Ce texte ne prévoit pas de droit prioritaire de rachat au profit des salariés

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire a suscité beaucoup d’espoirs lorsqu’il a été présenté à l’automne dernier au Sénat.

Nous y avons vu l’occasion de consacrer les principes fondateurs de la démocratie, de la solidarité et de la non-lucrativité, et avons fait des propositions afin de renforcer ce modèle économique alternatif, qui représente 200 000 structures et 2,4 millions de salariés.

Alors que nos citoyens sont de plus en plus exposés à la précarité, au chômage et au recul des services publics et qu’ils renoncent à des droits tout aussi fondamentaux que le droit à l’énergie, à la culture ou aux vacances, la dynamique sociale et économique de l’économie sociale et solidaire est un atout majeur pour notre pays.

Avec le présent projet de loi, le Gouvernement a choisi d’adopter une démarche inclusive et fait le pari de parvenir à convertir des acteurs de l’économie dite « traditionnelle » aux valeurs de cette économie sociale et solidaire.

De notre côté, nous avons discuté cette approche et fait le choix de l’encadrer autant que possible.

Lors du travail parlementaire, nous avons proposé des amendements qui ont été adoptés, permettant d’apporter des garde-fous : gouvernance démocratique, renforcement des réserves statutaires, inclusion des primes dans le calcul de l’écart des rémunérations.

Nous avons voté des dispositions positives, comme le guide de bonne pratique, l’inscription de l’exemplarité sociale, la révision coopérative, la définition de la subvention, la reconnaissance des monnaies locales.

Nous avons aussi, il faut le dire, émis des réserves sur certaines mesures, notamment l’agrément de plein droit, dont nous avons demandé la suppression, mais sans succès.

Nous avons également voté contre certains articles qui nous semblaient entrer en contradiction avec les principes fondateurs de l’économie sociale et solidaire. Je pense ici aux certificats mutualistes, à la disparition des prérogatives des sociétaires pour fixer le montant et le taux des cotisations des mutuelles ou encore aux articles relatifs aux fondations et fonds de dotations qui, selon nous, n’auraient pas dû entrer dans ce texte.

Il aurait été en revanche nécessaire de renforcer les contre-pouvoirs des salariés et des sociétaires, notamment dans les banques coopératives, les très grandes mutuelles, les grandes coopératives agricoles et les grandes associations de santé.

En outre, les articles 11 et 12 sont très en deçà des annonces du Président de la République, car ils n’instaurent absolument pas un droit de rachat prioritaire au profit des salariés, dès lors que ceux-ci souhaitent reprendre leur entreprise sous forme de coopérative. Seul un devoir d’information est prévu, avec un délai très bref, et il ne sera sans doute pas de nature, dans des situations tendues, à garantir l’exercice de ce nouveau droit par les salariés.

Toutefois, face aux velléités affichées par une certaine partie du patronat et par la droite dès qu’il s’agit de reconnaître de tels droits – je pense ici au recours devant le Conseil constitutionnel, qui a eu pour conséquence de vider encore davantage de ses exigences la loi du 29 mars 2014 visant à reconquérir l’économie réelle, dite « loi Florange » –, nous avons pris la responsabilité de soutenir, malgré ses faiblesses, le texte du Gouvernement.

Au regard de toutes ces remarques, les sénateurs du groupe CRC voteront ce projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire.

Cependant, si le Gouvernement souhaite réellement encourager un modèle économique plus juste, respectueux de la démocratie sociale, il doit également changer de cap dans la politique qu’il met en œuvre, plus généralement, dans le pays. Il est effectivement illusoire et irresponsable de croire à l’efficacité de l’austérité budgétaire, des exonérations de cotisations fiscales et des cadeaux fiscaux comme outils de relance de l’économie et de l’emploi.

Soyons clairs, dans le contexte économique actuel, le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire ne garantit en aucune manière la localisation des emplois et de l’activité économique, pas plus que la protection de tout ce qui permet à l’entreprise de vivre, notamment des titres de propriété intellectuelle, des brevets et des marques.

Ayons à l’esprit l’affaire de la société Smart Equipment Technology, la SET. Cette entreprise a finalement été reprise sous la forme d’une SCOP, alors même que le tribunal de commerce d’Annecy avait statué en faveur d’une autre offre de reprise, émise par un groupe américano-singapourien. La cour d’appel a donné la priorité au repreneur qui assurait « , à terme, le maintien du savoir-faire et des emplois sur le territoire national ». C’est à ce résultat qu’il aurait fallu aboutir dans la loi, pour permettre réellement l’ancrage territorial des activités économiques et, surtout, éviter que les savoir-faire et l’innovation ne soient pillés.

C’est pourquoi nous appelons de nos vœux l’organisation en urgence d’une veille, afin que plus une entreprise saine ne ferme faute de repreneur et que les salariés soient associés et aidés dans la reprise de leur outil de travail. Il s’agit là d’une question d’intérêt national, d’une mesure en faveur de tous.

En outre, l’utilisation de l’argent déposé dans les agences des banques locales pour des projets de développement utiles au territoire local devrait être l’une des préoccupations centrales du Gouvernement, la frilosité actuelle des banques ne contribuant pas à la relance de multiples projets porteurs d’emplois. Nous demandons également une remise à plat du code des marchés publics, afin d’inclure plus fortement les clauses sociales et environnementales dans les procédures d’appels d’offres.

Madame la secrétaire d’État, l’économie sociale et solidaire est née en réaction aux violences sociales. Elle s’est nourrie des expériences citoyennes solidaires et innovantes. Soyons vigilants et évitons qu’elle ne soit dévoyée et noyée dans une forme d’organisation économique qu’elle dénonce.

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