Au cœur de l’affrontement de classes

Tribune parue dans le n°85 d’Initiatives, été 2013.

Nos régimes de pension par répartition existent depuis une soixantaine d’années et nous montrent que nous avons assumé sans problème une croissance du poids des pensions dans le PIB très supérieure à sa croissance future.

Selon les projections du Conseil d’Orientation des Retraites, au cours des cinquante dernières années, les pensions sont passées de 5 à 13 % du PIB, alors qu’au cours des cinquante prochaines elles devraient passer de 13 à 18 % : le poids des pensions a été multiplié par 2,6 de 1950 à 2000, il devrait l’être par 1,4 seulement d’ici 2050. Sans aucun doute en affectant chaque année une petite partie du taux de croissance à une hausse du taux de cotisation patronale vieillesse, en ayant le courage de taxer les revenus financiers et en augmentant même légèrement les salaires, nous ferions face sans aucune difficulté au choc démographique si médiatisé. Le PIB double de volume tous les quarante à cinquante ans, ne l’oublions pas, jamais la société n’a produit autant de richesses !

Le dossier des retraites est donc tout sauf technique. Il pose lui aussi la question fondamentale de la répartition des richesses. Les gains de productivité doivent-ils aller à un nouvel enrichissement des actionnaires ou servir la justice sociale ? Telle est la vraie question. C’est pourquoi tout est fait par le pouvoir pour brouiller les pistes. L’affrontement de classes est masqué par de supposées inégalités jugées insupportables entre les salariés du privé et du public, régimes spéciaux en tête ! Les différences de génération sont aussi instrumentalisées pour faire accepter un recul majeur : la transformation du niveau des pensions comme variable d’ajustement du système de retraites.

Proposer comme le fait le rapport Moreau que soit calculé chaque année un coefficient d’indexation tenant compte de la croissance et de la démographie, c’est soumettre le calcul annuel des pensions aux orientations budgétaires et surtout remettre en cause la logique fondamentale du système de retraite par répartition : le droit à une pension de retraite prédéfinie. L’allongement de la durée de cotisation à 44 annuités rendrait par ailleurs vain le maintien de l’âge légal de départ à 62 ans. En effet, l’allongement des études, la multiplication des périodes de chômage ou de non activité (surtout pour les femmes) et la dégradation de l’emploi des seniors promettent une retraite à 67 voire 70 ans. La première conséquence de cette réforme sera donc encore une fois de faire baisser le niveau des pensions par les effets de la décote. En réalité, le rapport Moreau s’inscrit dans une commande gouvernementale elle-même inspirée des réformes précédentes.

Si cette mesure était adoptée, la baisse des pensions pourrait conduire chacun à trouver des solutions individuelles et ainsi faire gagner du terrain aux fonds de pension, tout comme les déremboursements et l’augmentation du reste à charge font le jeu des complémentaires privées. Les libéraux continueront pour leur part de plaider pour l’instauration d’un système par capitalisation. Les cotisations retraites génèrent des ressources importantes qui échappent au marché en raison de la nature même du système par répartition dont la matrice est la solidarité.

L’argent des cotisations, reversé immédiatement, n’est utilisable que par les bénéficiaires et échappe ainsi à la spéculation des fonds de pension et aux marchés financiers. Mais un système par capitalisation pourrait offrir à ces derniers des ressources considérables qui leur étaient jusque-là interdites. La retraite est donc au cœur de l’affrontement de classes. Il est plus que temps que le capital et l’argent de la spéculation, qui, aujourd’hui, détruisent plus d’emplois qu’ils n’en créent, soient enfin mis à contribution pour une réforme des retraites juste et viable, prenant l’argent là où il est, et garantissant le droit à la retraite à 60 ans sans décote ni nouvel allongement de la durée de cotisation.

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