Agir pour un nouvel âge de l’émancipation

Tribune parue dans le numéro d’avril du journal Initiatives.

La Délégation aux droits des femmes du Sénat, que je préside, a engagé tout au long de l’année 2012 une réflexion très large sur le thème « Femmes et travail ». Celle-ci nous a conduit à nous intéresser, tout particulièrement, aux travailleuses non qualifiées qui sont exposées à une précarité et à une pauvreté croissantes sous l’effet du sous-emploi et du temps partiel qui concerne pour 82 % des femmes.

En commençant nos travaux, nous avions le sentiment que l’entrée massive des femmes sur le marché du travail à partir des années soixante avait contribué à cette émancipation et constituait un phénomène social majeur. Mais il nous semblait aussi que cette mutation sociale restait inachevée et - c’est plus grave- que la dynamique de l’égalité dans le travail marquait le pas depuis les années 1990. On était même confronté à une précarité et à une pauvreté croissante des femmes travaillant sur des emplois peu qualifiés. Nous souhaitions vérifier cette impression et examiner les moyens de relancer la dynamique égalitaire. Nous alors privilégié une approche systémique qui replace le travail au cœur d’un nouvel ordre social émancipateur.

Les femmes ont toujours travaillé, le taux d’activité féminin tournait autour de 35 % dans la première moitié du XXe siècle, mais une large partie de ce travail restait invisible, car non rémunéré. Ce qui est nouveau à partir des années 1960, c’est l’essor de l’emploi salarié féminin qui a constitué un puissant facteur d’émancipation économique et sociale des femmes. Les femmes représentent aujourd’hui près de la moitié de la population active. Mais cette apparente égalité numérique recouvre une réalité qui reste asymétrique et inégalitaire. L’entrée massive des femmes dans le travail salarié n’a pas fondamentalement remis en cause un ordre sexué qui demeure inégalitaire.

Les inégalités salariales sont le révélateur de cette recomposition inégalitaire de l’ordre sexué. L’emploi féminin reste ainsi marqué par trois caractéristiques majeures. Il est fortement concentré sur un nombre restreint de métiers et de secteurs et il correspond souvent à des emplois peu qualifiés, moins valorisés et exercés à temps partiel entraînant une surreprésentation des femmes parmi les bas salaires. Seconde caractéristique, le « plafond de verre », ces blocages qui pénalisent les carrières des femmes et les freinent dans l’accès aux postes dirigeants.

Enfin, troisième caractéristique de l’emploi féminin : sa bipolarisation croissante. La réussite scolaire et universitaire des femmes est incontestable. Elle permet à certaines d’atteindre un haut niveau de qualification et d’accéder à l’emploi dans des conditions convenables même si leur déroulement de carrière reste inférieur à celui des hommes. Mais à l’autre extrémité, les femmes non qualifiées sont exposées à une précarité et à une pauvreté croissantes sous l’effet du sous-emploi et du temps partiel. Les femmes constituent ainsi 75 % des salariés à bas salaires : la pauvreté au travail a donc, trois fois sur quatre, un visage de femme. À l’appui de ces constats, le rapport issu de nos travaux propose donc un certain nombre de pistes pour accéder au « deuxième âge de l’émancipation des femmes ».

Il nous est apparu indispensable de conjuguer deux approches complémentaires et indissociables : il faut à la fois faire évoluer le monde du travail et engager une évolution de la société tout entière et un changement des mentalités. À ce titre, la délégation a exprimé une attente particulière à l’égard du système éducatif dans son ensemble pour lutter contre les stéréotypes sexués. Ainsi les 26 recommandations adoptées par la délégation tendent vers deux axes. D’une part, à faire évoluer le monde du travail en proposant un nouvel encadrement juridique du temps partiel – que la majoration salariale s’applique dès la première heure complémentaire, que les interruptions de travail et les délais de prévenance soient plus strictement encadrés - une revalorisation des emplois féminins et une meilleure mixité dans les différents métiers.

D’autre part, ces recommandations tendent à rechercher un nouvel équilibre entre les sexes dans l’articulation des temps de vie, à travers une réforme des congés de parentalité et de paternité et un développement des structures d’accueil pour les jeunes enfants et les personnes dépendantes. La délégation considère qu’une relance de l’égalité femmes-hommes dans le travail appelle cette réponse globale, par une approche systémique qui replace le travail au cœur d’un nouvel ordre social émancipateur.

Le rapport et ses 26 recommandations

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