Le gouvernement organise la perte du contrôle de l’État sur notre industrie d’armement terrestre

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collèges, cet article a pour objet d’autoriser la cession par l’État au secteur privé de la majorité du capital du Groupement industriel des armements terrestres, le GIAT, afin de permettre le rapprochement et, à terme, la fusion entre deux industriels de taille moyenne de l’armement terrestre en Europe : Nexter Systems, filiale du GIAT, et l’entreprise familiale allemande KMW.

Cette opération aboutirait à la création d’une structure commune, à égalité avec KMW, dans laquelle l’État français perdrait cependant la majorité de contrôle, puisqu’il n’en détiendrait plus que 50 % des parts.

Il s’agit donc, en premier lieu, d’une opération capitalistique, dont les intentions d’optimisation fiscale au détriment des deux États ne sont pas absentes. En effet, la société holding, NEWCO, chargée, dans un premier temps, de la coordination entre les deux entreprises, sera basée aux Pays-Bas…

Ce rapprochement nous est présenté comme l’unique solution pour constituer un groupe européen d’armement de taille suffisante pour être capable de faire face à la fois au rétrécissement du marché dans ce secteur et à la concurrence accrue entre une dizaine d’acteurs en Europe.

Cette argumentation présente l’apparence du bon sens.

Faut-il pour autant procéder ainsi et opérer une telle fusion, menant à une intégration progressive entre ces deux entreprises ? En considérant les risques importants et les nombreuses incertitudes de cette opération, je n’en suis pas persuadée et je m’interroge sur certains effets négatifs que pourrait avoir cette fusion.

Tout d’abord, avec cette perte du contrôle de l’État sur son industrie d’armement terrestre, il est à craindre que les choix stratégiques, industriels et financiers des dirigeants de NEWCO ne se fassent d’abord en fonction d’une rentabilité rapide des capitaux investis.

Ensuite, je ne suis pas convaincue par l’argument de la réduction des budgets de défense en Europe ni par celui du rétrécissement du marché, qui nécessiterait, pour assurer le développement de cette nouvelle société, de se déployer exclusivement vers l’exportation.

En effet, les industries de défense vivent en très grande partie des investissements effectués par chaque pays pour disposer d’une industrie de souveraineté.

En France, notre conception de ce qu’on appelle les « bases industrielles de défense » repose sur la fourniture au pays des armes nécessaires à la défense de la Nation et à ses intérêts fondamentaux, tout en préservant notre indépendance et notre autonomie stratégique. Il y a là un enjeu de souveraineté.

Or cette nouvelle société viserait moins les commandes nationales que les exportations. De la sorte, les armements produits seraient conçus pour répondre non plus aux besoins spécifiques de nos armées et de notre défense, mais à ceux du marché mondial de l’armement.

L’exportation peut, certes, être un moteur essentiel du développement des entreprises et assurer des emplois, en fonction de la conjoncture.

Cependant, toute médaille a son revers et, en l’occurrence, il peut y avoir des clauses de transfert de technologie mal maîtrisées, qui conduiraient à l’émergence de nouveaux concurrents et feraient disparaître des savoir-faire et des compétences nationales.

Un autre aspect de cette fusion pourrait également affecter nos intérêts nationaux : les milliers de brevets développés et financés par le contribuable français, qui pourraient être mutualisés et cédés au capital privé, avec pour seule justification de trouver de l’argent pour honorer la dette publique.

Par ailleurs, le regroupement des départements recherche et développement au sein de la nouvelle entité permettra le dépôt de brevets franco-allemands. Or, nous le savons, l’Allemagne mène une politique différente de la nôtre en matière d’exportation d’armements.

Dès lors, le risque existe que l’Allemagne ne s’oppose à des exportations de matériels comprenant des composants issus de brevets protégés par le droit allemand. Cela emporterait inévitablement des effets négatifs sur nos choix stratégiques, sur notre politique d’exportation d’armements, voire sur notre politique étrangère.

Enfin, plusieurs activités de Nexter et de KMW entrant en concurrence, cette fusion ne peut que se traduire, à terme, par de nombreuses suppressions d’emplois.

À mon sens, il existe d’autres solutions, comme la constitution d’un pôle public d’armement terrestre autour de Nexter, de Renault Trucks, de Thales et Sagem-Safran. L’État y aurait une part déterminante et ferait jouer pleinement ses moyens d’intervention que ce soit en matière de commandes publiques, d’autorisations d’exportation ou d’autorisation préalable d’opérations sur le capital des sociétés.

Plutôt qu’une fusion d’entreprises, un pôle public de ce type, sous la forme d’un groupement d’intérêt économique, permettrait de coopérer avec d’autres industriels européens, tout en préservant notre indépendance.

Mes chers collègues, souvenons-nous que cela avait remarquablement fonctionné avec Airbus, avant la création d’EADS !

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