Tout n’est pas affaire de crédit, mais nous craignons que vous ne disposiez pas des moyens suffisants pour refonder notre politique d’aide au développement

Tout n'est pas affaire de crédit, mais nous craignons que vous ne disposiez pas des moyens suffisants pour refonder notre politique d'aide au développement - Relations Nord-Sud (Porapak Apichodilok - https://www.pexels.com/fr-fr/@nurseryart)

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous rassemble cet après-midi sur la place de la politique de développement dans les relations Nord-Sud ne peut pas faire abstraction de l’actualité. Notre intervention militaire au Mali nous donne ainsi l’occasion de réfléchir au contexte dans lequel elle se déroule, aux motivations qui l’ont inspirée et, à présent, aux moyens à mettre en œuvre pour aider ce pays, et la région dans son ensemble, à se stabiliser pour se développer.

Le débat de politique étrangère que nous avons eu ici même, avant-hier, a largement mis en évidence que, dans ce type de crise internationale, il s’agissait d’adopter une approche globale et de traiter non seulement les conséquences, mais aussi les causes.

Cette approche devrait donc tout naturellement nous inciter à nous interroger sur les valeurs qui fondent notre politique d’aide au développement, ainsi qu’à définir ses objectifs, ses enjeux et ses moyens. Il me semble que cette démarche vous a guidé, monsieur le ministre, quand vous avez pris l’initiative d’une large consultation, au travers des Assises du développement et de la solidarité internationale.

Or, depuis l’élection présidentielle et l’arrivée d’une majorité de gauche au pouvoir, le changement concret de l’action du Gouvernement dans ce domaine – hormis les importantes déclarations du Président de la République sur la nécessité de nouveaux rapports avec l’Afrique, qui viennent d’être rappelées – est encore peu perceptible.

Ainsi, le premier budget que vous avez présenté, même si vous avez eu peu de temps pour le préparer et s’il dépendait encore des choix du précédent gouvernement, a déçu. Les grandes orientations permettant une rupture avec la politique de Nicolas Sarkozy envers les pays du Sud n’avaient pas été annoncées, ni a fortiori mises en œuvre. Le changement, dans ce domaine aussi, tarde à venir.

Par exemple, l’objectif fondamental, parce qu’il conditionne tout le reste, de consacrer 0,7 % du revenu national brut, le RNB, à l’aide publique au développement, ne pourra être atteint, vos crédits étant en baisse de 200 millions d’euros. En 2013, vous n’y consacrerez que 0,46 % du RNB, soit un pourcentage de nouveau inférieur à celui de 2009.

Cette diminution venait encore accentuer la très fâcheuse pratique des gouvernements précédents d’inclure les annulations massives de dette dans les chiffres de l’aide publique au développement, artifice de dissimulation budgétaire qui permet de dissimuler la baisse de cette aide en gonflant artificiellement les statistiques officielles. Ces annulations de dette vont bientôt prendre fin.

Nous souhaitons que, pour votre prochain budget, vous ayez la volonté, ce dont nous ne doutons pas, mais surtout la possibilité, ce dont nous doutons quelque peu, de ne pas recourir aux mêmes artifices que vos prédécesseurs.

C’est une question fondamentale, qui détermine tout le reste. Car ce qu’il est convenu d’appeler la dette de ces pays provient en grande partie des politiques d’ajustements structurels qui leur sont imposées par les organismes internationaux bailleurs de fonds.

Enfin, dans votre budget, la part minime, soit 3,75 %, des revenus de la taxe française sur les transactions financières affectée à la solidarité internationale ne tenait pas compte non plus des promesses faites pendant la campagne électorale.

Nous sommes cependant optimistes et espérons que les choses changeront pour le prochain budget, puisque vos efforts et ceux de dix autres pays pour instituer cette taxe au niveau européen sont en voie d’aboutir.

Ces critiques étant faites sur le passé récent, nous saluons votre volonté de procéder à une véritable refondation de notre politique d’aide au développement, non seulement parce que le contexte et les enjeux ont considérablement changé en une dizaine d’années, et parce que l’aide au développement a elle-même changé de nature, mais aussi parce que la politique de vos prédécesseurs en la matière manquait de clarté, de cohérence, de pilotage et de stratégie.

Nous souscrivons aux objectifs généraux que vous proposez et aux priorités thématiques et géographiques que vous avez retenues. Parmi ces dernières, la priorité accordée à l’Afrique subsaharienne, à qui est réservé l’essentiel de nos subventions et de nos prêts, me semble impérative au regard de sa situation et des récents événements.

Veillons bien cependant, par des actes concrets, à rompre avec l’image d’une France pilleuse des richesses minières ou pétrolières de l’Afrique. Nouons de nouveaux partenariats, de nouvelles relations économiques avec les États, débarrassés des arrière-pensées de simple préservation de nos intérêts économiques et stratégiques, de nos marchés, de notre accès à l’uranium ou au pétrole.

À cet égard, il faudrait procéder à une réorientation du rôle dévolu à ce « bras armé » de la politique d’aide au développement qu’est l’Agence française de développement. Cet établissement public, qui fonctionne comme une banque, entretient savamment le flou entre sa politique de prêts et les dons accordés aux États. Il est nécessaire que l’AFD cesse d’échapper au Quai d’Orsay et que soit tranchée la question de l’autorité des ambassadeurs sur ses responsables locaux.

Il faut également revoir la notion de « vision globale du financement », qui mélange des choses de nature différentes. Elle englobe en effet l’aide publique au développement, mais aussi les investissements directs des entreprises, les flux financiers des migrants et les recettes fiscales des pays en développement. À cet égard, il est grand temps de se donner les moyens de bien différencier l’aide publique au développement de l’intervention économique privée.

Nous espérons donc voir se concrétiser bientôt les promesses faites en matière de taxation financière ou d’encadrement des paradis fiscaux, dont le processus, il faut le reconnaître, avait été déjà entamé par le précédent gouvernement.

De la même façon, nous apprécions que le Gouvernement ait annoncé sa volonté de renégocier les accords de partenariats économiques imposés par l’Union européenne aux pays africains.

Nous apprécions aussi positivement que le Gouvernement ne veuille plus amalgamer les dispositifs de financement du développement avec ceux de contrôle des migrations.

Sur le fond, il faut une volonté politique, car tout cela dépend de la mise en œuvre de stratégies économiques débarrassées de l’exigence de la rentabilité à court terme, afin que les économies des pays les plus pauvres ne soient plus dépendantes de l’aide internationale.

Dans ce domaine, notre pays pourrait donner l’exemple et agir en ce sens dans les instances internationales.

Ainsi, pour combattre le pillage des ressources dans les pays du Sud, le Parlement européen nous montre la voie. Pour lutter contre l’opacité au sein des industries extractives et d’autres secteurs économiques en proie à la corruption et à l’évasion fiscale, il tente de faire adopter une loi introduisant des obligations de transparence de la part des multinationales européennes et de celles qui sont cotées dans l’Union européenne.

Monsieur le ministre, nous attendons beaucoup des conclusions des Assises du développement et de la solidarité internationale. Nous souhaitons que vous preniez véritablement en compte les propositions de réforme de structure de ce secteur qui auront pu vous être faites.

Certes, tout n’est pas affaire de crédits, mais, à l’heure de nouvelles restrictions budgétaires, nous craignons que vous ne disposiez pas des moyens suffisants pour mettre en œuvre la refondation de notre politique d’aide au développement. J’espère que vous nous apporterez en la matière des réponses rassurantes.

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