Redonner du temps à l’école pour lutter contre l’échec scolaire

Redonner du temps à l'école pour lutter contre l'échec scolaire - Rythmes scolaires

Tribune parue dans le n°87 d’Initiatives.

L’annonce d’une refondation de l’école comme un engagement fort du quinquennat de François Hollande a suscité l’espoir légitime de voir porter un coup d’arrêt à la politique de déconstruction du service public de l’Éducation nationale par la précédente majorité de droite.

L’enthousiasme ne manquait pas parmi les forces progressistes du pays pour s’engager dans le beau projet de replacer au cœur d’un mouvement émancipateur pour toute la société, l’acquisition par tous et toutes de savoirs toujours plus étendus. C’est pourquoi, la première difficulté à propos des rythmes scolaires, question pertinente certes, mais non centrale dans la lutte contre l’échec scolaire, a résidé dans l’incompréhension d’une approche partielle et précipitée, alors même que Vincent Peillon annonçait une loi de refondation de l’école. Aujourd’hui, la question des rythmes cristallise une inquiétude et un mécontentement plus vastes.

Un mécontentement que la droite, UMP en tête, tente opportunément de récupérer à des fins électoralistes en vue des prochaines échéances. Cette même droite qui en 2008 sans aucune concertation a supprimé le samedi ; cette même droite qui a validé, budget après budget, la suppression de prés de 80 000 postes à l’Éducation nationale, sans doute aussi au nom de l’intérêt des élèves ! Mais dénoncer l’hypocrisie de la droite ne doit pas non plus conduire à refuser de prendre en compte les difficultés posées par cette réforme et à renoncer à créer les fondations suffisantes pour avancer vers une véritable démocratisation de l’école.

S’il est vrai qu’un large consensus existait sur la nécessité de revenir sur la semaine de 4 jours, un retour à 4 jours et demi – le rapport de la Conférence nationale sur les rythmes scolaires de 2010 l’avait d’ailleurs pointé – pose des difficultés en termes de gouvernance et de financement, pour le recrutement des personnels intervenants, leur formation, le taux d’encadrement, les locaux. Autant de points ignorés par cette réforme. Pour le financement, cette mise en œuvre intervient au moment même où la cure d’austérité, imposée dans la foulée de la décision de ratification par la France du TSCG, plonge les municipalités dans une grande inquiétude quant à leur capacité de réponses, notamment en termes de services publics. Rappelons que pour 2014, la dotation globale de fonctionnement va diminuer de 1,5 milliard d’euros, et que c’est le bloc communal qui est le plus touché.

Or, la réforme ne prévoit qu’un fonds d’amorçage, pensé en réalité pour inciter les communes à franchir le pas dès la rentrée 2013. L’objectif a fait long feu et face aux pressions des maires et de leurs associations, le fonds a été prolongé d’un an. Au-delà, à défaut d’un financement pérenne de l’État, les inégalités territoriales n’en sortiront que renforcées. Pour les intervenants, comme les difficultés à recruter sont réelles, il est prévu d’assouplir, sous condition, les taux d’encadrement en vigueur dans les centres de loisirs. Or, la réforme a justement fait émerger l’exigence, notamment chez les parents, de voir mis en place une offre périscolaire de qualité. Et si certaines communes disposent déjà de centres de loisirs, d’autres partent de zéro. De plus, il s’agit de gérer beaucoup plus d’enfants sur des temps courts.

Le deuxième aspect, bien moins commenté, est celui de la visée de cette réforme – « favoriser la réussite de tous les élèves » – au regard des moyens qui lui sont consacrés. A ce titre, il faut rappeler qu’en 2008, si Xavier Darcos a supprimé le samedi, il a surtout supprimé deux heures d’enseignement pour tous les élèves, réduisant la dotation horaire hebdomadaire de 26 à 24 heures, et introduit deux heures d’aide personnalisée confiée aux enseignants, tout en démantelant les Rased, ces réseaux d’enseignants spécialisés dans la prise en charge de la difficulté scolaire. Aujourd’hui, la réforme réintroduit une demi-journée de classe, mais maintient les 24 heures par semaine, à charge pour les communes d’occuper les espaces « libérés » par la réorganisation sur quatre jours et demi.

De la même façon, le principe de l’aide personnalisée, dont l’efficacité pour lutter contre l’échec scolaire est loin d’avoir été prouvée bien au contraire, n’est pas réinterrogé. Elle est transformée en « activités pédagogiques complémentaires » (APC) aux contenus élargis, et d’une durée réduite de moitié ! C’est là, sans doute, que réside l’écueil principal de cette réforme : ne pas redonner du temps à l’école, en réinterrogeant les pratiques pédagogiques, pour remplir sa mission première de faire réussir tous les élèves, alors que la loi de refondation de l’école reconnaît qu’ils sont tous capables d’apprendre et de réussir. Or, le fait d’être élève continue d’être présenté comme naturel. Cela n’a rien de naturel, sauf à penser que l’échec scolaire est lui aussi naturel. Comment nier que l’entrée dans les apprentissages scolaires est une construction sociale et culturelle ?

C’est à cette construction que la réforme des rythmes, mais aussi celle en cours de la formation des enseignants et celle à venir des programmes doivent s’attaquer en premier chef. Il faut remettre l’ouvrage sur le métier pour analyser les mécanismes de la difficulté et de l’échec scolaire, penser une école, un système public faisant refluer les inégalités scolaires, émerger une culture d’accès aux savoirs, à la culture et aux loisirs pour tous. Il faut donc rouvrir le débat et replacer la réflexion sur les rythmes dans une problématique plus vaste de rupture avec les déterminismes sociaux.

Et, disons le tout net, il faudra pour cela non pas moins, mais plus d’école ! Et disons-le aussi, le décret actuel sur les rythmes ouvre au contraire sur de graves hypothèques au premier rang desquelles une externalisation d’une partie des enseignements et le renforcement des inégalités territoriales et sociales. Nulle question ici de nier la nécessaire complémentarité des structures et des acteurs, mais bien de s’interroger sur comment articuler une politique éducative ambitieuse dans la cité, tout en confortant l’État et l’Éducation nationale dans leur mission.

Et, n’en déplaise à certains à gauche, ce débat, loin de nous handicaper, restitue de la légitimité à la gauche et la place en situation de relever le défi d’élévation des connaissances pour tous, car tous sont capables d’apprendre.

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