Financement de la Sécurité sociale pour 2004 : question préalable

Financement de la Sécurité sociale pour 2004 : question préalable (Cottonbro - https://www.pexels.com/fr-fr/@cottonbro)

par Roland Muzeau

Monsieur le Président,
Monsieur la Ministre,
Mes chers Collègues,

Intervenant, l’an dernier, à cette tribune pour défendre votre première loi de financement de la sécurité sociale vous insistiez, Monsieur le Ministre, « sur le caractère central de la sécurité sociale dans la vie des Français, nous obligeant
vis-à-vis de nos concitoyens, en droit de nous demander une sécurité sociale de qualité, une véritable transparence ».

Vous faisiez état du manque de temps pour arrêter des mesures susceptibles de mettre fin au déficit de la sécurité sociale, héritage, selon vous, de la gestion du gouvernement précédent ; mais également des réformes indispensables pour garantir la solidarité et la qualité de notre système de protection sociale et de santé, vous tentiez ainsi, Monsieur le Ministre, de justifier le caractère de transition du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003.

Aujourd’hui, la première excuse ne tien plus. Ce gouvernement a disposé de tout le temps nécessaire pour être en mesure de réagir à la dérive des comptes sociaux. Les salariés les plus fragiles l’on appris à leurs dépens, lorsque la volonté politique est là, le gouvernement est tout à fait capable d’agir vite, au mépris souvent des exigences du dialogue social.
Il convient donc d’analyser l’absence de toute mesure nouvelle de recettes véritablement structurante pour le financement de la sécurité sociale. Il ne s’agit ni d’attentisme ni d’imprévoyance mais d’un choix délibéré dont nous mesurons déjà la gravité pour l’avenir même du système de protection sociale. Je reviendrai sur cet aspect.

Concernant le second argument, tiré de la volonté du gouvernement de ne pas réformer avant la réforme, là aussi vous usiez d’artifices ;Votre gouvernement ayant décidé de remodeler la politique du médicament, de lancer le plan hôpital 2007 pour ne citer que ces deux exemples.
Qu’à cela ne tienne, cette année encore, vous présentez, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, comme étant un texte de transition, et promettez que le budget de la sécurité sociale pour 2005 sera celui de la responsabilité !

Nous pensons quant à nous, que le présent texte doit être apprécié au regard d’autres projets gouvernementaux - qu’il s’agisse de la loi de santé publique ou de la loi relative aux responsabilités locales, toutes deux encore en navette ou, des ordonnances soit disant de simplification du droit. C’est donc tout autre chose qu’un texte d’attente dont il s’agit. De par sa philosophie d’ensemble, de par la mesure phare qu’il contient en matière de tarification à l’activité des établissements de santé. En raison aussi de ce qu’il ne contient pas, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 se révèle être une étape majeure de la future réforme qu’il préempte, même sur de nombreux points comme nous aurons l’occasion de le démontrer.

Dans ces conditions, la voie est largement ouverte aux solutions privilégiées de longue date par la droite et le Medef, que sont la mise en concurrence des acteurs et la privatisation de certains risques. Il est plus que probable, Monsieur le Ministre, que le projet de loi de financement de la sécurité sociale cette fois ci pour 2005 soit celui, non pas de la responsabilité de chacun des acteurs mais celui de tous les dangers pour les seuls assurés sociaux.
La notion de responsabilité partagée est une véritable tromperie à l’égard de nos concitoyens.
Libéraux que vous êtes, vous avancez « le sentiment de gratuité » comme une des causes principales des menaces pesant sur le système de santé. Il conviendrait donc de responsabiliser davantage. Qui ? Seraient- ce l’ensemble des acteurs du système, c’est-à-dire les médecins qui prescrivent ou les laboratoires pharmaceutiques à l’origine de l’offre ? Non vous visez uniquement les patients.
Comment ? En les culpabilisant bien sûr et en déplaçant sur eux la prise en charge de l’accès aux soins, directement ou indirectement d’ailleurs, les complémentaires augmentant leurs tarifs.

Depuis son retour aux commandes de l’Etat, la droite gouvernementale a largement privilégié cette voie de la pénalisation financière des assurés. En témoignent les mesures dites « d’urgence », d’augmentation de 22% du forfait hospitalier, de déremboursement de nombreux médicaments et vaccins, de réduction des droits des bénéficiaires de l’AME ou de l’APA.
Pour faire des économies de bout de chandelle vous n’hésitez pas, en conscience, à pénaliser les salariés les plus précaires, les bénéficiaires de l’AAH ou du minimum vieillesse, cinq millions de Français sans mutuelle ; a les amener à renoncer aux soins.

Cette atteinte au droit fondamental à la santé est inacceptable dans une société aussi riche que la nôtre. De plus, comme l’a souligné le docteur Claude Moncorgé, président de Médecins du monde, dans un entretien accordé au Parisien du 15 octobre dernier, « ces décisions sont, au contraire, un non-sens budgétaire, à long terme les patients concernés reviendront avec une pathologie plus grave et donc plus coûteuse. Par ailleurs, cette politique est totalement à contre-courant du discours actuel du gouvernement sur la nécessité de faire davantage de prévention »

Pourtant, le gouvernement persiste dans cette voie par le biais de PLFSS qui propose 1,8 milliard d’euros d’économie sur les dépenses de la branche maladie. L’encadrement de la procédure d’admission en affection de longue durée et le renforcement des contrôles sont prévus. Le non remboursement des consultations en vue d’obtenir un certificat médical exigé pour la pratique sportive est également inscrit.
D’autres mesures tout aussi injustes devraient suivre, qu’il s’agisse du déremboursement de l’homéopathie ou l’extension du délai de carence pour les indemnités journalières.
Toujours dans la même perspective de culpabilisation des patients, les députés UMP ont cru bon devoir en rajouter en introduisant plusieurs dispositions stigmatisant : je cite, les « consommateurs de santé inflationnistes et les fraudeurs » ! Je fais référence pèle mêle : au rapport au parlement sur les prestations indûment versées au titre de l’assurance maladie ; à l’information des assurés sociaux par le pharmacien sur le coût de leurs dépenses en médicaments ; à la présence d’une photo sur la carte vitale…

En revanche, le gouvernement continue de se dispenser d’assumer ses propres responsabilités dans la dégradation des comptes.
Pourtant, il ne fait pas de doute que ces choix économiques sont contreproductifs pour la croissance et que sa politique de l’emploi uniquement centrée sur les exonérations de cotisations sociales patronales, a de lourdes conséquences sur la qualité de l’emploi et les finances sociales.
Dois-je vous rappeler, messieurs, l’impact budgétaire d’une variation de 0,1point de masse salariale : 150 millions ?
Dois-je insister davantage sur le niveau jamais atteint des 20 milliards d’exonérations en faveur des entreprises ?

Est-il nécessaire que j’explique, comme l’a fait la Cour des comptes, qu’en acceptant pour des raisons électorales les augmentations des honoraires des médecins généralistes ou spécialistes, sans réelle contrepartie, ce gouvernement a pris le risque de creuser encore le déficit de l’assurance maladie. Ou bien, que je revienne sur l’hypocrisie de la politique gouvernementale concernant le médicament, la liberté des prix pour les laboratoires concernant les médicaments innovants et les dérives que nous connaissons ?
Vous n’avez pas fait, hier, la preuve ni de votre volonté, ni de votre capacité, à effectivement infléchir la situation pour reconquérir la protection sociale ; préserver l’égalité d’accès aux soins et la qualité du système.
Aujourd’hui nous ne pouvons accepter les risques que vous faites courir au système de santé en refusant d’aborder la question de la réforme de son financement.
Le précédent des retraites nous incline à penser que, la méthode et les objectifs du gouvernement son condamnables ; Ils méprisent le nécessaire consensus sur un sujet au cœur du contrat social et remettent en cause les fondamentaux qui ont présidé à la création de la sécurité sociale en promouvant une logique individuelle assurancielle.

Reproduisant la méthode qui a prévalu pour conduire la réforme des retraites, le gouvernement a installé le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie sans se préoccuper toutefois de sa composition pluraliste mais par contre, en prenant soin de cadrer sa mission.
Il a également commencé sa campagne de communication, vantant tour à tour la qualité du système de santé français ; affirmant son attachement à la sécurité sociale et aux principes fondamentaux qui la sous tendent ; admettant le caractère inéluctable de la croissance des dépenses ; diabolisant une situation financière certes difficile ; stigmatisant les assurés sociaux ; opposants ceux qui bénéficieraient de la gratuité totale d’accès aux soins à ceux qui peinent à y accéder, faute de complémentaire santé…

Mais ce gouvernement au delà des mots a aussi et surtout, serais-je tenté de dire, anticipé sur la réforme à venir, bien qu’il s’en défende.
La presse ne s’y est pas trompée au lendemain de l’intervention de Monsieur Raffarin devant le Haut Conseil de l’assurance maladie. Un article paru dans les Echos le 14 octobre 2003, commence ainsi : « le diagnostic n’est pas encore posé, mais le docteur Raffarin a déjà son idée sur la prescription. »
En bonne place des six pistes évoquées pour la réforme figure le nouveau contour de la solidarité collective. Nous savons ce que signifie pour vous, Messieurs de la majorité, « le juste équilibre entre ce qui relève de la solidarité nationale et de la responsabilité personnelle. »

Le gouvernement a beau dire qu’il n’entend pas préjuger du diagnostic du Haut Conseil et des décisions suivant la concertation, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 aborde déjà la question du panier de soins.
Qu’est-ce l’article 32 posant le caractère non remboursable des actes et prestations de soins effectués en dehors de toute justification médicale (certificat sportif notamment) si ce n’est une ébauche de définition de ce que la collectivité, en d’autres termes, la sécurité sociale est prête à couvrir et ce qui doit, à l’avenir, relever de l’assurance privée ?
L’article 5, visant quant à lui à améliorer la procédure de recours contre tiers, exercée par les caisses en cas d’accident corporels ne fait-il pas échos à l’interrogation du Premier Ministre, se demandant s’il « faut couvrir dans les mêmes conditions une fracture du bras causée par une chute dans la rue ou, par un accident de ski » ?

N’est-ce pas pousser, dès à présent, à la privatisation de la couverture d’un certain nombre de comportements induisant une prise de risque, comme le souhaitent les compagnies d’assurances ?
En plus de cette distinction, accident de la vie, prise individuelle de risque, touchant au cœur du système de protection sociale, le Premier Ministre, comme le souligne justement Le Monde du 15 octobre, semble reprendre à son compte la distinction entre « gros risques » et « petits risques », envisagée dès le rapport Chotard du CNPF en 1976, évoquée depuis sur les bancs de droite par J. Barrot notamment.
Vous comprendrez aisément, mes chers collègues, que nous soyons inquiets !
Ce choix idéologique de privatisation est aussi largement décliné à l’hôpital. Pour preuves :
Le plan hôpital 2007 déjà en application.

La tarification à l’activité, exemple par excellence des exceptions que s’accorde en permanence le gouvernement pour déroger au principe pourtant posé de gel de toute mesure structurelle avant l’été prochain.

En instillant une logique de rentabilisation financière dans des structures déjà déficitaires et, en exacerbant la concurrence entre le secteur public et privé d’hospitalisation, ce nouveau mode de financement ne manquera pas de mettre en péril le devenir des établissements publics et de conduite à trier les patients.
Pour preuve aussi, la mise en demeure récente adressée par Monsieur Mattéi aux 39 établissements de AP/HP de s’engager « sans délai » dans un effort de « rationalisation et de productivité » avec en ligne de mire le démantèlement de cette institution.

Là encore, le projet de loi de financement de la sécurité sociale risque d’accélérer les choses si l’amendement présenté par le rapporteur de la commission des affaires sociales, visant à basculer les hôpitaux parisiens dans le dispositif de la nouvelle tarification venait à être adopté.

Tous les exemples que je viens de passer en revue infirment ce que prétend le gouvernement. La réforme de l’assurance maladie est déjà bien avancée. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale de cette année, par les mesures structurantes qu’il contient est une passerelle supplémentaire vers la privatisation rampante de la sécurité sociale.
Pour prendre toute la mesure de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, il convient également de s’intéresser à ses carences, son manque d’ambition manifeste concernant principalement son volet financier mais aussi, les volets AT /MP et vieillesse.
Vous vous contentez, Monsieur le Ministre, de contenir et encore très imparfaitement, l’explosion des comptes sociaux. Pour la énième fois, les recettes classiques sont ressorties : augmentation du tabac, taxe sur les dépenses de promotion de médicaments…. Comment croire en la capacité de ces mesures pour enrayer le déficit ? Mais surtout, comment ne pas s’interroger sur leur nature ? Cette fiscalisation des ressources de la sécurité sociale n’est pas sans affecter, et vous le savez, la logique et la gestion de notre système de protection sociale.
En laissant ainsi se creuser le déficit des comptes sociaux, en augmentant substantiellement les charges financières pesant sur les régimes, vous préparez demain le « sauvetage » du système par des remèdes de cheval.
Nous venons de le voir, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale n’est pas vraiment un texte d’attente. Il n’est pas non plus un texte de clarification.
L’an dernier vous disiez, Monsieur le Ministre, vouloir que la loi de financement de la sécurité sociale retrouve de sa crédibilité, perdue au fil des ans, en raison notamment du dépassement de l’ONDAM.

Pour atteindre cette exigence de vérité, vous vous engagiez ici même, à présenter au printemps, un collectif sanitaire et social. Nous l’attendons toujours !
Cette année encore, en fixant à 4% le taux d’évolution de l’ONDAM, sans tenir compte de l’inflation et alors que la commission des comptes de la sécurité sociale évaluait sa hausse tendancielle à 5,5%, vous faites fi de cette exigence minimale de sincérité.
D’aucuns ici ne manquerons pas d’invoquer la suppression du FOREC comme preuve de la volonté du gouvernement de mettre fin à la tuyauterie dénoncée à juste titre.

Nous prenons acte de cette suppression. Des garanties devront être prises notamment pour s’assurer de réaffectation des recettes antérieurement affectées au FOREC notamment et, de l’entière compensation par l’Etat des exonérations de cotisations sociales.
Néanmoins, nous vous faisons observer que cet élément de transparence est largement contrebalancé par le fait que la reprise de la dette du FOREC reste à la charge de la CADES et non de l’Etat.

Pour conclure, mes chers collègues, je pense que vous l’aurez compris, en déposant cette question préalable, les parlementaires communistes ont surtout voulu s’interroger sur le sens du présent débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, eu égard au contexte que je viens d’évoquer.

Nous avons aussi voulu acter de notre refus de voir traiter un dossier majeur par petites touches. De voir anticiper une réforme que nous pensons dangereuse pour les conditions et le niveau des risques couverts par la sécurité sociale et, attentatoire aux principes ayant présidés à la création, en 1945, de la sécurité sociale qui depuis, a fait preuve de son efficacité et de son actualité.

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