L’absence de programmation financière est la principale lacune du texte

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les corapporteurs, mes chers collègues, en première lecture, le Sénat a sensiblement amélioré la rédaction du projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale. Pour l’essentiel, cette amélioration a consisté en une restructuration du texte lui-même, en une clarification de sa rédaction et en un léger renforcement de son caractère normatif.

Parmi les apports majeurs de notre Haute Assemblée à ce texte, il faut sans doute compter l’efficacité accrue du pilotage et de l’évaluation de la politique d’aide au développement. Nous avions également adopté le principe d’une profonde réforme de l’expertise technique, en rassemblant les différents opérateurs dans une agence unique.

Comme l’ont exposé nos deux rapporteurs, Jean-Claude Peyronnet et Christian Cambon, nous avons également enrichi ce texte sur d’autres aspects, sur lesquels je ne reviendrai pas, puisqu’ils ont rencontré l’accord de nos collègues de l’Assemblée nationale. Quelques divergences secondaires ont également été aplanies.

En revanche, le sujet des modalités de l’évaluation des politiques menées par l’Agence française de développement, l’AFD, par un organisme indépendant regroupant des services existants et celui du renforcement du contrôle du Parlement sur cet organisme ont fait l’objet d’une discussion plus poussée, mais elle a débouché sur un accord.

En effet, nous nous sommes entendus sur le mode de gouvernance d’un observatoire qui ne soit pas, selon l’expression familière, une « usine à gaz » et qui puisse être efficace.

Ce sujet n’est pas mineur : je dirais même qu’il est l’un des piliers de ce texte, au-delà de l’objectif poursuivi. Dans cette affaire, il est important que le Parlement puisse y voir clair dans l’activité de l’AFD, car, ce qui est également en jeu, c’est l’amélioration d’une des principales fonctions du Parlement : le contrôle de l’utilisation de l’argent public. C’est d’autant plus important que le domaine de l’aide au développement est resté pendant longtemps d’une grande opacité.

D’une façon générale, la question du contrôle parlementaire sur les politiques d’aide au développement est fondamentale. Jusqu’à présent, le Parlement devait se contenter du seul vote du budget de la mission « Aide publique au développement » – lorsque le débat avait lieu… Or cette mission représente à peine un tiers de l’aide totale, qui s’élève à 9,3 milliards d’euros et prend aussi bien en compte des annulations de dette, l’accueil des étudiants étrangers ou bien encore le secteur humanitaire.

Nous savons tous combien il est difficile d’avoir une vue d’ensemble sur une politique éclatée, entre l’aide bilatérale, l’aide transitant par l’Union européenne et les programmes internationaux, surtout quand entrent en jeu de multiples opérateurs, publics et privés, précisément très peu contrôlés.

Après avoir mentionné les aspects positifs du texte, je relèverai quelques-unes de ses faiblesses, qui risquent d’en atténuer la portée.

Je pense, en particulier, à l’insuffisance des dispositions qui devraient être mises en œuvre pour lutter contre l’opacité des transactions financières dans ce secteur d’activité et contre l’évasion fiscale que pratiquent certaines entreprises. À cet égard, je regrette que les modalités d’utilisation par l’AFD des places financières dites « offshore » ne soient pas plus strictement encadrées.

Ces différents aspects posent concrètement la question d’un contrôle plus efficace des sociétés multinationales, a fortiori lorsque ces dernières sont soutenues par l’AFD, qui, soulignons-le, est en grande partie alimentée par de l’argent public.

Dans le même ordre d’idées, je regrette aussi que les références précises à la responsabilité fiscale, mais aussi sociale et environnementale des entreprises aient été diluées au sein de l’expression, beaucoup plus générale, de « responsabilité sociétale ».

Nous aurions également dû procéder à une véritable réorientation de la vocation de l’AFD, qui privilégie des prêts concessionnels et finance trop souvent des projets sur la base de la rentabilité qu’elle peut en attendre. Je souhaite que cette exigence trouve sa place dans le prochain contrat d’objectifs et de moyens qui sera signé entre l’État et l’AFD.

Enfin, l’absence de toute programmation financière dans le projet de loi handicape lourdement la possibilité de mettre en œuvre concrètement une politique d’aide au développement véritablement différente. Il est évident que, sans moyens financiers pour les réaliser, les objectifs et le cadre de travail fixés par le présent texte risquent fort de demeurer des vœux pieux !

Certes, les efforts à produire en faveur de l’aide au développement ne sont pas tous d’ordre financier, mais ils se mesurent aussi en grande partie à l’aune d’engagements concrets. Or la réalité est que notre pays ne cesse de réduire les budgets qu’il consacre à ce secteur.

Ces dernières années, parmi les engagements de l’AFD, le montant des prêts bonifiés et des subventions accordés était en baisse et celui des dons aux pays les plus pauvres, africains pour la plupart, connaissait une diminution, ainsi que s’en était d’ailleurs inquiétée notre commission dans un rapport budgétaire.

Au final, s’il est pétri de bonnes intentions, le projet de loi laisse une impression d’occasions manquées : il ne procède pas à la profonde refonte de l’aide publique au développement que nous souhaitions tous à gauche. Cela dit, dans les limites que je viens d’indiquer, il présente des avancées que nous ne sous-estimons pas et que nous apprécions comme telles. Nous voterons donc le projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, dans la rédaction proposée par la commission mixte paritaire.

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