Comment accepter que ce patrimoine soit ainsi dilapidé ?

Comment accepter que ce patrimoine soit ainsi dilapidé ? - Transition énergétique pour la croissance verte : article 28

Les articles 28 et 29, qui ont trait à l’ouverture à la concurrence des concessions hydrauliques à l’occasion de leur renouvellement, participent à une privatisation pure et simple de la production hydroélectrique et n’ont d’autre objectif que de libéraliser encore plus le secteur énergétique – je souscris tout à fait aux propos de Jean-Pierre Bosino et Roland Courteau.

L’attribution à des opérateurs européens, privés ou publics – ils sont déjà nombreux sur les rangs –, de l’exploitation d’ouvrages hydrauliques jusqu’alors concédés au titre du « droit de préférence » aux concessionnaires sortants – EDF, GDF et la CNR, la Compagnie nationale du Rhône – n’est pas sans soulever interrogations et inquiétudes. Il y va en effet de la sécurité des ouvrages et de l’approvisionnement en électricité, de l’aménagement des territoires, de l’environnement, de la gestion des usages de l’eau, du coût d’exploitation, de la situation des salariés… Bref, il y va de la maîtrise publique de l’énergie hydroélectrique et de la gestion de l’eau.

En région Rhône-Alpes, seraient ainsi livrés au marché trois ouvrages sur le Drac, en Isère – le Sautet, Cordéac ainsi que Saint-Pierre-Cognet –, celui du Lac Mort dans la vallée de la Romanche, cinq ouvrages dans le Beaufortin, ainsi que ceux de Bissorte et Super Bissorte en Maurienne. Mais des barrages sont également concernés dans d’autres régions, par exemple en Midi-Pyrénées. D’une façon générale, tous les ouvrages seront concernés avant 2025.

Or les inquiétudes sont déjà grandes dans ce secteur – notre collègue Daniel Chasseing en a parlé. Certaines concessions pourraient faire l’objet d’une rupture de contrat anticipée. L’État et EDF, le gestionnaire actuel, discutent d’un tarif d’indemnisation. Aux termes des textes, les concessionnaires actuels ont l’obligation de mettre à niveau les installations avant la mise en concurrence. Bien sûr, les futurs concessionnaires devront s’acquitter d’une redevance hydroélectrique proportionnelle au chiffre d’affaires de l’ouvrage, mais elle sera plafonnée, ce qui accroîtra leurs profits.

La recherche d’une rentabilité maximale fait craindre une concurrence exacerbée entre les différents exploitants de la ressource hydrologique. Les ouvrages étant largement amortis, ils généreront des revenus financiers très importants pour ces nouveaux concessionnaires, ce qui n’est pas une garantie de baisse ni même de maintien des tarifs. Bien au contraire, ces nouveaux concessionnaires devant s’acquitter d’une redevance, rien ne les empêchera d’en répercuter le prix sur les usagers.

Madame la ministre, parce que nous partageons sur le fond les ambitions affichées par votre projet de loi – réduire les émissions de gaz à effet de serre, réduire la consommation d’énergie finale, réduire la consommation d’énergies fossiles, augmenter la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique, réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité –, nous ne pouvons accepter le sort que réserve ce texte à l’énergie hydraulique et à la production d’hydroélectricité.

L’hydroélectricité contribue aux multiples usages de l’eau, comme la gestion des crues – Roland Courteau a très bien développé ce point –, mais elle permet également de répondre aux exigences des périodes de pointe de consommation. Elle permet en outre de faire face à l’intermittence des énergies renouvelables comme l’éolien ou le photovoltaïque. Avec ses barrages, elle est essentielle pour assurer la stabilité du réseau.

L’un des arguments que vous présentez est que les concessions hydroélectriques seront exploitées par des sociétés d’économie mixte, ou SEM, c’est-à-dire des sociétés anonymes à capital public et privé. En effet, 34 % de ce capital reviendrait au public, qui détiendrait alors une minorité de blocage, 34 % appartiendrait à l’exploitant et 32 % aux investisseurs tiers. Or rien ne garantit que les collectivités, dont les financements sont malmenés par le Gouvernement, ne revendront pas leurs participations ou qu’elles privilégieront la production d’électricité plutôt que le tourisme, la pêche ou encore les intérêts privés.

Enfin, cette évolution entraînerait de graves répercussions pour les personnels, à l’image de ceux d’Écomouv’. À cet égard, les syndicats alertent sur le fait que le projet de loi contient un article instituant des sanctions à l’encontre des salariés qui interviendraient dans le cadre d’un mouvement social sur leur outil de travail. Par contre, rien n’est dit sur le devenir des salariés concernés ni sur le maintien du statut des IEG, les industries électriques et gazières.

Comment accepter qu’un patrimoine financé par les citoyens français et essentiel au développement économique du pays et à la transition énergétique que nous souhaitons soit ainsi dilapidé au nom d’une « concurrence libre et non faussée » ? Comment accepter que le savoir-faire et le statut social de milliers de techniciens et ingénieurs du secteur, tout comme notre industrie hydroélectrique dans son ensemble, soient ainsi bradés ? À coup sûr, l’usager en paiera les conséquences, ce que mon groupe juge inacceptable !

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