Ces prud’hommes dont le patronat veut la fin

Ces prud'hommes dont le patronat veut la fin - Suppression des élections prud'homales (Josh Hild - https://www.pexels.com/fr-fr/@josh-hild-1270765)

Entretien paru dans le numéro 88 d’Initiatives.


Le projet de loi supprimant les élections prud’homales et instituant la désignation directe des conseillers prud’homaux en fonction de la représentativité des syndicats ne sera pas examiné par le Parlement avant le printemps prochain. Ce report vous satisfait-il ?

C’est plutôt son maintien qui me surprend ! Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement socialiste multiplie les cadeaux au patronat et la grande bête noire du patronat, c’est la protection des salariés en général et les prud’hommes en particulier. Cette institution avait déjà fait l’objet d’attaques en bonne et due forme sous N. Sarkozy. Le gouvernement actuel ne fait malheureusement que terminer le travail de sape initié par la droite : la réforme de la carte judiciaire de Rachida Dati qui avait déjà supprimé un quart des tribunaux de prud’hommes, la réforme de la représentativité des syndicats de salariés en 2008, le report systématique des élections prud’homales depuis 2007, la réduction du champ de saisine directe des prud’hommes et des délais de contestation dans l’Accord National Interprofessionnel de janvier 2013… Toutes ces mesures participent du même projet de diminution de la fréquence d’implication nationale des salariés dans leur justice. La suppression des élections prud’homales finira d’affaiblir une institution dont le patronat veut la mort. Ce qui nous satisferait, c’est donc l’abandon définitif de cette réforme.

Le gouvernement invoque une participation très faible et un coût important pour justifier la suppression de ces élections. N’est-ce pas indéniable ?

Michel Sapin rivalise en effet d’imagination pour imposer ce recul démocratique. Il accuse un faible taux de participation pour justifier la suppression des élections prud’homales et un désintérêt des salariés pour ce scrutin puisque seul un sur quatre s’est exprimé lors des dernières élections en 2008. Mais si l’existence d’une abstention électorale justifie l’abolition d’une élection, devrait-on aussi supprimer les élections européennes ? Ce raisonnement ne tient pas. Sur l’argument financier, outre qu’elle n’a lieu que tous les cinq ans, cette élection coûte près de 100 millions d’euros soit un euro par an et par électeur potentiel à une élection prud’homale. Est-ce bien significatif si l’on compare ce chiffre aux 20 milliards d’euros accordés aux entreprises au titre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE ? C’est une question de priorité. Minorer l’importance de cette élection, c’est délégitimer une institution qui a une mission juridictionnelle essentielle pour la pacification des relations sociales, c’est signifier aux salariés que le gouvernement préfère accorder 30 milliards d’exonérations fiscales aux entreprises que de dépenser 100 millions pour faire respecter le droit du travail. De ce point de vue, il n’y a donc pas de rupture avec la politique menée par le gouvernement de N. Sarkozy lorsqu’on attend de ce gouvernement qu’il affirme haut et fort que la démocratie sociale n’a pas de prix.

Dans ce cas, pourquoi le gouvernement maintient-il son projet ?

De fait, cela est difficilement justifiable par la motivation d’assainissement des comptes publics au regard des montants concernés. Cette suppression des élections prud’homales souscrit néanmoins étrangement à quelques vœux du MEDEF pour 2014. Comme celui que l’organisation patronale renouvelle tous les ans, à savoir amoindrir la protection des salariés pour pouvoir sécuriser les licenciements, et d’autre part celui de ne pas pérenniser le principe de l’élection. Car la percée des entreprises de l’économie sociale et solidaire, qui ont obtenu 19 % aux dernières élections prud’homales dans le collège patronal, lui a infligé une douche froide qui justifie son refus de toute élection. C’est pourquoi le MEDEF souhaite que la représentativité patronale soit mesurée par le nombre d’adhérents et le gouvernement lui a donné raison. Depuis le début de son mandat, François Hollande mène sa politique de « réconciliation » de la gauche avec le patronat. On a pu constater qu’ils avaient si bien accordé leurs violons que le Président de la République a introduit son discours des vœux par la nécessité d’abaisser le coût du travail. La démocratie sociale faisait peut-être partie de ce coût.

Faut-il néanmoins faire évoluer ces élections, ou êtes-vous partisan du statu quo ?

Dominique Watrin. Si évolution il y a, il ne peut se faire sans l’accord des organisations syndicales. Or la CGT, FO et la CFE-CGC se sont, au sein du Conseil supérieur de la prud’homie, opposées à cette contre-réforme. L’UNSA, Solidaires et les employeurs de l’économie sociale ont également exprimé leur attachement aux élections prud’homales. Si le gouvernement a choisi la méthode la plus expéditive, il y a d’autres moyens de faire remonter le taux de participation, au travers notamment d’un effort sur la sensibilisation des électeurs, d’une meilleure organisation du scrutin, ou encore d’autres modalités de vote. Car le taux d’abstention est également lié à l’organisation du scrutin : l’éloignement entre le lieu de travail et le lieu de vote, le manque d’informations et l’absence de temps dégagé sur le temps de travail pour voter sont aussi à l’origine de ce faible taux de participation. En 2008 par exemple, seuls les salariés travaillant à Paris ont eu la possibilité de voter par Internet, les autres ont dû se déplacer dans un bureau de vote ou voter par correspondance. Par ailleurs on pourrait réfléchir à un autre mode d’élection au sein des entreprises, en lien avec les instances représentatives du personnel ainsi que l’ont proposé les syndicats. Les solutions existent. Reste à tendre l’oreille du bon côté...

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