Nous devons soutenir la filière française du véhicule électrique

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi qui marque indéniablement une volonté de prendre en compte les enjeux industriels et environnementaux liés au développement de la filière des véhicules électriques.

Il s’agit en effet d’un enjeu majeur pour la transition écologique et énergétique. Il est clair que nous devons soutenir la filière française du véhicule électrique, qui constitue un gisement d’emplois, à l’instar de l’ensemble du domaine du développement durable. Aujourd’hui, les constructeurs automobiles français détiennent 80 % du marché national du véhicule électrique : c’est considérable.

L’enjeu écologique de réduction des émissions n’est pas moins important. En effet, la moyenne actuelle des émissions du parc automobile français est encore de 176 grammes de CO2 par kilomètre. Elle devrait être ramenée à 130 grammes par kilomètre en 2020. Dès lors, le véhicule électrique peut et doit jouer un rôle majeur dans le recul de nos émissions de gaz à effet de serre. Il y va d’ailleurs de la santé de nos concitoyens.

Pourtant, le parc de bornes de recharge – on en compte environ 8 000 – est aujourd’hui assez peu développé, malgré les incitations financières décidées dans le cadre du grand emprunt pour soutenir les collectivités territoriales, seules compétentes à l’heure actuelle en matière d’implantation de bornes sur leur territoire.

Cette faiblesse du parc de bornes de recharge est un frein objectif à l’essor de l’usage des véhicules électriques, même si, nous le savons tous, le prix de ceux-ci en constitue un autre tout aussi important, sans parler du problème de l’autonomie ni de la dimension culturelle évoquée il y a un instant par M. le rapporteur.

Au fond, nous considérons comme un progrès le fait que le Gouvernement reprenne la main sur ces questions d’avenir, même si nous regrettons que cela passe par une proposition de loi, ce qui prive les parlementaires d’une étude d’impact.

En effet, jusqu’à une période récente, le Gouvernement n’envisageait pas la création d’un opérateur national d’infrastructures de recharge pour installer un réseau de bornes qui viendrait compléter celui mis en place sur l’initiative des collectivités territoriales. Il arguait alors du fait que les collectivités devaient rester seules compétentes en la matière, au motif, qui ne semblait pas déterminant, qu’elles seules connaissent les flux des trajets entre domicile et lieu de travail sur leur territoire.

La volonté ici affirmée de permettre à l’État de jouer un rôle pour garantir l’égal accès de tous à ces équipements est un progrès, qui crédibilise l’annonce d’un effort dans le plan de soutien à la filière automobile de 2012.

Cependant, certains aspects de cette proposition de loi posent question. Ainsi, aux termes du texte, l’État pourra déployer ces infrastructures de recharge soit pour son propre compte, soit par l’intermédiaire d’un opérateur national dans lequel il détiendra directement ou indirectement une participation. La participation dans l’opérateur national pourra être détenue par le biais d’un établissement public comme l’ADEME, voire, plus indirectement, par celui de la Caisse des dépôts et consignations.

Soyons clairs : il est évident que ce n’est pas l’État qui va accomplir cette tâche ; c’est donc un opérateur national. Le seul critère actuellement prévu pour assurer un contrôle sur cet opérateur est la participation de l’État au capital, par voie directe ou indirecte. Nous savons également que le projet de l’opérateur devra être validé par les ministres chargés de l’énergie et de l’environnement.

Nous estimons que ces éléments, si positifs soient-ils, ne constituent pas une garantie de contrôle suffisante. C’est pourquoi nous aurions souhaité que la loi soit plus claire quant au cahier des charges imposé au futur opérateur.

Sur le fond, nous considérons en effet qu’il revient à la représentation nationale de vérifier que les conditions de mise en place de ce réseau de bornes de recharge de véhicules électriques sont conformes, par exemple, à un bon aménagement du territoire. Nous proposerons d’ailleurs, par voie d’amendement, que les ministres concernés viennent présenter les projets, une fois ceux-ci définis et prêts à être validés, devant les commissions parlementaires compétentes.

Associer les parlementaires à la démarche et vérifier que l’esprit de ce texte sera respecté : tel est notre objectif. Il importe en effet de permettre aux parlementaires d’apprécier concrètement les critères qui guideront le choix du prestataire, ainsi que les obligations qui pèseront sur celui-ci. Nous en avons parlé en commission, monsieur le rapporteur, et nous avons conclu qu’il fallait entendre le Gouvernement sur ce point.

Vous nous jugerez peut-être tatillons, monsieur le ministre, mais je dois dire que nous avons tous été échaudés par le scandale d’Ecomouv’. Nous sommes donc particulièrement vigilants sur ces formes de partenariat public-privé, car il peut arriver – cela a déjà été le cas – que les intérêts de l’État, et donc de nos concitoyens, soient mal garantis. Nous parlons là, certes, d’un marché limité, puisque vous estimez le besoin de financement de ces équipements à hauteur de 200 millions d’euros, mais c’est pour nous une question de principe.

M. Philippe Bas. Il y a un bon usage du partenariat public-privé !

Mme Évelyne Didier. Par ailleurs, eu égard à la taille des entreprises qui ont fait part de leur intérêt – Bolloré ou EDF et Nissan –, il est clair que, une nouvelle fois, seuls les grands opérateurs privés seront à même de se porter candidats.

S’agissant d’un réseau dont la mise en œuvre n’est pas extrêmement complexe, il aurait pu être utile de faire une place à des entreprises plus petites, sans les mettre dans une situation de sous-traitance qui, on le sait, présente pour elles un certain nombre de désavantages. Le contrôle de l’État doit permettre que le développement de ces infrastructures de recharge favorise aussi le tissu économique local.

En outre, si la proposition de loi associe les collectivités territoriales, en prévoyant que leurs organes délibérants devront se prononcer sur la délivrance des titres d’occupation du domaine public, aucune garantie n’est apportée quant aux éléments de politique tarifaire qui s’appliqueront pour l’exploitation de ces bornes. Comment seront fixés les tarifs d’exploitation ? Quelles seront les conditions de vente d’électricité à ces opérateurs ? Sommes-nous en mesure de solliciter des tarifs préférentiels ? Quel contrôle public pourra s’exercer sur l’opérateur ? Autant de questions qui n’ont pas obtenu, pour l’heure, de réponse suffisamment précise. Peut-être pourrez-vous nous apporter de nouveaux éléments, monsieur le ministre ?

À l’Assemblée nationale, vous avez simplement assuré que le Gouvernement veillerait à l’équilibre global du dispositif, pour faire en sorte « que le tarif soit à peu près le même sur tout le territoire […] et surtout pour que tout le territoire soit à peu près maillé ». Avouez qu’il y a beaucoup d’« à peu près » dans cette réponse !

Autre zone d’ombre : le maillage proprement dit est national, certes, mais comment sera-t-il constitué dans chaque région ? Si l’on peut penser que les autoroutes et les zones les plus densément peuplées seront rentables, et donc rapidement équipées, quelles obligations précises pèseront sur le ou les opérateurs pour que ne subsistent pas de zones blanches ? Là encore, nous manquons d’éléments.

M. le ministre a indiqué que la couverture du territoire ne devrait pas poser de problème, mais nous estimons que nous nous trouvons, une nouvelle fois, dans un schéma où il s’agit de faire confiance au privé pour remplir une mission de service public, en tout cas d’intérêt général. Nous connaissons malheureusement les résultats de l’équation : en l’absence d’obligations précises pesant sur les futurs opérateurs, il est à craindre qu’ils iront implanter les bornes là où la rentabilité est assurée.

Je poserai une dernière question : quel sera le niveau de rétribution des opérateurs ? Là encore, le cas d’Ecomouv’ incite à la méfiance.

Pour conclure, si nous regrettons les conditions de consultation et d’association du Parlement, ainsi que la faiblesse des critères de validation des projets, nous voterons néanmoins cette proposition de loi. Les enjeux de transition écologique commandent en effet de favoriser le développement de la filière des véhicules électriques, en donnant la possibilité matérielle à nos concitoyens de s’équiper de tels véhicules.

Nous voterons aussi ce texte parce que son dispositif permettra l’implantation sur le territoire des communes d’infrastructures de recharge des véhicules électriques sans qu’elles aient à investir. Dans le contexte actuel de disette budgétaire et de baisse des dotations, c’est un élément appréciable.

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