélèvements obligatoires, voire plus de 50 milliards d’euros selon les organisations syndicales du ministère des finances.

On notera que les évaluations de la fraude fiscale, qu’il s’agisse de celle du Conseil des prélèvements obligatoire ou de celle des syndicalistes de la direction générale des finances publiques, sont telles que le manque à gagner suffit à empêcher la France de se retrouver, pour son déficit budgétaire, sous la fameuse limite des 3 % du PIB. Pour sa part, la fraude aux cotisations sociales constitue l’équivalent du déficit prévisionnel de la sécurité sociale en 2013.

Après ce rappel destiné à garder en « toile de fond » de notre débat les objectifs que la France peut décemment poursuivre dans ses relations fiscales internationales, je vous livre quelques éléments sur les deux entités territoriales que sont l’île d’Aruba et le Sultanat d’Oman, avec lesquelles sont passées les conventions fiscales conformes au modèle de l’OCDE.

Observons tout d’abord les différences qui existent entre ces deux entités.

Peuplée, comme le rappelait Mme la rapporteur, d’un peu plus de 100 000 habitants, l’île d’Aruba est une possession de la couronne des Pays-Bas et fait partie intégrante des Antilles néerlandaises, qui regroupent également les îles de Curaçao, Bonaire et la partie néerlandaise de Saint-Martin, un bel endroit. (Sourires.)

Nos relations commerciales – du moins pour ce qui en est déclaré – avec les Antilles néerlandaises sont limitées ; elles portent notamment sur la fourniture de produits alimentaires et de quelques produits finis et, en sens inverse, parmi d’autres importations, sur le pétrole que Shell raffine dans ces terres éloignées de la métropole.

Aruba est une entité démocratique, avec des partis politiques constitués, une législation civile plutôt évoluée et largement inspirée, bien entendu, du modèle hollandais. Cependant, sur le plan fiscal, comme nul ne l’ignore, l’île voit s’appliquer le droit néerlandais dont on sait qu’il est plutôt allégé pour les entreprises, singulièrement pour les cessions de titres et les plus-values, dès lors que l’on a pris soin de structurer une entreprise ou un groupe avec une holding de tête et des filiales...

Dans le cas du Sultanat d’Oman, nous sommes en présence d’une monarchie absolue – comme dans beaucoup d’États de la région du golfe Persique. Peuplé d’environ 3 millions d’habitants, Oman vit depuis une cinquantaine d’années de l’exploitation des gisements de gaz et de pétrole présents dans le sous-sol, qui alimente 80 % de ses ressources budgétaires.

Situé dans une région stratégiquement importante – il donne sur le détroit d’Ormuz et se trouve sur la côte sud de la péninsule Arabique –, le Sultanat est dirigé depuis plus de quarante ans par le sultan Qabous, héritier d’une lignée fondée sous le règne de Louis XV, qui, comme nombre de ses voisins, confond volontiers les affaires de l’État avec celles de sa famille. C’est ainsi que la famille régnante dispose de la majorité des parts de Petroleum development Oman, société qui exploite les gisements de pétrole et de gaz du pays et en tire une part importante de ses revenus.

Quant à l’État omanais, il dispose de deux assemblées dont les membres sont, pour la première, désignés par le sultan et, pour la seconde, élus sans l’intermédiaire de partis politiques et après accord du sultan. Même si les formes d’exercice du pouvoir politique dans le Sultanat sont moins rigoristes qu’elles peuvent l’être dans le Royaume d’Arabie Saoudite, Oman n’est pas un État démocratique au sens où nous pourrions l’entendre.

Dans ce débat, un point nous intéresse particulièrement : Oman a été retiré de la liste des États dits non coopératifs en 2012 par l’OCDE et, en conséquence, par la France.

On supposera donc que la présente convention fiscale pourra trouver sa pleine application même si l’on rappelle que le Sultanat ignore l’impôt sur le revenu et ne taxe pas les mutations de propriété, que le taux de l’impôt sur les sociétés comme sur les résultats d’une entreprise individuelle y est faible – 12 % – et que le taux frappant les résultats localisés des entreprises non résidentes y est plus faible encore : 10 %.

Les échanges extérieurs entre la France et Oman sont encore limités, une bonne part du commerce du Sultanat s’effectuant sur place ou avec le Royaume-Uni. Pour ce qui concerne les exportations françaises – qui comprennent tout particulièrement des avions, notamment des Airbus, ainsi que des produits pétroliers raffinés –, elles se limitent à environ 400 millions d’euros, tandis que nos importations représentent un peu plus de 70 millions d’euros et concernent notamment des hydrocarbures sous forme de pétrole brut.

La convention fiscale peut conduire, sous certains auspices, au développement des relations commerciales entre les deux pays, mais elle permettra plus sûrement – c’est en tout cas notre point de vue – de faciliter la présence de nos entreprises dans la région.

Cependant, Oman prépare l’« après-pétrole », notamment au travers de ses fonds souverains, dont le principal dispose de 24 milliards d’euros d’actifs, ce qui représente une force de frappe proche de celle de notre Fonds stratégique d’investissement. Est-ce à dire que les années à venir seront marquées par des investissements omanais en France ? C’est l’exécution de cette convention qui nous le dira.

Pour en revenir au fond du débat, ces deux exemples montrent assez nettement, au-delà des paramètres de chaque situation et de l’exotisme apparent des deux entités concernées, que notre politique de coopération fiscale doit faire l’objet d’une évaluation.

Comme nul ne l’ignore, la crise financière de 2008 a provoqué une vague de conventions fiscales sans précédent dans le monde entier. Si l’OCDE, à l’origine d’un modèle de convention, a favorablement accueilli ce mouvement de coopération fiscale en procédant à la réduction progressive de sa liste de « paradis fiscaux », nombre d’observateurs et d’organisations non gouvernementales discutent de la réalité des efforts accomplis et de la soudaine qualité des conventions fiscales passées.

C’est pourquoi, sans nous opposer formellement à l’adoption des deux conventions examinées ce jour, le groupe communiste républicain et citoyen souhaite que soit prochainement inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée, dans le cadre de nos activités de contrôle, un débat sur le bilan des conventions fiscales passées ces dernières années et sur les résultats qu’elles ont permis de dégager, singulièrement du point de vue de la transparence économique et fiscale des opérations visées. Il nous semble d’ailleurs qu’il serait intéressant que ce débat soit préparé avec quelques documents et éléments transmis par l’administration de Bercy en la matière.

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