Un risque pour la souveraineté de l’État

L’article 47 m’inquiète également beaucoup. Le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société Groupement industriel des armements terrestres et de ses filiales est une opération qui n’est pas sans risque pour la souveraineté de l’État. Comment peut-on être aussi certain que l’opération consolidera, au niveau national, nos propres entreprises d’armement, et qu’elle ne contribuera pas, au contraire, à nous affaiblir ?

Nous savons tous que le marché de l’armement est extrêmement concurrentiel et que la France y joue un rôle non négligeable. Notre pays possède en effet une industrie importante en ce domaine. Il aurait été classé troisième pays exportateur d’armes en 2014, du moins si nous avions livré le navire Mistral à la Russie.

D’après le rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, publié le 16 mars dernier, le volume du commerce des armes a augmenté de 16 % ces cinq dernières années. Le secteur est largement dominé par les États-Unis, qui détiennent 31 % du marché, et la Russie, 27 %.

Toutefois, il est indispensable d’intégrer une nouvelle puissance dans ce classement. Entre 2010 et 2014, en effet, les exportations d’armes chinoises ont bondi de 143 % par rapport aux cinq années précédentes ! À elle seule, la Chine assure désormais 5 % des exportations mondiales. Dans la même période, le volume des importations d’armes de Pékin a diminué de 42 %. Ces résultats illustrent le dynamisme et la compétitivité de la Chine sur ce marché.

Cela nous montre que l’exportation s’accompagne, de fait, de transferts de technologie et contribue à l’émergence de nouveaux concurrents. Nous ne pouvons donc fonder la création de cette nouvelle société sur les seules exportations. Celles-ci ne peuvent être envisagées comme une réponse à tous les problèmes, notamment celui de la réduction des marchés européen et français.

De plus, les choses doivent être claires concernant les conditions d’exportation, qui doivent être les mêmes pour la France et l’Allemagne. Il ne faudrait pas que cette union aille à l’encontre de nos objectifs en matière de politique étrangère et qu’elle compromette nos marchés d’armement à l’exportation.

De surcroît, sur ce rapprochement, nous manquons vraiment beaucoup de visibilité. Les intérêts des nations allemande et française ne sont pas forcément identiques. Il en va de même pour les besoins de nos armées respectives.

La maîtrise de notre industrie de défense constitue un outil à part entière de notre arsenal de défense. Dans ce schéma, la Direction générale de l’armement est l’un des architectes majeurs de notre politique. L’industrie de la défense a donc pour vocation de contribuer à garantir notre souveraineté nationale.

Cette industrie n’a d’existence qu’en raison des investissements réalisés par la Nation pour sa défense. Elle s’organise autour des programmes lancés au profit de nos armées et dépend des autorisations politiques pour ses exportations.

Autre point important, nos armées, en particulier l’armée de terre, vont avoir besoin de renouveler leurs équipements très prochainement, car leur matériel est vieillissant. À terme, les véhicules de l’avant blindé, les VAB, doivent être remplacés, au titre du programme SCORPION, par les véhicules blindés multi-rôles, les VBMR. Avec les engins blindés de reconnaissance et de combat, les EBRC, ils échappent au rapprochement. Ce sont deux outils indispensables pour notre armée de terre et nous ne pouvons en faire l’économie.

Certes, il est prévu d’attribuer à l’État français une action spécifique qui lui donnera un droit de veto en cas de divergence de stratégie, mais, sur le long terme, ce type de divergences n’est absolument pas viable pour la nouvelle entité.

Pour le moment, nous ne disposons pas de l’ensemble des éléments pour apprécier réellement le bien-fondé de ce rapprochement. Certains points demeurent trop flous, alors que les conditions doivent être extrêmement rigoureuses dans ce type d’opération. De fait, je ne suis pas sûr que la volonté affichée de bâtir des industries capables d’exister encore dans dix ou vingt ans coïncide avec la nature du rapprochement proposé.

Dans ce domaine, il est indispensable d’avoir une industrie puissante, capable d’encourager la recherche, le développement et l’innovation. Nous savons tous que les dépenses militaires irriguent l’ensemble de la recherche civile. C’est comme cela que les Américains financent, par le Pentagone et la NASA, l’essentiel de leur recherche de pointe. Mais les stratégies et les intérêts de la France et de l’Allemagne dans ce domaine ne convergent pas forcément. Comment, alors, sauvegarder notre indépendance stratégique ?

Il me semble que la coopération entre les États est l’un des principaux moyens de consacrer davantage de moyens à ce secteur. Nous ne pouvons fonder l’avenir de l’industrie française d’armement uniquement sur une hausse hypothétique des exportations grâce à cette privatisation.

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