Quand la gauche du passé vote avec la droite

Quand la gauche du passé vote avec la droite - Loi de finances rectificative pour 2014 (nouvelle lecture) (Pixabay)

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour une raison qui nous échappe encore, il s’est constitué la semaine dernière une majorité pour adopter un texte sénatorial sur le projet de loi de finances rectificative.

Cette adoption est évidemment passée quasiment inaperçue. Elle réunissait dans un même vote la majorité UMP-UDI, les non-inscrits du Sénat, ainsi que les membres du groupe socialiste et du groupe RDSE, alors même que certaines dispositions non négligeables du texte adopté par l’Assemblée nationale avaient été supprimées.

Je pense notamment à la non-déductibilité de la taxe sur le risque systémique des banques – nos collègues estiment ainsi normal de faire, d’une certaine manière, financer la sécurité mutuelle des banques par d’autres que par les banquiers eux-mêmes – ou encore à la non-déductibilité de la taxe sur les bureaux en Île-de-France. Cette dernière mesure aurait pourtant pu constituer un levier relativement puissant pour amener quelques investisseurs immobiliers à réfléchir au lieu d’implantation de leurs installations...

J’en viens au constat le plus intéressant : ceux-là mêmes qui, il y a peu encore, accusaient une partie de la gauche de « voter avec la droite » contre les projets de loi du Gouvernement ont fait preuve d’une grande discrétion quand leur comportement était exactement identique.

La gauche du passé, c’est celle qui abandonne peu à peu le combat d’idées pour un pragmatisme mou, qui affadit aussi la démocratie ! Ainsi, le fait de soutenir un amendement mettant en place un dispositif d’amortissement dégressif pour les nouveaux équipements acquis par les PME ne règle aucunement la question clé du secteur industriel en France.

Nous l’avons déjà indiqué, la fiscalité et ses modifications, substantielles ou plus partielles, ne constituent pas la pierre philosophale qui permettra de transformer le plomb de la stagflation en or de la croissance économique retrouvée.

La gauche de l’avenir, c’est celle qui s’appuie une fois encore sur les aspirations populaires et le vécu des couches laborieuses, pour promouvoir les changements escomptés et nécessaires.

Prenons le cas du crédit d’impôt compétitivité emploi, le CICE, que le Gouvernement entend peu à peu transformer en une simple nouvelle mesure de réduction du coût du travail.

Comment ne pas pointer ici que les mêmes qui en rejetaient le principe il y a deux ans – le Sénat avait massivement voté contre un tel dispositif lors de la discussion de la loi de finances rectificative pour 2012 – en acceptent aujourd’hui l’augure et l’application ? En revanche, ce qui est certain, c’est que la baisse du « coût du travail » réduit non pas les charges des entreprises, mais la rémunération des salariés !

Au demeurant, l’existence du CICE depuis deux ans n’a pas permis d’inverser la courbe du chômage ; cela commence à se voir et à se dire. Au début du mois de décembre, nous comptons 328 000 personnes privées d’emploi supplémentaires.

Quelques belles âmes se sont évidemment émues de la situation pour demander toujours plus dans la mise en œuvre des « réformes structurelles ». J’avoue d’ailleurs mon amusement, relatif, face à une telle notion.

Cela vaut également pour le discours sur la « réduction de la dépense publique », qui ressemble le plus souvent à un slogan affiché comme un argument d’autorité par tous ses promoteurs et qui ne s’accompagne jamais de précisions quant aux postes à réduire...

Les « réformes structurelles » sont toujours « nécessaires et indispensables », mais n’ont, très étrangement, jamais de contours concrets…

Que signifie réformer structurellement le monde du travail ? Lutter contre les rigidités du code du travail ? C’est peut-être l’amorce d’une explication…

À ce sujet, j’ai relu voilà peu de temps l’intéressant et, pour tout dire, poignant livre de l’excellente journaliste Florence Aubenas, Le Quai de Ouistreham. Elle y raconte le quotidien des salariés précaires, un peu à la manière dont le grand journaliste allemand Günter Wallraff avait stigmatisé, il y a quelques années, le modèle rhénan dans Tête de turc. Je ne saurais trop recommander une telle lecture à ceux qui pensent que les chômeurs le sont par choix et que le code du travail est un obstacle à l’embauche. On peut y lire ce propos prononcé par une des protagonistes : « Tu verras, tu finis par devenir invisible quand tu es femme de ménage. »

Trente ans ou presque après la loi sur la flexibilité, un nombre sans cesse plus important de salariés du secteur marchand connaît des conditions de travail aggravées. Horaires décalés, temps partiel imposé, rémunérations à l’aune de ces conditions horaires déplorables, absence de promotion et de formation,… tel est le quotidien de centaines de milliers de salariés et, surtout, de salariées dans notre pays !

Sur 1,7 million d’offres d’emploi potentielles en 2014, 670 000 concernaient des emplois de caractère saisonnier. Une grande partie du million d’emplois restant ne couvre que des besoins très ponctuels de main-d’œuvre. À tel point que les contrats à durée déterminée représentent aujourd’hui 85 % des contrats de travail signés dans l’année et que leur durée médiane atteint exactement dix jours !

Quelle vie, quels projets, quels choix peuvent faire, dans de telles conditions, des millions de personnes dans notre pays ? Et certains voudraient encore en rajouter ! Pour aller jusqu’où ? Jusqu’au retour au contrat de travail journalier payé de la main à la main ?

J’en viens au « versement transport, » qui fut évoqué lors de nos débats. Il rapporte 3 425 millions d’euros dans la région Île-de-France, où il constitue une recette essentielle du Syndicat des transports d’Île-de-France, le STIF, pour mener sa politique tarifaire et développer ses investissements.

Je fais aussi observer que la taxe sur les bureaux présente la particularité d’être également sollicitée pour le financement des politiques régionales, dont le transport est une composante clé.

Il se trouve que les administrations publiques acquittent 35 % à 40 % du « versement transport », l’emploi public constituant en effet plus ou moins le tiers de l’emploi total en Île-de-France. Par ailleurs, tous les emplois privés ne sont pas regroupés dans des entreprises assujetties.

Cela signifie que, au bas mot, sur le rendement actuel du « versement transport », les entreprises ne contribuent que pour un peu plus de 2 milliards d’euros, montant à rapprocher des 612 milliards d’euros de la production marchande de la région. Ce versement représente moins de 0,3 % du chiffre d’affaires de nos entreprises, soit l’équivalent d’une journée, et sa hausse éventuelle devrait accroître cet effort de 0,03 %...

Chacun en conviendra, c’est la ruine de l’économie. Pourtant, la qualité des transports franciliens est, quoi qu’on en dise, l’un des atouts maîtres de la région capitale.

De surcroît, si les entreprises doivent payer demain un peu plus de « versement transport », elles verront aussi se réduire la charge de la prime mensuelle de transport. Et c’est tout bénéfice pour celles qui ne sont pas redevables de ce versement ! C’est aussi une excellente opération pour les employeurs du million de Franciliens de la grande couronne qui convergent chaque jour vers Paris !

Franchement, payer en moyenne un peu plus de 30 000 euros par an pour voir son personnel transporté, ce n’est sans doute pas la solution la plus onéreuse !

Mais il en est du « versement transport » comme du reste. Or une loi de finances rectificative devrait dépasser les généralités de premier abord et la simple comptabilité. Ce n’est pas le cas dans le texte issu des travaux du Sénat. C’est pourquoi nous ne le voterons pas.

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