Mais tout est occulté par votre obsession migratoire. Dire aux Mahorais qui ont des difficultés d’accès à l’eau, à l’éducation ou à la santé que la réforme du droit du sol améliorera leur quotidien, c’est entretenir une illusion. Retirer des droits aux uns n’augmente pas ceux des autres !
Mayotte fait partie de la République et les principes républicains et constitutionnels doivent s’y appliquer. Si l’article 73 de la Constitution autorise des adaptations, elles doivent être justifiées par les caractéristiques et contraintes particulières du territoire. Dans sa décision de septembre 2018, le Conseil constitutionnel a permis au législateur de durcir les règles d’acquisition de la nationalité mais « dans une certaine mesure ». Or cette proposition de loi est manifestement disproportionnée. En mettant en place un traitement différencié et injustifié fondé sur l’origine, elle est discriminatoire. Cela va à l’encontre du principe d’égalité proclamé à l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et du préambule de la Constitution de 1946 selon lequel « la France forme avec les peuples d’outre-mer une union fondée sur l’égalité des droits. »
C’est renouer avec une approche coloniale de la nationalité française. Nous refusons de revenir à un droit discriminatoire.
Nous n’avons pas besoin d’un nouveau durcissement après celui de 2018, qui impose une durée minimale de séjour régulier d’un des parents de trois mois. Qui d’entre nous choisit le lieu de sa naissance ? Qui est responsable de la situation administrative de ses parents ?
En outre, cette loi de 2018 n’a jamais eu d’effet sur les flux migratoires, qui se sont intensifiés depuis. L’accès à la nationalité n’est pas un motif de migration. La réalité, c’est qu’aucun étranger ne consultera ce texte avant d’immigrer. Ce qui les motive, c’est l’espoir d’une vie meilleure, de voir ses enfants aller à l’école, la peur aussi de mourir en couches dans le pays d’origine.
Limiter le droit de la nationalité n’aura aucun effet dissuasif. Vous allez seulement créer de la clandestinité et augmenter la précarité. La moitié des résidents étrangers sont en situation régulière et occupent des emplois formes, dans les champs ou sur les chantiers. Ceux à qui on refuse des papiers occupent des emplois informels, dans des conditions de travail indignes et illégales. L’irrégularité est aussi créée artificiellement faute d’accessibilité des services préfectoraux. Depuis deux ans, la préfecture de Mayotte ouvre rarement ses portes ; s’y ajoute la dématérialisation des démarches, ce qui revient à exclure les demandeurs et les plonger dans la clandestinité.
Depuis 2018, le nombre d’acquisitions de la nationalité a baissé, mais la situation des Mahorais s’est-elle améliorée ?
Le vrai problème est le sous-investissement de l’État à Mayotte, département le plus pauvre de France, avec 77 % de la population sous le seuil de pauvreté. Les services de santé sont saturés, les élèves ont cours par rotation, sur une demi-journée. À Mayotte, le droit de disposer de moyens convenables d’existence n’est pas assuré. C’est le département de l’injustice sociale, des promesses non tenues, des droits sociaux bafoués, des allocations et RSA non versés.
Prétendre que l’immigration comorienne menace la culture mahoraise, c’est oublier que Mahorais et Comoriens partagent une même culture, une même langue, une même religion, une même organisation matrilinéaire. Tous les Mahorais ont de la famille aux Comores, les couples mixtes sont légion. Nous n’avons pas besoin d’un nouveau durcissement du droit du sol mais de solutions effectives.
Dans un contexte où le Premier ministre parle de « sentiment de submersion migratoire », ce texte augure d’une dégradation généralisée des droits des étrangers, et d’une remise en cause du droit du sol sur tout le territoire national.
D’où cette motion d’irrecevabilité contre un texte qui porte de graves atteintes aux droits et libertés garantis par la Constitution et aux principes d’égalité et d’indivisibilité.