Budget 2004 : agriculture

Budget 2004 : agriculture (Flambo - https://www.pexels.com/fr-fr/@flambo-388007)

par Gérard Lecam

Le budget 2004 de l’agriculture n’échappe pas aux restrictions budgétaires et le mécontentement grandit chez les agriculteurs, les marins et les retraités.

 « C’est un budget qui ne peut pas améliorer le moral des agriculteurs », dit M. de Benoist, de la F.N.S.E.A. La profession s’attendait à beaucoup mieux, venant d’un gouvernement qu’elle a largement contribué à mettre en place…

 L’année n’aura pas été brillante : gel au printemps, sécheresse cet été et crises durables, notamment dans le secteur de l’aviculture et du porc, en Bretagne tout particulièrement, accord du 26 juin dernier, aussi, qui aggrave encore une P.A.C. dont nous n’avons partagé ni les objectifs, ni les moyens, ni les finalités.

 Enfin, l’échec des négociations de l’O.M.C. à Cancun laisse le champ libre à la loi des plus forts. Cet échec favorise les accords bilatéraux au détriment d’une réglementation mondiale garante d’un développement harmonieux et équilibré.

 On ne peut appréhender les questions agricoles sans avoir à l’esprit les interactions des niveaux locaux, communautaire et mondial. Mais n’en profitons pas pour rejeter les responsabilités sur l’autre !

 Ce budget recule de 3,8 %. Le changement de périmètre et les redéploiements portant sur le F.N.D.A.E. et le service public de l’équarrissage ne contribuent pas à en faciliter la lecture.

 Les crédits prévus pour les C.T.E. et les nouveaux « contrats d’agriculture durable » (C.A.D.) s’élèvent à 225 millions d’euros et ne suffiront pas à financer les C.T.E. Il est vrai que les C.A.D., faute de décret, restent cloués au sol un an après leur création. Le succès et le coût des C.T.E. vous ont-ils effrayé, monsieur le Ministre ? Les C.T.E. étaient, il est vrai, la mesure phare de cette loi d’orientation que vous avez combattue.

 Les fonds prévus pour lutter contre les crises agricoles et préserver la régulation des marchés sont en retrait : la conjoncture exigerait une tendance inverse.

 Le service public d’équarrissage sera désormais prélevé au niveau des abattoirs et cofinancé par la taxe d’aide au commerce et à l’artisanat (T.A.C.A.) dont les fonds étaient destinés à l’origine aux petits commerçants, afin d’atténuer les dégâts que leur causait la grande distribution.

 Les excédents de la T.A.C.A., plus de 90 millions d’euros en 2002, allaient déjà au budget général, plutôt qu’au petit commerce. Désormais, c’est le sens même de la taxe qui est détourné. Veillons à ce que le financement du S.P.E. ne se répercute ni sur les producteurs, ni sur les consommateurs, ni sur les salariés qui travaillent dur pour un faible salaire.

 Enfin, les crédits destinés à valoriser des produits et à favoriser l’exploitation, sont également revus à la baisse.

 Je ne peux que déplorer la baisse de 20 millions d’euros sur le versement compensateur de l’O.N.F., ainsi que la suppression des postes de fonctionnaires à l’office et le doublement des frais de garderie qui va en résulter. En effet, alors que les conséquences de la tempête de 1999, cumulées à celles de la canicule de cet été, ont fragilisé le monde rural, le gouvernement se désengage ! Ce sont les communes forestières qui devront en supporter le coût. Or l’entretien et la surveillance des forêts restent encore le meilleur moyen de prévenir les incendies. Les conséquences néfastes de vos arbitrages budgétaires ne tarderont pas à apparaître. Et à l’heure où le gouvernement ne cesse de réaffirmer son attachement au principe de Johannesbourg en matière de développement durable, votre budget dément cette volonté. Quelle crédibilité aura la France sur la scène internationale ?

 Les revenus de l’agriculture française sont insuffisants et composés à 55 % d’aides : c’est aberrant. La remise en cause des aides à l’exportation et le découplage partiel vont bousculer cet édifice déjà fragile.

 Les aides devraient servir prioritairement à compenser les handicaps liés au milieu naturel, à l’activité, à la taille des exploitations.

 La politique des prix basés sur le prix mondial culpabilise le monde agricole, dévalorise son travail, déstabilise l’agriculture européenne et rend dépendants les pays en développement.

 Il faut évoluer vers des prix liés aux coûts de revient, en rapport avec le niveau de vie du pays, en contrôlant le jeu subtil et destructeur des importateurs, en leur interdisant la vente à perte et les marges abusives.

 Pourquoi les intégrateurs ruinent-ils des aviculteurs en leur refusant un centime de franc par œuf ?

 Répercuté dans le prix au détail, cela ne renchérirait que de deux centimes d’euros la douzaine d’œufs !

 Le cours du porc se situe autour d’un euro le kilo depuis des mois, alors que la survie des producteurs exige 1,40 euro. Imposons ce prix aux groupements d’acheteurs, interdisons la vente à perte. Un porc transformé est vendu jusqu’à huit fois le prix payé au producteur.

 Seule une agriculture rémunératrice permettra aux agriculteurs de se moderniser, d’investir dans l’environnement, d’avoir une capacité contributive supérieure au volet social et surtout de donner envie aux jeunes générations de s’installer.

 Notre groupe sollicite depuis longtemps les gouvernements pour obtenir qu’une aide substantielle soit accordée aux très nombreuses installations, hors dotation aux jeunes agriculteurs. La profession et son syndicat dominant avaient fixé la barre un peu haut à une époque où l’on ne répugnait pas à supprimer les plus fragiles pour que les autres s’en tirent mieux. Ayant cru déceler un changement d’attitude des syndicats, mais également des parlementaires de tous les bancs, je vous invite, monsieur le Ministre, à entamer des pourparlers avec la profession. Quelles sont vos intentions ?

 Cette mesure doit s’accompagner d’un plus grand investissement en faveur d’une agriculture durable, financée par des prix de vente rémunérateurs.

 Depuis dix ans, les prix augmentent, sous la pression de nos voisins européens, de la course à l’agrandissement et des mutations de la sociologie rurale. L’effet en est d’exclure l’installation de nombreux jeunes, d’empêcher la transmission des exploitations et de développer une agriculture industrielle.

 Les critères de détermination de la surface de référence doivent être revus. Il y a peu, j’ai visité une exploitation de 65 hectares qui, avec 260 chèvres et 90 brebis, fait vivre huit personnes. La valorisation et la qualité des produits peuvent bousculer bien des préjugés administratifs !

 Nous vous proposerons au cours du débat relatif à la loi rurale, une démocratisation des SAFER et leur attribution d’un droit préférentiel d’acquérir des terres en faveur des jeunes et d’une agriculture paysanne. Le développement des groupements fonciers agricoles (G.F.A.) peut lui aussi faciliter l’installation et la transmission.

 Enfin, nous préconisons une agriculture à dimension humaine, familiale ou associative, productive et non productiviste, respectueuse de l’environnement.

 Il y va de l’aménagement du territoire et de la vitalité de notre ruralité. Ce que nous combattons, c’est l’intégration qui paupérise le monde agricole, c’est l’agriculture industrielle qui pollue et qui échappe à la paysannerie au profit des financiers de l’agro-business ; c’est la chute dramatique du nombre d’exploitations dans nos campagnes.

 Enfin, à défaut d’une démocratisation de l’O.M.C. à la faveur d’échanges équilibrés et du développement des pays du tiers-monde comme de la garantie du droit des peuples à se nourrir eux-mêmes, il faudra peser pour sortir de l’agriculture de l’O.M.C.

 Le droit des pays à la souveraineté alimentaire doit être favorisé, par des échanges équilibrés et des coopérations renforcées. L’Europe et la France ont tout à gagner à soutenir une telle démarche, face aux États-Unis et au groupe de Cairns qui tentent d’asservir le monde par l’arme alimentaire.

 Sans sous-estimer vos combats au service de l’agriculture, monsieur le Ministre, nous pensons que votre budget, qui déçoit l’ensemble de la profession, ne peut nous convenir : nous voterons contre.

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