Quel est l’intérêt d’adopter de nouvelles mesures que l’administration n’a pas les moyens d’appliquer ?

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la contrefaçon représente environ 10 % du commerce mondial. Tous les secteurs d’activité sont touchés par ce fléau, qui provoque chaque année la disparition de milliers d’emplois en France, alimente les filières du travail clandestin et entraîne des pertes de recettes pour l’État.

Surtout, la contrefaçon représente une menace pour la santé et la sécurité des consommateurs, et en raison de ses conséquences sanitaires et sociales, il est particulièrement important de lutter contre elle.

Toutefois, la protection des marques contre la contrefaçon ne doit pas occulter la nécessité de porter un regard critique sur les entreprises de marques qui délocalisent leurs activités dans des pays à bas coûts, aggravant ainsi le dumping social et la diminution des emplois industriels. Au nom des mêmes exigences de protection sanitaire et sociale, nous devons adopter une position ferme à l’égard de ces entreprises.

Selon nous, la lutte contre la contrefaçon doit viser surtout à préserver l’emploi et à protéger les consommateurs contre les produits dangereux comme les médicaments, les jouets et les pièces automobiles contrefaits. Telles sont, à nos yeux, les priorités.

Il faut toujours garder à l’esprit que la douane est une administration de service public, qui assure des missions régaliennes : en d’autres termes, elle ne doit pas être le bras armé des grandes marques privées. Du reste, très souvent, celles-ci ne poursuivent pas en justice les détenteurs de marchandises.

Après vous avoir présenté notre position générale au sujet de la lutte contre la contrefaçon, j’en viens à la proposition de loi soumise à notre examen. Nous estimons qu’elle va globalement dans le bon sens, en étoffant l’arsenal juridique à la disposition des douaniers pour lutter contre la contrefaçon. Toutefois, nous souhaitons formuler deux remarques importantes.

Premièrement, nous nous interrogeons sur l’intérêt d’adopter de nouvelles mesures juridiques lorsque l’administration n’a plus les moyens de les appliquer.

Nous ne nions pas la nécessité de parfaire notre corpus législatif, mais nous constatons que, aujourd’hui, le vrai problème de l’administration des douanes réside dans les baisses d’effectifs et de moyens : cette évolution est telle que les douaniers ne sont matériellement pas en mesure d’appliquer toute la législation existante dans des conditions optimales.

De fait, le service des douanes ressort particulièrement meurtri de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, qui s’est traduite, concrètement, par la disparition d’un emploi douanier par jour. Le nombre des agents, qui s’élevait à 22 000 au début des années 1980, est aujourd’hui d’à peine plus de 16 000. Les effectifs ont donc fondu d’un quart, au moment même où les services douaniers étaient bouleversés en profondeur.

Au risque de ne pas être exhaustif, il est impossible de passer sous silence des phénomènes comme l’accélération de la mondialisation, qui entraîne une explosion des échanges, la désindustrialisation de l’Europe et le développement exponentiel du fret aérien, en particulier du fret express, ainsi que du fret maritime, désormais totalement « conteneurisé », ou presque, pour les produits industriels.

Vous en conviendrez, la présence de douaniers sur le terrain pour procéder aux contrôles est primordiale. Pourtant, non seulement les conséquences des dégâts provoqués par la RGPP n’ont pas été tirées, mais l’avenir de l’administration des douanes à l’heure de la modernisation de l’action publique ne s’annonce pas plus brillant que son passé récent. En effet, une nouvelle diminution des postes est prévue cette année.

À la veille de l’examen par le Sénat du projet de loi de finances pour 2014, je tiens à insister sur ce sujet, avec l’espoir que des réponses suffisantes seront apportées aux revendications des douaniers, dont les syndicats appellent à une mobilisation, demain, à Paris.

En somme, s’il est important de renforcer notre arsenal juridique, il l’est encore plus d’augmenter ou de maintenir les moyens humains et budgétaires alloués à son application ; on comprend facilement que l’efficacité du premier dépend du niveau des seconds ! Or si les orientations suivies sont maintenues, elles auront des conséquences directes et immédiates sur la santé, la sécurité, l’emploi et l’économie.

Deuxièmement, nous estimons que la lutte contre la contrefaçon doit viser, avant tout, à assurer la protection sanitaire et sociale de nos concitoyens. En d’autres termes, l’État, sa justice et sa police ne doivent pas être au service direct des entreprises privées.

De ce point de vue, il est fondamental de mener une réflexion globale sur le champ d’application du droit de la propriété intellectuelle, dont la violation détermine la qualification de contrefaçon.

Je sais que le débat n’est pas particulièrement souhaité, mais le fait est que les agriculteurs, qui sont souvent accusés de contrefaçon, voire condamnés à des amendes, dénoncent notamment les dangers d’une appropriation du vivant et la remise en question non seulement des semences de ferme, mais également des variétés paysannes.

Droit de propriété intellectuelle et contrefaçon sont intimement liés, et même si nous porterons de nouveau les exigences qui sont les nôtres en matière de non-appropriation du vivant lors de l’examen du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, nous tenons, dans le présent texte, à présenter des amendements, afin d’exclure expressément un certain nombre de productions et de pratiques fermières, sous certaines conditions, de la qualification de contrefaçon.

Enfin, je voudrais déplorer encore une fois le mandat donné à la Commission européenne dans le cadre des négociations de l’accord de libre-échange transatlantique. Cet accord portera sur des questions liées aux droits de propriété intellectuelle. Or nous pensons qu’il devrait exclure toutes les dispositions afférentes, y compris celles qui sont relatives aux brevets, copyrights, marques et protections des données.

Nous ne souhaitons pas importer un système dans lequel des firmes de l’industrie chimique polluent les cultures et attaquent ensuite les agriculteurs pour contrefaçon. La Cour suprême des États-Unis a donné raison, en mai dernier, au géant de l’agrochimie Monsanto,…

M. Joël Labbé. Eh oui !

M. Gérard Le Cam. … dans un litige qui l’opposait à un producteur de soja de l’Indiana, accusé d’avoir enfreint ses brevets par l’utilisation de graines transgéniques. La Haute Cour a pris cette décision à l’unanimité, considérant que la protection intellectuelle « ne permet pas à un agriculteur de reproduire des graines brevetées en les plantant et en les récoltant sans détenir une permission du propriétaire du brevet ». Voilà à quoi nous nous exposons. À ceux qui nous opposeraient que l’on serait protégé par le certificat d’obtention végétale, le COV, je rappelle que ce type d’accord de libre-échange prévoit généralement un mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et l’État, introduisant donc la possibilité pour les entreprises et les investisseurs de porter plainte contre les États dont la réglementation serait considérée comme contraire à leurs intérêts, et ce afin d’obtenir des dommages et intérêts.

C’est pourquoi notre inquiétude est grande pour notre agriculture, face à la tendance actuelle d’accepter de breveter, non des inventions, mais des découvertes, et de les transformer en outil mercantile, alors même qu’elles devraient être au service de la recherche agricole, afin de favoriser la construction, avec les agriculteurs, d’un modèle agricole alternatif vertueux sur les plans social et environnemental.

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