Un dispositif trop peu évalué

Un dispositif trop peu évalué - Crédit d'impôt recherche

Tribune parue dans le numéro 94 d’Initiatives.

Depuis le mois de janvier dernier, je conduis mon travail de rapporteure de la Commission d’enquête sur la réalité du détournement du crédit d’impôt recherche de son objet et de ses incidences sur la situation de l’emploi et la recherche dans notre pays. L’exposé des motifs de notre résolution créant cette commission d’enquête dans le cadre de notre droit de tirage était bien clair.

Il appelait la Commission à s’emparer de deux questions : celle de l’efficacité du CIR au regard de ses objectifs ; celle du détournement du CIR par des bénéficiaires insuffisamment contrôlés. Avec un coût de plus de 6 milliards d’euros, le Crédit d’impôt recherche est devenu l’une des plus importantes niches fiscales françaises, juste derrière le CICE et ses 10 milliards d’euros. Une telle dépense publique justifiait à elle seule que les parlementaires que nous sommes se penchent sur ce dispositif censé développer la recherche et l’emploi scientifiques en France. Si la commission d’enquête s’achemine vers la fin de ses travaux et se réunira début juin pour examiner le rapport que je lui soumettrais, j’identifie pour ma part de premiers constats.

D’abord le CIR est un dispositif peu évalué, car difficile à contrôler. Difficile à contrôler, car la frontière de ce qui relève réellement de la recherche est compliquée à expertiser. De plus, ce contrôle implique deux ministères : celui des Finances et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Le taux de redressement est donc faible, environ 1300 par an pour une somme avoisinant les 200 millions d’euros. De plus, les contrôles effectués se font dans le cadre plus général d’un contrôle fiscal – le CIR ne déclenchant pas automatiquement un contrôle fiscal. Il est conduit de façon empirique, très majoritairement sur pièces et non systématiquement in situ, faute de moyens. Une première question se trouve posée : celle de l’insuffisance des moyens de contrôle mis à la disposition des deux ministères concernés, la RGPP faisant son oeuvre.

Deuxième point, en volume, le CIR profite davantage aux grands groupes et la part octroyée aux services y est importante. Ce qui interroge. Dispositif ouvert, le CIR bénéficie ainsi à des grandes entreprises du CAC 40. La difficulté d’évaluation, le choix même de la forme « crédit d’impôt », font que l’effet réel sur la recherche est sujet à controverse. Aspect que la Cour des comptes pointait dans son rapport de juillet 2013. À cela se mêlent des effets d’optimisation fiscale – à mon sens scandaleux – à travers le lieu d’immatriculation des certains brevets, la pratique des prix de transfert et la localisation des redevances découlant de ces brevets dans des paradis fiscaux.

Brevets qui, pour partie, sont financés avec du CIR ! Ce qui pose la question pour notre pays et son tissu économique et industriel, du retour sur investissement de la mobilisation d’une créance publique. Ce dispositif offre aussi des effets d’aubaine à des cabinets de conseils qui se rémunèrent sur le montage de dossiers CIR. L’espace contributif ouvert par la Commission d’enquête sur le site du Sénat a reçu plusieurs témoignages anonymes de salariés expliquant comment leur travail avait été « requalifié » pour entrer dans le dispositif du CIR. Ce dispositif doit aussi être appréhendé dans un contexte plus vaste. D’abord celui d’une concurrence fiscale effrénée en Europe et à l’échelle mondiale.

Le CIR est « vendu » à l’étranger avant tout comme un outil de compétitivité fiscale pour attirer les investisseurs étrangers. Il est aussi invoqué par des grands groupes implantés en France comme une condition de non délocalisation de leurs activités de recherche à l’étranger, soulignant l’abaissement du coût du chercheur qu’il représente. Ensuite, celui d’une transformation profonde de la nature de la recherche opérée dans notre pays. Les réformes successives conduites par la droite – Pacte pour la Recherche en 2006, LRU en 2007 – ont modifié très fortement les conditions de recherche, avec notamment la mise en place de l’ANR, des Idex et Labex, ayant pour conséquence le passage d’une recherche ouverte à une recherche sur projet.

Réformes d’ailleurs poursuivies par la loi Fioraso de 2013. On peut donc comprendre les interpellations du monde de la recherche publique qui, confronté à l’état de sous-financement des laboratoires des organismes publics français de recherche et à la précarisation continue des personnels, remet en cause l’efficacité et l’usage des 6 milliards du CIR dédiés à la recherche privée.

Quelle sera donc la position de la Commission d’enquête ? Difficile de préjuger des points de consensus qu’il me sera possible de faire émerger. Car les réticences sont fortes pour accepter d’examiner le bien-fondé même de ce dispositif et pour s’interroger sur un autre dispositif. Elles se sont exprimées dès le début de nos travaux et continuent aujourd’hui. La position du gouvernement, elle, n’a pas varié : un refus catégorique de modifier un dispositif que le Président de la République a lui-même fait le choix de « sanctuariser ».

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