Droits des sans-papiers

par Marie-France Beaufils

 

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

La régularité du séjour d’un étranger n’est pas une condition au mariage, qui, je le rappelle, est une liberté fondamentale.

L’irrégularité du séjour constitue, elle, une infraction pénale. Ainsi, si l’officier d’état civil, a connaissance d’une situation irrégulière, il est tenu, en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale, d’en aviser le procureur de la République.

La démarche est toute autre si l’officier d’état civil doute de la sincérité du mariage. Dans ce cas, le signalement au Procureur s’effectue sur la base de l’article 175-2 du Code Civil.

Or, depuis le 1er janvier 2004, le Procureur de la République de Tours, sur la base des signalements au titre de l’article 40, fait convoquer les futurs époux par les services de police, dans le cadre de ce qu’il intitule « l’enquête mariage. » De nombreux étrangers en situation irrégulière sont placés en garde à vue puis en rétention administrative en Ile-de-France en vue d’une reconduite à la frontière. Or certains d’entre eux étaient préalablement connus des services de police, qui aurait pu les interpeller auparavant.

Pourquoi prendre prétexte d’un projet de mariage ? Plus grave encore, ces mariages ne peuvent pas avoir lieu dans ces conditions. Toutes les demandes visant à les célébrer ont été repoussées par le Procureur : avancée de la date, retour sous escorte du futur conjoint ; demande de requête de l’officier d’état civil au centre de rétention administrative.

Les associations de défense des sans-papiers, entretenues dans la confusion par les services de l’Etat, prennent à partie les maires de l’agglomération tourangelle. Ils leur reprochent d’être à l’origine des rétentions administratives, alors que les élus ne sont même pas officiellement informés de ces décisions.

L’attitude du Procureur de la République, la convocation et l’éloignement dans le cadre de cette « enquête mariage », ne conduit-elle pas de facto à faire de l’irrégularité du séjour un obstacle à la célébration du mariage ? Cela n’enfreint-il pas la décision du Conseil Constitutionnel du 26 novembre 2003, qui, comme en 1993, a rappelé que la situation irrégulière d’un étranger non seulement ne pouvait pas constituer un obstacle au mariage, mais ne constituait pas en elle-même une présomption de fraude ?

Mme GUEDJ, secrétaire d’État aux programmes immobiliers de la justice. - Je vous prie de bien vouloir excuser le garde des Sceaux. Je vous remercie de m’avoir posé cette question qui me donne l’occasion de préciser la politique pénale suivie en matière de lutte contre l’immigration clandestine et les mariages frauduleux.

Les dispositions de l’article 175-2 du Code civil autorisent l’officier d’état civil à saisir le procureur de la République dès lors qu’existe un indice sérieux laissant présumer que le mariage envisagé est frauduleux. Le simple séjour irrégulier ne saurait constituer en lui-même la preuve du caractère frauduleux de ce mariage, mais peut faire partie d’un faisceau d’indices qui conduisent les officiers d’état civil à saisir le procureur de la République. Le Conseil constitutionnel l’a rappelé dans sa décision du 20 novembre 2003 en indiquant que « le caractère irrégulier du séjour d’un étranger peut constituer, dans certaines circonstances, un indice sérieux laissant présumer que le mariage est envisagé dans un autre but que l’union matrimoniale ».

Le garde des Sceaux a donné des instructions de politique pénale, par circulaire du 13 mai 2003, afin que les parquets luttent avec efficacité contre les mariages simulés qui s’inscrivent souvent dans le cadre de réseaux internationaux. C’est dans le même esprit que la loi du 26 novembre 2003 a créé une nouvelle infraction qui punit le mariage blanc de cinq ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Le garde des Sceaux a rappelé aux procureurs la nécessité de faire procéder, à la fois, à des enquêtes civiles, pour s’assurer de la réalité de la volonté matrimoniale, et à des enquêtes pénales, dès lors qu’une infraction était constatée par les autorités. Les officiers d’état civil ont un rôle à jouer car en application de l’article 40 du Code de procédure pénale, ils ont l’obligation de porter à la connaissance du parquet toute infraction dont ils auraient appris l’existence dans l’exercice de leurs fonctions. Toutefois, lorsque le seul séjour irrégulier est reproché à un étranger, la voie administrative est préférée à la voie judiciaire. Il appartient ensuite à l’autorité administrative de décider si une mesure d’éloignement s’impose, en considérant la législation en vigueur et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, sur le droit à mener une vie familiale normale.

Dans l’hypothèse d’un arrêté de reconduite à la frontière, les officiers d’état civil n’ont pas compétence pour faire obstacle à la célébration du mariage si celui-ci est sincère, mais ils ont le devoir de le différer.

Contrairement à votre affirmation, la pratique du procureur de la République de Tours répond à la fois à la lettre de la loi, aux considérants du Conseil constitutionnel et aux directives de politique pénale qui récemment données par le garde des Sceaux.

Mme BEAUFILS. Votre réponse s’inscrit dans le cadre de l’article 175-2 du Code civil, or je faisais état de procédures engagées sur la base de l’article 40 du Code de procédure pénale, alors même qu’il n’y a aucune suspicion de mariage blanc. S’il ne s’agissait que de l’article 175-2, je n’aurais rien à y redire.

En tant que maire, j’ai reçu une circulaire du ministre de l’Intérieur présentant « nos nouveaux pouvoirs » et précisant que la loi donne pouvoir aux maires pour lutter contre les mariages blancs. La pratique du procureur de Tours ne s’inscrit guère dans cette perspective.

Quand vous avez cité la décision du Conseil constitutionnel, vous avez omis une matière importante : le Conseil a considéré que le caractère irrégulier du séjour d’un étranger peut constituer dans certaines circonstances, « rapprochées d’autres éléments », un indice sérieux. C’est justement l’absence de cette précision qui a obligé à modifier la rédaction initiale de l’article 175- 2.

L’interprétation que vous faites est abusive par rapport à ce que prévoit l’article 40.

 

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