Nous restons hostile à la privatisation de missions régaliennes

Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire n’emporte pas de véritables changements. Il reste fidèle à l’esprit et à la lettre du projet de loi initialement discuté. C’est pourquoi il appellera de notre part les mêmes remarques, les mêmes réserves et le même vote.

Dans quelques instants, je reviendrai brièvement sur les points d’achoppement. Au préalable, je tiens à exprimer à nouveau notre scepticisme quant à la satisfaction des buts visés en termes d’activités et d’emplois. En effet, selon nous, le recours aux sociétés armées privées n’est pas de nature à empêcher le dépavillonnement des navires sous pavillon français de premier registre. Les pavillons de complaisance, comme le pavillon anglais, exercent malheureusement, au détriment de notre filière nationale, et y compris sur les lignes maritimes qui ne nécessitent pas de mesures de sécurité renforcées, une attractivité accrue auprès des armateurs. Les normes fiscales ou sociales de ces pavillons engendrent une concurrence déloyale au détriment des personnels et de l’excellence de notre filière maritime tout entière.

Monsieur le secrétaire d’État, vous l’avez souligné en première lecture, « la flotte de commerce française est un acteur économique d’importance décisive pour notre pays ». L’étude d’impact évoque 500 emplois créés, et le Gouvernement espère consolider les milliers d’emplois qui restent. Or, entre 2008 et 2012, 2 600 postes ont été supprimés.

L’actualité concernant notre filière maritime, portuaire et navale, ne pousse pas d’avantage à l’optimisme. En réalité, la marine marchande française est menacée de disparition en raison de la concurrence mondiale responsable de la dégradation de l’emploi. Dans ce contexte, nous craignons que les mesures de renforcement de la sécurité ne soient pas à même de changer la donne.

J’en viens à présent au but premier du projet de loi : renforcer la sécurité des navires menacés par les attaques de pirates.

Nous avons exprimé nos doutes quant à l’efficacité des mesures proposées, au regard du nombre minimum de gardes embarqués – j’ai bien compris qu’il s’agissait d’un plancher –, des différentes langues parlées, de la présence simultanée des instances de décisions à bord, de la question de la responsabilité du capitaine, de l’incompatibilité de telles missions avec le régime juridique de la légitime défense comme de l’absence de garanties relatives à la formation et à l’aptitude des agents recrutés. Toutes ces craintes, nous les réitérons aujourd’hui, même si vous nous expliquez que les précautions sont prises. Les éléments que je viens d’énumérer nous poussent à la plus grande prudence dans l’appréciation de la solution préconisée pour le renforcement de la sécurité des équipages.

De plus, le projet de loi s’inscrit dans une marchandisation de la sécurité privée armée qui se développe dans les zones de conflits ou sous tension.

Selon l’Organisation maritime internationale, l’OMI, l’État du pavillon devrait décourager le port et l’usage d’armes à feu par les marins pour leur protection ou la protection de leur navire. Elle considère en effet que « l’usage de personnel de sécurité peut engendrer une escalade de la violence ».

Dans ce contexte, nous avions évoqué la question de la responsabilité de l’État du fait de la délégation de missions relevant naturellement de la puissance publique. Malgré la rédaction de l’article 8 du projet de loi, je le répète, il est plus que probable que, au sens du droit international, l’exercice d’une mission de surveillance armée dans les espaces internationaux et dans les mers territoriales étrangères, sur des navires arborant le pavillon de l’État, sera qualifiée d’exercice de prérogative de puissance publique.

Soulignons également que, en légalisant les gardes armés sur ses navires, la France s’exposera à certaines difficultés d’ordre juridique. Ainsi, la convention des Nations unies sur le droit de la mer prévoit que « la haute mer est affectée à des fins pacifiques ». Cette disposition implique notamment que les activités militaires en haute mer ne sont autorisées que si elles sont conformes aux principes de droit international prévus dans la charte des Nations unies, comme, par exemple, les opérations maritimes de l’OTAN et de l’Union européenne, dont le recours à la force a été autorisé par le Conseil de sécurité des Nations unies.

Dans une résolution en date du 2 juin 2008, le Conseil de sécurité a considéré que les sociétés militaires privées n’avaient pas la compétence pour exercer des activités militaires en haute mer. Elle autorise uniquement les États à utiliser la force pour réprimer les actes de piraterie et les vols à main armée en mer.

Les questions que nous soulevons ici ne constituent pas des hypothèses d’école. En octobre dernier, dix marins et vingt-cinq gardes privés travaillant pour une société de l’Ohio ont été arrêtés en Inde alors qu’ils convoyaient un navire de protection antipiraterie pour le compte d’une société militaire privée américaine. Ils ont été accusés de possession illégale d’armes. Le ministère des affaires étrangères britannique a concédé qu’il était en discussion avec l’Inde à ce sujet, bien qu’il ne puisse pas, selon ses propres termes, « exiger la libération des ressortissants britanniques, ou interférer dans les processus judiciaires d’un autre pays ».

Cette affaire illustre toute la difficulté de la lutte antipiraterie sur le plan international. L’agrément des gardes privés au niveau national ne préjuge en rien du statut de leur présence et de leur utilisation dans les eaux internationales, ou dans les eaux territoriales d’autres pays, au regard du droit international.

La législation nationale sur les armes de l’État côtier s’applique dans ses eaux territoriales et lui permet d’engager des poursuites pour non-respect de sa législation. Ainsi, les employés de sociétés privées de sécurité qui passent dans les eaux territoriales de Singapour sont-ils obligés de démonter leurs armes et de les placer dans un endroit verrouillé. D’autres États interdisent explicitement l’utilisation de gardes armés par les navires privés dans leurs eaux territoriales, considérant cela comme une violation de leur souveraineté.

Au regard de toutes les difficultés matérielles et juridiques auxquelles expose la légalisation de gardes armés privés sur les navires battant pavillon français, en raison de notre opposition ferme à la marchandisation et à la privatisation de missions de sécurité relevant de la puissance publique, les sénatrices et les sénateurs du groupe CRC voteront une nouvelle fois contre le projet de loi.

Retour en haut