Six des dix-huit membres que compte mon groupe n’étaient pas élus en 2023, lors de la première lecture au Sénat ! Cette brutalisation du Parlement est inacceptable. Nous récusons la méthode. Impossible de légiférer sereinement sur un texte aussi dense dans des délais aussi restreints. En empruntant une proposition de loi, madame la ministre, vous vous dispensez de toute étude d’impact. Ce n’est ni rigoureux, ni respectueux. Une telle réforme mérite mieux qu’un passage en force.
Pourquoi une telle précipitation ? Vous vantez une « rationalisation », censée « rendre l’audiovisuel public plus fort » - c’est pour mieux masquer sa mise au pas. En réalité, vous voulez faire taire un contre-pouvoir, à la suite du « Complément d’enquête » vous accusant d’avoir perçu 299 000 euros de GDF-Suez quand vous étiez eurodéputée.
Vous êtes le porte-voix d’une large offensive politique contre l’audiovisuel public - vous avez d’ailleurs remplacé Rima Abdul-Malak, remerciée pour avoir défendu le travail d’investigation de France 2 sur Gérard Depardieu, qualifié par le Président de la République de « montage ». Dès 2017, celui-ci qualifiait l’audiovisuel public de « honte de la République », avant de le fragiliser en gelant, baissant puis supprimant la redevance, sans aucun financement compensatoire. Résultat : l’asphyxie budgétaire. Depuis 2017, l’audiovisuel public a subi 776 millions d’euros de coupes, conduisant à la fermeture de l’antenne Mouv’ et de la radio Ici Paris Île-de-France.
Affaiblir, contrôler, ouvrir à la privatisation, voilà votre feuille de route, à l’instar de l’extrême-droite qui, en Hongrie, en Pologne, en Italie, aux États-Unis, asphyxie ou centralise l’audiovisuel public pour mieux le privatiser. D’où le vote favorable des députés du Rassemblement national en commission ! Qu’ils aient voté la motion de rejet relève d’une habile manoeuvre : en échange d’un calendrier accéléré, vous supprimez par amendement toute mesure renforçant l’audiovisuel public...
Cette réforme est le marchepied du RN, qui rêve de privatisation. Cette alliance entre centristes, macronistes, droite et extrême droite est grave.
L’audiovisuel public est performant, malgré vos attaques. France Inter a établi un record en janvier avec 7,47 millions d’auditeurs. France Télévisions est le premier groupe au niveau national avec 29,1 % de part d’audience et la plus forte progression annuelle. Les podcasts de Radio France représentent la moitié des téléchargements. Le service public fonctionne, innove, rajeunit ses publics, rayonne à l’international, avec moins de 4 milliards d’euros, soit 40 centimes par jour et par Français !
Le service public de l’information gagnerait néanmoins à être amélioré en matière de pluralisme. Vous faites le contraire, avec la holding - une stratification bureaucratique dont la mise en oeuvre coûterait 150 millions d’euros par an, alors que l’audiovisuel public, exsangue, subit 80 millions d’euros de coupes. C’est promettre des jambes de bois à des athlètes blessés.
Vous privilégiez les profits financiers et le modèle à la Bolloré ou Saadé. En confiant l’ensemble des médias à une seule gouvernance, vous affaiblissez la séparation des pouvoirs.
On sait la pression exercée par les politiques sur les journalistes. Vous-même, madame la ministre, avez menacé Patrick Cohen de déclencher l’article 40 pour avoir relayé des enquêtes sur les accusations de conflits d’intérêts et de corruption qui vous visent. Vous dites vouloir « le scalp » de la présidente de France Télévisions, qui n’a pas courbé l’échine face à vos pressions.
Alors que vous êtes visée par une kyrielle d’enquêtes, nous devrions croire en votre sincérité, en votre intégrité, lorsque vous dites vouloir renforcer la liberté de l’information ? Soyons sérieux. Pour vous, pour le Rassemblement national, il est urgent de faire taire un contre-pouvoir - le rétrogradage de « Secrets d’Info » montre que vous vous en prenez aux contenus de qualité et d’investigation.
Ce manque de transparence et de sincérité justifie un renvoi en commission. Pour garantir un examen démocratique digne de ce nom, avec évaluation des conséquences et consultation des acteurs, pour nous donner les moyens de délibérer sereinement d’un texte qui engage notre souveraineté culturelle et notre démocratie, votons cette motion.