Pourquoi faire croire que nous améliorerons les finances publiques en réduisant le nombre des collectivités ?

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la principale surprise – si tant est que nous puissions être surpris ! – figurant dans le texte dont nous débattons aujourd’hui vient du fait que celui-ci ne contient strictement aucune mesure à caractère financier.

Alors que nous avons évoqué les périmètres et que nous travaillons sur les compétences, nous ne nous sommes toujours pas attachés à traiter la question des moyens de nos collectivités, ni à engager une véritable réforme des finances locales. Plus grave encore, c’est au moment où nous parlons des compétences que le projet de loi de finances pour 2015 consacre une baisse drastique des dotations, qui atteindra 28 milliards d’euros cumulés en 2017.

À la vérité, la situation surprend même notre collègue Charles Guené, qui s’est demandé avec quels nouveaux moyens les régions et les établissements publics de coopération intercommunale vont pouvoir exercer les compétences qu’on entend leur confier. De fait, on ne trouve nulle part, au fil des articles initiaux comme des articles adoptés par la commission des lois, la moindre disposition relative aux « équilibres » encore récemment fixés par le projet de loi de finances pour 2015, comme par les précédentes lois de même nature.

Les seules dispositions en vigueur tendant à renforcer le pouvoir d’expertise et de contrôle de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes ne visent, de notre point de vue, qu’un seul objectif : s’assurer que tout le monde va dans le même sens pour ce qui concerne sa participation contrainte et forcée à la trajectoire de réduction des déficits publics. Il s’agira, avec les avis de la Cour des comptes, de fournir l’onction scientifique à la mise en œuvre de l’austérité. Ce sera la « police » de l’évolution des dépenses de nos collectivités. Tout se passe comme si le renforcement du rôle de la région et des intercommunalités allait se faire dans une situation financière constante, les seules variations figurant peut-être au chapitre de la répartition des dotations.

Il n’aura échappé à personne que la région, force montante de la décentralisation, se trouve également être l’échelon le moins libre de lever l’impôt. Elle est même, selon l’Observatoire des finances locales, l’échelon qui dispose le moins d’autonomie financière et fiscale. Le choix opéré n’est donc pas innocent. Cette remarque vaut aussi pour les intercommunalités, dont on attend qu’elles accentuent sans cesse la concurrence entre elles s’agissant de la contribution foncière des entreprises.

Pour mener à la fois sa politique d’austérité et ses réformes territoriales, le Gouvernement agit sur trois leviers.

Le premier, nous l’avons vu, concerne la dotation globale de fonctionnement : il est acquis que celle-ci connaîtra dans les trois années à venir une réduction lourde de conséquences. On se demande d’ailleurs ce que sera la réforme de la DGF en 2016.

Le deuxième levier, moins connu, est le partage du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE. Instrument de financement de la décentralisation mis en place par M. Sarkozy, le partage de la TICPE sera probablement privilégié pour les compétences nouvelles confiées aux régions.

Le troisième levier, enfin, a trait à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, élément principal de l’actuelle contribution économique territoriale, après que la disparition de la taxe professionnelle a fait perdre, il faut le rappeler, 6 milliards d’euros aux collectivités. Le produit de la CVAE a atteint 16,5 milliards d’euros en 2013, réparti pour l’heure selon la clef suivante : 26,5 % pour les communes et les EPCI ; 48,5 % pour les départements et 25 % pour les régions. Madame la ministre, envisagez-vous une nouvelle clef de répartition ?

Au-delà, une question demeure posée. Pourquoi vouloir faire croire qu’en réduisant le nombre et les compétences des collectivités, en particulier des communes et des départements, nous allons améliorer la situation des finances publiques ?

Avant 2010, la Grèce comptait 55 départements et plus de 1 000 circonscriptions administratives. Aujourd’hui, elle compte 13 périphéries et 325 communes et a supprimé 200 000 emplois de fonctionnaires locaux. Pour autant, se porte-t-elle mieux ?

Mme Cécile Cukierman. Pas vraiment !

M. Jean-Pierre Bosino. Il est évident que les « économies » attendues de la loi NOTRe seront des économies « imposées » par des jeux d’écritures au sein de la loi de finances, et ce pour le plus grand bonheur des grands groupes privés et autres opérateurs de service public local qui n’attendent que le moment venu pour tirer parti de la « masse critique » atteinte par de grands EPCI et des régions étendues en périmètre et en compétences, mais disposant de moins de moyens.

Madame la ministre, vous avez évoqué précédemment les agents de nos collectivités, leur travail, leur engagement. Mais, depuis quatre ans, les traitements de ces derniers sont bloqués. D’ailleurs, si une hausse du point d’indice était décidée, comment les collectivités pourraient-elles aujourd’hui y faire face sans une amélioration de leurs finances ?

En réalité, le projet de loi NOTRe est bien une adaptation de notre République à la crise du système économique, une adaptation à la politique austéritaire visant à faire baisser les dépenses publiques, alors que nous aurions pu débattre utilement de recettes nouvelles dans l’intérêt de nos territoires.

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