Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis, ce soir, pour examiner une proposition de loi à l’intitulé séduisant mais qui, au cours de son examen, a malheureusement perdu de sa substance et de son intérêt.
Vous le savez, nous sommes particulièrement sensibilisés à la problématique de la publicité à destination des enfants, puisque nous étions, avec notre ancien collègue écologiste Jacques Muller, à l’origine du travail engagé sur cette question en 2009 et que nous avons nous-mêmes déposé une proposition de loi.
Nous considérions – et considérons toujours – que la publicité est particulièrement nocive pour les enfants et les adolescents, au regard notamment des enjeux de santé publique qui ont été évoqués, sans parler, de manière plus large, du fait que la publicité appréhende les enfants comme des prescripteurs d’achat, les enrôlant ainsi, très tôt, au service d’une société d’hyperconsommation.
Prenant appui sur les législations en vigueur dans d’autres pays, ce travail avait abouti, comme je viens de l’indiquer, au dépôt d’une proposition de loi en 2010. Le texte qui nous est présenté aujourd’hui relève à mon sens davantage d’une dénaturation que d’une simplification de cette proposition de loi, contrairement à ce qui a pu être dit précédemment.
Bien plus complète et ambitieuse, celle-ci s’articulait selon quatre axes.
Premièrement, elle prévoyait la sanctuarisation des programmes pour enfants et adolescents, en les exonérant de publicité. Cette interdiction s’appliquait – c’est l’une des questions cruciales – tant aux chaînes publiques qu’aux chaînes privées. À nos yeux, une telle interdiction globale était seule légitime, puisqu’il s’agissait de répondre à des impératifs d’intérêt général et de santé publique qui concernent tous les enfants.
Par ailleurs, notre proposition de loi traitait également des autres plages horaires, puisque, malheureusement, la plupart des enfants regardent la télévision bien au-delà des seuls programmes destinés à la jeunesse. Nous limitions plus clairement l’influence des contenus publicitaires, en interdisant par exemple le recours à des personnages de programmes dédiés à la jeunesse dans des publicités ou en renforçant les dispositions du code de la santé publique relatives à la publicité pour les boissons sucrées.
Deuxièmement, la proposition de loi de 2010 prévoyait un renforcement du contrôle et des sanctions.
Troisièmement, elle comportait un volet relatif à l’éducation et à la sensibilisation des enfants et des adolescents par la mise en œuvre d’un programme pédagogique de lecture de l’image et des médias à destination des élèves.
Enfin, quatrièmement, des dispositions visaient à défendre la production de l’animation audiovisuelle en France, dont la qualité est reconnue, y compris à l’international, au travers de mesures propres à engendrer des ressources nouvelles pour le Centre national du cinéma et de l’image animée.
Or, dans le texte qui nous est soumis aujourd’hui, l’ambition éducative de ces propositions a disparu, au profit d’objectifs très limités. C’est la raison pour laquelle j’ai parlé d’une « dénaturation », et non pas d’une « simplification », comme l’a fait notre collègue André Gattolin.
Ainsi, seul l’audiovisuel public est concerné, alors que la version initiale de la proposition de loi renvoyait à un décret en Conseil d’État les mesures à prendre concernant l’audiovisuel privé.
Avant même l’examen du texte en commission, nous avions regretté cette limitation, estimant que réduire le champ du dispositif à l’audiovisuel public le rendait bancal. Les enfants qui regardent les chaînes privées seraient-ils moins vulnérables ? Nous pensons plutôt le contraire !
Pour autant, nous étions prêts à soutenir cette proposition de loi, considérant qu’il s’agissait d’un premier pas en vue de la protection de l’enfance et de la jeunesse. Malheureusement, la commission a fini de vider le dispositif de son contenu, le privant ainsi de toute effectivité.
L’interdiction de la publicité commerciale ne concerne désormais que l’audiovisuel public, toute perspective de renforcement de la réglementation applicable aux chaînes privées ayant disparu.
Pour l’audiovisuel privé, on s’en remet à la seule autorégulation et à un rapport du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Le discours convenu sur l’exemplarité du service public ne saurait masquer cette grave lacune.
Pis, les amendements déposés par la rapporteur et par le sénateur Leleux reportent l’application de ce dispositif à 2018. Ils suppriment enfin toute compensation financière pour l’audiovisuel public et s’opposent à une augmentation de la taxe sur les chaînes privées qui aurait pourtant été utile.
Selon la rapporteur, il est très urgent d’attendre une refonte globale de l’audiovisuel et de ses financements, s’appuyant sur les préconisations du rapport d’André Gattolin et de Jean-Pierre Leleux.
Or, que dit ce rapport ? Il propose certes l’interdiction de la publicité dans les programmes destinés à la jeunesse, mais ses auteurs considèrent que la baisse des ressources liée à cette dernière doit être compensée uniquement par l’augmentation de la contribution à l’audiovisuel public. Il préconise, parallèlement à cette montée en puissance de la contribution à l’audiovisuel public, une suppression pure et simple des dotations budgétaires et exclut toute participation renforcée du privé par une évolution de la taxe sur les recettes de la publicité.
Nous considérons, à l’inverse, qu’il faut augmenter la masse globale des financements, afin de permettre à l’audiovisuel public d’affronter les nouveaux défis liés notamment à la multiplication des supports. Nous avons d’ailleurs régulièrement présenté des propositions en ce sens.
Nous avons également sollicité le Gouvernement à propos d’une taxation des revenus de la publicité par voie électronique, en justifiant cette taxation par la multiplication des supports et des modes d’émission. Or les propositions auxquelles on nous renvoie aujourd’hui sont très loin du compte.
À nos yeux, le texte de la proposition de loi qui nous est soumis est en tout point insuffisant au regard des objectifs affichés.
La protection de l’enfance mérite mieux qu’un dispositif à géométrie variable qui exonère les chaînes privées de leurs responsabilités et creuse, de fait, le sillon d’un paysage audiovisuel déséquilibré, avec un audiovisuel public réglementé, mais sous-financé, et un audiovisuel privé libre et lucratif.
Pour toutes ces raisons, bien que souscrivant à l’objectif initial de protection de l’enfance, puisque nous avions formulé des propositions plus ambitieuses en la matière, nous voterons contre l’adoption du présent texte, eu égard à la faiblesse de son dispositif et aux renoncements successifs qui ont marqué son élaboration.