328 000 chômeurs de plus depuis la création du CICE

328 000 chômeurs de plus depuis la création du CICE - Loi de finances rectificative pour 2014 (Pixabay)

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d ’État, mes chers collègues, nous avions au départ une loi de finances initiale inscrite dans les critères de convergence européens. Elle se plaçait résolument sur la trajectoire de réduction des déficits publics et de maîtrise de la progression de la dette, à partir d’une « pause relative » en termes d’accroissement des prélèvements fiscaux et sociaux et de contraction – pour ne pas dire réduction, et pourtant c’est cela ! – de la dépense publique.

Sur le premier point, je ne sais si l’objectif est finalement atteint, mais on ne saurait évidemment oublier que le déploiement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi est allé de pair avec un nouvel accroissement des taxes sur la consommation, accroissement destiné à suppléer les moins-values de recettes attendues. C’est d’ailleurs plutôt un échec puisque le projet de loi lui-même indique que 2,9 milliards d’euros de recettes de TVA manquent à l’appel, au regard de la prévision déjà révisée du collectif de cet été.

Résultat : malgré les hausses de taux, la TVA nette perçue par l’État n’aura finalement augmenté que d’un peu plus de 1,5 milliard d’euros. C’est le résultat d’une croissance économique atone, se situant à environ quatre dixièmes de points de PIB.

Une croissance aussi limitée pose évidemment le problème de l’efficacité de certains engagements de l’État, notamment du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE. Sur ce point, les chiffres sont terribles.

Quand ce dispositif a été voté, en France, on dénombrait officiellement 3 132 900 chômeurs de catégorie A. Aujourd’hui, on en recense 3 460 900, soit une progression de 328 000 inscrits qui semble clairement montrer que les entreprises tardent quelque peu à traduire dans les faits les intentions affichées dans les enquêtes du comité de suivi du CICE en termes d’investissement et d’emploi. Il y a loin de l’engagement à la réalité !

Il serait sans doute facile d’accuser le Gouvernement de tous les maux et de toutes les responsabilités en la matière. D’autres ne manqueront pas de le faire, oubliant leurs piètres résultats quand ils étaient aux responsabilités. ..

En revanche, ce que l’on peut reprocher au Gouvernement, c’est d’avoir laissé penser que le dialogue avec les milieux socioprofessionnels suffirait et d’avoir cru les promesses d’un Pierre Gattaz, qui n’en est jamais avare. Or celles-ci ne valent sans doute que pour ceux qui l’écoutent… Ce constat confirme que, sans obligation, l’argent public n’a aucune raison d’être ainsi distribué. Il faut d’ailleurs bien reconnaître qu’aucune des recettes invoquées par le MEDEF depuis quelques années n’a produit d’effets sur la situation de l’emploi.

L’an prochain, nous allons fêter le trentième anniversaire de la loi sur la flexibilité du travail. Depuis son adoption, nous avons vu se développer les formes les plus atypiques de travail, à commencer par le travail de nuit, le week-end, le dimanche, ou encore le travail au domicile de l’employeur, etc...

Ainsi, pour ne donner qu’un exemple, sur 1,7 million d’offres d’emploi susceptibles d’être déposées en 2014, près de 670 000 portaient sur des emplois à caractère saisonnier.

Plus récemment, dans une étude publiée ce lundi 8 décembre, la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, indiquait que, en 2013, les contrats à durée déterminée ont constitué 84,2 % des conditions d’embauche et que la durée médiane d’un tel contrat est aujourd’hui de dix jours...

Le nombre des embauches sous forme de CDD n’a d’ailleurs cessé de progresser, passant de 66 % des contrats de travail en 2000 – en pleine époque des 35 heures – à 85 % à l’heure actuelle.

Le développement de cette précarité du travail pèse sur la vie des gens, sur leurs revenus, sur leurs projets, sur leur insertion dans la société et met en cause, immanquablement, leur participation au redressement de la France, auquel, j’en suis certaine, tous ces demandeurs d’emploi voudraient contribuer.

Selon nous, ces handicaps caractérisent cette fameuse incertitude que souligne le Haut Conseil des finances publiques, quand il s’agit d’évaluer la validité du schéma macroéconomique sur lequel le Gouvernement fonde sa ligne de conduite budgétaire. Ce gaspillage de potentiels est à la base de la réduction du taux de croissance du PIB, malgré le développement du travail à horaires atypiques, notamment du travail dominical.

Nonobstant une hausse de quatre points du nombre de travailleurs dominicaux entre 2002 et 2012 – leur nombre est passé de 25 % à 29 % –, le taux de croissance a chuté de 3 % à 0,4 %.

Le projet de loi de finances rectificative que nous examinons porte les stigmates de cette situation sociale et économique, sans évolution notable, malgré le CICE, malgré la loi transposant l’accord national interprofessionnel de 2013 imposée au Parlement par la voie du vote bloqué. Cela se traduit par la baisse des recettes, comme nous l’avons relevé, et par la hausse de certaines dépenses. Je pense, notamment, aux dépenses de « correction » des désordres sociaux que sont les allocations et aides sociales diverses : par exemple, 200 millions d’euros supplémentaires sont affectés à l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, et 130 millions d’euros au RSA.

Face à ce constat, nous présenterons un certain nombre d’amendements tendant à améliorer le contenu d’une loi de finances qui n’a pas permis d’inverser les tendances lourdes déjà observées.

De manière générale, outre la remise en question de certaines dépenses fiscales, au premier rang desquelles le CICE, il nous semble pertinent de vouloir utiliser l’outil budgétaire pour motiver un nouveau comportement des agents économiques. Ainsi, la fiscalité ne résoudra pas la question de la protection de l’environnement et du respect des milieux naturels, mais nous pouvons soutenir des choix budgétaires qui incitent à un comportement plus conforme à l’intérêt commun et à la préservation de la nature comme du monde qui nous entoure.

Une fiscalité rénovée, privilégiant les comportements socialement responsables, associée à des choix économiques et législatifs positifs : voilà ce qui constituerait sans aucun doute la base d’une politique économique plus propice à la réduction des déficits publics et à la maîtrise de la dette.

Une dette qu’il nous faudra sans doute bientôt envisager de régler autrement que par les ressorts habituels. L’examen du projet de loi de finances pour 2015, texte assorti de la création d’un excédent budgétaire totalement artificiel, qui est sans doute l’expression des limites de la loi organique et le résultat des choix opérés par la majorité du Sénat, a montré qu’il faudrait sans doute autre chose que des efforts inutiles, qui se révèlent particulièrement insuffisants, pour résoudre les problèmes de la dette et du déficit.

C’est donc bien vers une amélioration des recettes, une réelle inflexion des choix des agents économiques, un renforcement des droits réels des travailleurs salariés et un soutien à l’action aux collectivités locales que nous devons aller.

Ces orientations, associées à des interventions de la Banque centrale européenne, qui devrait envisager un plan de refinancement de la dette souveraine des États, permettront une croissance nouvelle.

Ce n’est pas cette voie que choisit le Gouvernement dans ce projet de loi de finances rectificative, texte que vous avez largement contribué, monsieur le secrétaire d’État, à faire grossir. Et ce n’est pas non plus celle que propose le rapporteur général, au nom de la majorité de la commission des finances.

Par ailleurs, le temps qui nous est imparti pour examiner l’ensemble des amendements soulève des questions, d’autant qu’aucune analyse d’impact n’est à notre disposition pour les apprécier.

Dans ces conditions, nous ne pourrons, sauf modification significative, adopter le présent projet de loi de finances rectificative.

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