Autoroute A89 entre Balbigny et Lyon

Publié le 7 février 2006 à 16:17 Mise à jour le 8 avril 2015

M. le Président
M. le Ministre
Mes chers collègues

Nous sommes appelés à nous prononcer sur une proposition de loi bien particulière.

N’est-il pas étrange, n’est-il pas extrêmement curieux, d’inviter la représentation nationale à s’exprimer sur la réalisation d’un tronçon d’autoroute ?

L’initiative de nos collègues est présentée comme une marque de pragmatisme, comme une démarche d’intérêt général, habitée du souci de ne pas prendre de retard dans l’aménagement du territoire.

Certes la construction d’infrastructures autoroutières participe pleinement d’une politique de développement de territoires, de régions et de notre pays.

Madame la rapporteur de la commission des affaires économiques, notre collègue du Rhône Mme Lamure invoque à juste titre à propos de l’A89 « la nécessité de réaliser une liaison autoroutière transversale entre Bordeaux et Lyon devant permettre à la fois le désenclavement du Massif central et la connexion de la façade atlantique à l’axe nord-sud traversant la vallée du Rhône, mais aussi à l’est de l’Europe et en particulier à l’Italie et à la Suisse. »

Ce vaste projet entamé dès les années 1980 est en voie d’achèvement.

Il reste cinquante kilomètres d’autoroute à construire, entre la Loire et le Rhône, deux départements dirigés depuis leur création, par la majorité UMP UDF.
Or l’une des raisons principales de l’impasse dans laquelle se trouve l’achèvement nécessaire de la seule autoroute transversale de notre pays réside dans le retard pris sur la définition du tracé de ces cinquante kilomètres, moins de 10 % de l’ensemble.

Chacun sait qu’il a fallu l’apport de Jean Claude Gayssot, alors ministre des Transports pour finaliser un parcours réaliste et de moindre coût. Une économie de 30% a pu être actée en changeant l’arrivée de ce tronçon de Anse à La Tour de Salvagny.

Outre les questions de tracé, objet universel de contestations, droit légitime des futurs riverains, le retard pris pour la finalisation de cette liaison d’importance nationale voire européenne s’explique par une difficulté de financement.

Il n’est pas anodin de souligner que ce retard se concrétise entre deux départements que dirige la même majorité qui oeuvrent pour un libéralisme absolu.
Il y a quelques années, avant 1997, il aurait été possible de boucler cette autoroute par la technique dite de l’adossement. Mais aujourd’hui les ravages de la « concurrence libre et non faussée » reviennent en plein visage à ceux - la même qui l’ont érigé en règle supérieure. Les mêmes d’ailleurs qui viennent de privatiser les sociétés autoroutières..

En septembre dernier M le ministre Pascal Clement, au demeurant président de la Loire, avait obtenu de son ami le commissaire européen M Jacques Barrot une exception à cette règle de mise en concurrence pour tout marché d’importance, claironnait victoire, et annonçait bruyamment que la Loire, sous son impulsion, aurait son autoroute sans rien payer !

Mais depuis le Conseil d’Etat vient de réfuter la thèse de M. Pascal Clément et de ses amis, thèse insoutenable de l’adossement du tronçon Balbigny - la Tour de Salvagny sur l’autoroute de deux kilomètres qui le précède et qui est géré par les ASF. Hélas pour le ministre de la Justice, le Conseil d’Etat ne pouvait pas dire autre chose que le droit.

La proposition de loi que nous avons sous les yeux est alors déposée en toute hâte, sur commande d’un ministre président qui confond l’autorité politique conférée par son portefeuille ministériel et ce qu’il considère comme son fief -

Mes chers collègues, une question de fond se pose à nous, au delà des clivages politiques que je respecte, au delà des territoires dont nous sommes les élu(e)s
Pouvons-nous accepter qu’une loi entérine un montage juridique ? Pouvons-nous accepter de légiférer pour cinquante kilomètres de bitume, aussi importants soient-ils pour un département comme le mien ?

Pouvons-nous légiférer pour sortir de l’impasse un dossier particulier ?

Je pense qu’il y a là un sérieux problème d’éthique.

Il s’agit en effet de contourner un avis du Conseil d’Etat sur un sujet très précis, un avis nullement motivé par une opposition politique à la réalisation d’un tronçon d’autoroute, mais par l’argumentation technique si je puis dire, qui a été soumis à sa sagacité, à son expertise.

Faire une loi non pas pour résoudre un problème politique nouveau surgissant d’une jurisprudence générale, mais pour éviter un avis technique dans un dossier particulier, est-ce bien là la mission du législateur ?

Franchement, nous en arrivons à du bricolage législatif, qui ne passerait pas la rampe du conseil constitutionnel si celui-ci était saisi !
On ne peut pas instrumentaliser à ce point à des fins non pas personnelles mais à des fins si particulières l’expression des représentants du peuple souverain.
La représentation nationale n’est pas là pour légiférer sur cinquante kilomètres d’autoroute.
Elle n’est pas là pour détourner les règles de la république !

M. le Président, mes chers collègues,

La finalisation de l’A 89 est une nécessité.
Les habitants du bassin roannais, de mon département de la Loire en souhaitent la réalisation.

Cela ne justifie en rien de détourner la loi alors que ce qui est en cause dans le retard pris dans ce dossier ce sont précisément des choix politiques.

Des choix dont il faut assumer les conséquences devant ses électeurs, des choix de privatisation des autoroutes qui nuisent à la population, des choix d’aménagement du territoire où rail et route ne sont pas pensés dans leur globalité.
Des choix qui sont ceux de la droite et que je n’assumerais pas.

Avec mes collègues du groupe Communiste Républicain et Citoyen, nous soutenons l’achèvement de l’A89, mais nous ne soutiendrons pas cette proposition de loi. Notre abstention en témoignera clairement.

Josiane Mathon-Poinat

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