Les deux faces d’une même pièce

Tribune parue dans le n°85 d’Initiatives, été 2013.

Les choix austéritaires du gouvernement et de sa majorité au Parlement se confirment malheureusement de semaine en semaine. La situation économique se dégrade, notre pays est entré en récession économique, le taux de chômage des jeunes en France et en Europe atteint des sommets.

Tout confirme que les choix du gouvernement ne sont pas la bonne réponse à la situation de la France. Dans le même temps, l’OCDE, dans son rapport annuel sur les questions fiscales, indique avoir identifié l’existence de 400 schémas d’optimisation fiscale quand il y en avait 350 en 2011. L’ingénierie de l’évasion fiscale est donc toujours très prospère. Par ailleurs, un article récent du quotidien économique « Les Échos » décrivait l’augmentation sensible des activités de la « banque de l’ombre » (shadow banking), non régulée. Entre 2002 et 2011, ses actifs ont augmenté de 268 % pour atteindre un total de 67 000 milliards de dollars. Pour mémoire, le PIB de la planète entière se chiffre à 50 000 milliards de dollars, dont 2000 pour notre pays. L’argent grandit, se développe et se réorganise en permanence pour échapper à l’impôt.

Les banques traditionnelles qui sont l’objet de lois bancaires, bien timides, visant à encadrer leurs activités sont donc délaissées au profit de zones plus obscures, opaques. L’évasion fiscale des uns se traduit ainsi par des pertes de recettes considérables pour les États et donc par l’austérité pour tous les autres. C’est à l’aune de ces chiffres que l’on mesure la trop faible portée de la loi débattue en juillet au Sénat visant à lutter contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Celle-ci a un goût d’inachevé prononcé. Chacun notera certaines avancées sur le sujet, d’abord la création d’un délit de fraude fiscale en bande organisée, d’un Procureur de la République financier et des peines de prison de 5 à 7 ans et des amendes de 500 000 à un million d’euros.

Toutefois, et c’est là où le bât blesse, ce que l’on appelle communément le « verrou de Bercy » n’est pas remis en question. C’est-à-dire que c’est toujours le ministre qui seul peut déposer une plainte et engager des poursuites judiciaires. Rappelons-nous ici que pour l’année 2011, 55 000 infractions furent constatées et 1000 plaintes déposées seulement. Le maintien de ce mécanisme a fait débat, y compris au sein du gouvernement, le Président de la République a tranché en faveur du monopole de Bercy en matière de poursuites, une décision qui suscite à l’évidence incompréhension et réprobation parmi les magistrats notamment. Car, il s’agit d’une nouvelle occasion manquée pour beaucoup d’observateurs et de militants de la lutte contre la fraude fiscale, une décision qui place de facto le procureur financier sous la tutelle de l’administration fiscale et aussi de l’avis conforme de la CIF, la commission des infractions fiscales. Les membres de la commission d’enquête dont je suis le rapporteur sont unanimement d’accord pour souhaiter la suppression de cette disposition.

En effet, notre groupe CRC a obtenu la création d’une nouvelle commission d’enquête centrée cette fois sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l’évasion fiscale. Ses travaux ont débuté le 5 mai et s’achèveront à la mi-octobre. L’intérêt des auditions que la commission organise se confirme de semaine en semaine. Retenons-en quelques-unes par les indications très intéressantes qu’elles nous fournissent, celle de Monsieur Bernard Petit par exemple, en charge au ministère de l’Intérieur de la lutte contre le crime organisé et la délinquance financière, qui met en évidence dans son intervention les liens

fréquents entre la délinquance en « col blanc » et la délinquance tout court, ou comment transférer 100 000 euros depuis un compte suisse non déclaré avec l’aide d’un trafiquant de drogue… Celle aussi de Fabrice Arfi , journaliste à Mediapart, auteur de l’ouvrage « L’affaire Cahuzac », qui démontre qu’entre toutes les affaires en cours, Takkiedine, HSBC, LVMH/Hermès, Bettencourt, Cahuzac il y a un invariant notable : à savoir les paradis fiscaux. Citons également celle de Jean-Jacques Augier, président de sociétés et trésorier de la campagne du candidat François Hollande, actionnaire de deux sociétés offshore dans les Îles Caïmans, par le biais de son holding financier Eurane à Hong Kong, qui nous explique très tranquillement être tout à fait favorable à la plus totale transparence (sic) !

Monsieur Augier qui, interrogé, nous dit n’avoir jamais mis les pieds aux Caïmans. Enfin l’audition de Monsieur Pierre Condamin-Gerbier, ancien banquier chez Reyl et Cie (la banque de Cahuzac) à Genève qui nous dit détenir les noms d’une quinzaine de ministres anciens et actuels, titulaires de comptes non déclarés en Suisse. « De droite comme de gauche » nous a-t-il précisé... Climat lourd ce jour-là parmi les sénateurs assistant à l’audition ! Depuis Pierre Condamin-Gerbier a rencontré les juges Van Ruymbeke et Le Loire et leur a remis ces éléments. Il faut désormais que la justice, sans entraves, fasse la lumière complète. Chacun mesure ici à quel point les enjeux financiers, politiques et moraux sont énormes. Ils sont même fondamentaux.

Les peuples se désespèrent de l’aggravation continue des difficultés, la défiance envers les responsables politiques s’est installée ; l’extrême droite grandit sur ce terreau. Il est urgent de construire une véritable alternative à gauche, tant il est vrai que la résorption des déficits ne peut constituer un objectif politique en soi. Il faut s’attaquer par la loi à la dictature de l’argent, et ce n’est pas une formule. La finance a pris le pouvoir, jusqu’au cœur des institutions. Le projet progressiste de demain, c’est l’instauration d’une nouvelle République qui s’affranchira de cette tutelle au nom des citoyens qu’elle doit représenter, seule issue pour sortir de la crise par « le haut », par et pour la démocratie, afin d’éviter le chaos régressif qui menace.

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