Ces mesures portent atteinte à l’égalité d’accès de tous les citoyens à la justice en instaurant des tarifs différenciés

L’article 12 inaugure le début d’une longue discussion sur la réforme des professions réglementées, dont il a déjà été beaucoup question dans les médias ces dernières semaines. Je profite donc de ce premier article pour vous exposer notre vision générale sur ces professions, qui vaut évidemment pour les articles suivants.

L’État a délégué certaines prérogatives de puissance publique attachées à sa mission régalienne aux professions réglementées : huissiers de justice, notaires, commissaires-priseurs judiciaires, greffiers, administrateurs judiciaires, etc.

Actuellement, et en toute logique, c’est donc le ministère de la justice qui contrôle les conditions d’exercice de cette délégation et réglemente les tarifs et l’implantation desdites professions.

Ce faisant, il est le garant de la sécurité juridique de leurs actes et il peut veiller à l’indépendance de ces professionnels du droit, au respect des règles déontologiques et à l’absence de conflits d’intérêts.

Il veille également à l’accès de tous au droit en contrôlant le maillage territorial de ces professions et en évitant l’apparition de déserts juridiques dans des zones moins attractives, pour ne pas dire moins rentables.

Arguant de tarifications trop élevées des actes – selon une vision extrêmement caricaturale, qui ne correspond pas à l’ensemble de ces professions, mais à une minorité au sein de chacune d’elles –, le Gouvernement prétend y remédier en libéralisant les professions concernées, afin qu’elles contribuent à la vitalité de l’économie.

Ainsi, il veut introduire une concurrence tarifaire, une liberté d’installation et même une capitalisation des sociétés qui, elle, a été retirée du texte par la commission spéciale.

Notre vision est la suivante : si un problème existe concernant les tarifs ou l’implantation de ces professions, le meilleur moyen de les corriger réside encore dans le pouvoir de régulation dont dispose actuellement le ministère, qui lui donne toute latitude pour les corriger s’il le juge nécessaire et selon des besoins qu’il est le mieux à même d’analyser.

En outre, si l’on estime que certaines professions ont un revenu trop élevé, l’impôt sur le revenu ne constitue-t-il pas un instrument de régulation privilégié pour opérer une redistribution en fonction de ces revenus ? (M. Jean Desessard acquiesce.) Sans doute faudrait-il le réformer, et nous engageons le Gouvernement à le faire, mais, dans tous les cas, ce n’est pas la libéralisation à outrance des professions du droit qui apportera, selon nous, la solution.

Nous partageons donc les inquiétudes de ces professions réglementées du droit.

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. Éric Bocquet. Toutefois, de grâce, que l’on ne vienne pas nous dire que nous défendons la rente ! Non seulement ce projet de loi ne créera aucun emploi et aucune croissance, mais, en plus, il aboutira in fine à une remise en cause du maillage territorial, avec le risque de créer des zones de concentration d’offices et des déserts juridiques.

Ces mesures portent atteinte à l’égalité d’accès de tous les citoyens à la justice en instaurant des tarifs différenciés. Il est important ici de rappeler que la justice et le droit ne peuvent être abordés sous un angle uniquement économique et que l’accès de tous au droit et à la sécurité juridique prime sur la rentabilité et la compétitivité. Marier le droit et le marché nous paraît quelque peu scabreux – c’est un peu comme marier la carpe et le lapin !

Certes, le projet de loi initial a été modifié et encadré, en partie à l’Assemblée nationale et au Sénat, mais il continue de s’appuyer sur les mêmes principes, qui restent tout autant critiquables.

Le premier principe est la déréglementation des tarifs et la création de seuils entre lesquels des négociations entre parties sont possibles, faisant primer la loi du fort au détriment de l’intérêt général.

Le deuxième principe est l’intrusion de l’Autorité de la concurrence dans la détermination de la politique tarifaire et des zones d’implantation, alors même que cette instance n’a pour but que d’étendre le dogme de l’autorégulation et du marché.

Le troisième principe est la liberté d’installation et la suppression du contrôle de l’État dans des zones où les professionnels sont jugés trop peu nombreux.

Enfin, le projet de loi s’appuie encore sur l’élargissement de la territorialité de la postulation des avocats du tribunal de grande instance à la cour d’appel, avec l’éloignement des avocats des citoyens.

Alors que rien ne permet d’affirmer qu’elles se traduiront par des créations d’emplois, les mesures concernant les professions réglementées poursuivent le travail d’ouverture débridée à la concurrence du marché du droit et ne règlent en rien le problème de l’accès à ce droit. Ce texte risque donc de faire disparaitre des milliers de ces professionnels délégataires d’une mission de service public au profit d’une grande profession du droit – d’inspiration anglo-saxonne, d’une certaine manière – dont le capital sera ouvert à tous et qui sera concentrée dans de grands cabinets aux abords des grandes villes.

Les usagers seront alors confrontés à une sorte de braderie de leur sécurité juridique, au profit de sociétés privatisées dont le moteur essentiel est la profitabilité. Voilà la philosophie portée par ces articles, et nous ne pouvons que nous y opposer fermement.

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