Monsieur le Président,
Messieurs les Ministres,
Mes chers collègues,
L’agriculture française demeure un élément incontournable de notre économie au service de sa fonction première : nourrir la population, mais également, de toutes ses fonctions secondaires vis-à-vis de l’environnement, de l’aménagement du territoire, du tourisme et de la ruralité. Le budget 2003 de l’agriculture qui nous est présenté tente, à la fois, de se démarquer des budgets précédents et de justifier son impuissance par, je cite, « le poids de l’héritage », notamment la montée en puissance des CTE que la droite a toujours combattu et le coût de la retraite complémentaire au sein du BAPSA que la droite a pourtant voté.
Ce budget annoncé en augmentation de 0,9% est, en réalité, en régression, compte tenu de l’inflation et n’amorce pas une réponse à la hauteur de la situation de crise que connaît notre agriculture dans la quasi-totalité de ses productions. Les cours du porc stagnent autour d’un euro le kg, la viande bovine ne s’est pas remise de la crise de confiance provoquée par l’ESB et la fièvre aphteuse. Les céréales sont concurrencées par les importations abusives de Russie ou d’Ukraine qui sont passées de 5,5 millions de tonnes à 12,7 millions de tonnes sans être taxées à 155% du prix européen d’intervention, comme cela est possible. Pourquoi la commission a-t-elle ainsi bradé la préférence communautaire ? La crise agricole trouve sa principale cause dans l’importation abusive de viandes saumurées du Brésil et d’Argentine.
Les fruits et légumes sont les premières victimes des importations de la grande distribution et de ses pratiques commerciales illégales.
La crise de la viticulture qui a suscité un récent rapport de la Commission des Affaires économiques vient renforcer ce tableau.
Enfin, si les ovins se vendent bien pour l’instant, le cheptel global se réduit, les vocations de bergers s’amenuisent et le loup irrite beaucoup dans le Mercantour.
Monsieur le Ministre, derrière ces crises, il y a des femmes, des hommes qui se découragent, qui, parfois même, mettent fin à leurs jours. Les chiffres sont accablants à ce titre. Harcelés par les contrôles tatillons, la pression des banques, les cours insuffisants et le poids de l’opinion publique à leur égard, nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, quittent la profession bien avant l’âge de la retraite.
A ce titre, le dispositif AGRIDIF qui est globalisé avec le Fonds d’allégement des charges, ne répond pas à la situation malgré les 10 millions d’euros votés à l’Assemblée Nationale. Depuis des années, les critères d’attribution se sont durcis pour les agriculteurs en difficulté, ce qui explique leur sous-utilisation. Il est urgent d’inverser tout cela, Monsieur le Ministre.
La réduction de 15% des crédits destinés aux offices est également inquiétante et réduit les possibilités de ceux-ci en période de crise.
J’ose espérer que le rapport promis à l’Assemblée Nationale préconisera l’abondement de fonds aux offices.
La prime herbagère agro-environnementale revalorisée de 70% est sans doute la mesure la plus positive de votre budget, encore faudrait-il que nous en connaissions les critères d’attribution. Seront-ils sociaux, environnementaux ou simplement quantitatifs ?
Enfin, les aides à l’équarrissage sont réduites de 205 millions d’euros et risquent de se répercuter une fois de plus sur la profession. A ce sujet, Monsieur le Ministre, je voudrais vous demander où en est le gouvernement par rapport à la question de l’élimination des farines animales, quelles solutions techniques préconise-t-il et où ?
A propos de l’installation des jeunes, le rapport budgétaire montre qu’un jeune sur deux s’installe hors DJA. Ils sont plus de 5000 chaque année à s’engager dans la profession sans aide et s’en trouvent particulièrement fragilisés.
Des mesures d’aides concrètes et simples en leur faveur seraient les bienvenues (mesures d’accompagnement technique, financières et sociales). Ce n’est donc pas le moment de baisser de 8,5 millions d’euros l’enveloppe DJA, même si vous dotez le Fonds d’incitation à l’installation et d’aide à la communication de 10 millions d’euros.
A propos des CTE, vous avez choisi, Monsieur le Ministre, de les suspendre temporairement dès le 6 août 2002 et ceci, sans concertation avec la profession agricole. A ce propos, je voudrais citer ici la délibération de la Chambre d’agriculture des Côtes d’Armor en date du 14 novembre dernier. La Chambre d’agriculture constate :
« que ces mesures prises unilatéralement par l’Etat vont conduire à réduire très fortement le montant des aides initialement prévues dans chaque contrat afin de respecter une moyenne départementale de 27.000 euros. »
Elle s’étonne :
« que ces mesures aient été prises sans aucune concertation avec la profession agricole. »
Elle déplore :
« que ces décisions arrivent à un moment où la dynamique en faveur des CTE commençait à porter ses fruits puisqu’elle refuse :
« en conséquence, de cautionner toute décision conduisant à réduire le montant des aides dans les projets de CTE déjà déposés en changeant les règles du jeu en cours de parcours. »
Elle demande :
« que le nouveau dispositif favorise la mise en œuvre d’un projet global d’exploitation avec pour objectif :
d’accroître la valeur ajoutée des produits agricoles ;
de privilégier l’utilisation des engrais de ferme ;
d’améliorer les conditions de travail et de production ;
de préserver les ressources naturelles.
Elle demande, enfin :
« que le futur dispositif CTE devienne rapidement opérationnel et soit suffisamment incitatif financièrement. »
Ce sont les agriculteurs des Côtes d’Armor qui le disent, Monsieur le Ministre, il faut les entendre.
Les CTE étaient dans le cadre de la LOA un outil au service de la multifonctionnalité, de l’environnement, de la maîtrise des productions et de la diversité des agriculteurs de notre pays, il est à craindre que ces objectifs soient dévoyés et que le CTE ne devienne un outil de modélisation de l’agriculture telle que vous la concevez. J’ai encore en mémoire les débats de la LOA où la majorité sénatoriale avait intentionnellement transformé nos exploitations agricoles en entreprises.
Il est regrettable qu’une véritable concertation n’ait pas eu lieu avec toute la profession, nous attendons avec impatience que vous dévoiliez vos intentions précises à ce sujet, Monsieur le Ministre.
Ce budget s’inscrit dans un contexte européen lourd de conséquences et d’inquiétudes pour le monde agricole. Je veux évidemment évoquer la révision à mi-parcours de la PAC suite aux accords de Berlin de 1999. Révision à laquelle vous avez fait front, Monsieur le Ministre, et je tiens ici à saluer publiquement votre attitude qui a servi les intérêts de la France en repoussant l’échéance, désormais, il faudra aller plus loin et réorienter cette PAC dans l’intérêt de tous.
La Commission européenne propose de « réformer la réforme » de 1999 sans, au préalable, en avoir établi un bilan à mi-parcours, il s’agit, en fait, de répondre toujours mieux aux critères ultra-libéraux de l’OMC, des Etats-Unis et du groupe de Cairns et d’engager l’agriculture française comme monnaie de négociation future. Ceci est inadmissible au moment où les Etats-Unis relancent la course aux subventions avec le Farm Bill 2002. L’Europe, au contraire, doit assurer son indépendance, sa souveraineté alimentaire et appliquer plus que jamais la préférence communautaire.
Le découplage des aides envisagé par la Commission est pervers à double titre : d’une part, il assure aux exploitations une rente calculée sur les références des trois dernières années (moyenne des primes perçues) ce qui crée une distorsion importante entre les exploitations selon la qualité des sols, la situation géographique et le type de production : une mesure qui fragilise les plus faibles.
D’autre part, cette référence n’existant pas pour les dix pays qui vont entrer dans l’Europe, ceux-ci devront accepter ce que l’on voudra bien leur accorder. Deuxième effet pervers !
L’éco-conditionnalité que nous partageons tous ne doit cependant pas servir à la fois à satisfaire l’opinion publique et cacher une politique agricole d’abord orientée au profit de l’agro-industrie exportatrice européenne.
Les plafonnements et la baisse des aides programmées ne peuvent que porter préjudice aux exploitations de dimension familiale et favoriser l’intensif.
Autre aspect pervers : le déficit en protéines européen lié à l’ESB et à la suppression des farines animales dans l’alimentation n’est pas comblé par une politique volontaire de développement des cultures d’oléagineux et de protéagineux, cultures qui ont, par ailleurs, l’énorme avantage d’être économes en engrais chimiques puisqu’elles fixent l’azote de l’air, les 36 millions de tonnes de graines oléagineuses et protéagineuses importées correspondent à 10 millions d’hectares de cultures en Europe.
S’il est vrai que la politique des aides, qui représente plus de 50% du revenu agricole, artificialise l’agriculture, toute modification de celle-ci doit être subordonnée à une réelle et pérenne politique de prix stables et rémunérateurs. L’action du 20 novembre dernier, engagée par la FNSEA et les Jeunes agriculteurs a été largement soutenue par la Coordination rurale, le MODEF, UFC, Que choisir et la CGT. Je crois, Monsieur le Ministre, que vos promesses de renforcement des contrôles et de sanctions ne suffisent pas à enrayer les pratiques des GMS, même si elles sont nécessaires, il est urgent d’aller plus loin et de durcir la loi NRE, voire de surtaxer les profits exorbitants de la grande distribution si celle-ci n’obtempère pas.
Enfin, l’élargissement à 25, pour lequel nous sommes favorables pour se partager la manne initialement prévue pour 15, ne se fera pas sans lourdes conséquences, qu’il s’agisse des Etats actuels ou des Etats entrant dans l’Europe.
Le jeu de massacre prévisible du plan des populations agricoles et de leur reconversion n’a pas été mesuré par la Commission européenne.
Pour me résumer, Monsieur le Ministre, mes cher(e)s collègues, je crois qu’il est indispensable que la France propose une PAC :
Il faut absolument faire jouer la préférence communautaire.
Il faut prendre les dispositions de maîtrise de la production dans les secteurs où la France est sensiblement excédentaire.
Il faut orienter les primes en faveur des secteurs les plus nécessiteux (zones de production difficiles, zones pauvres).
Enfin, il faut favoriser l’installation de tous les jeunes agriculteurs DJA et hors DJA afin de maintenir un véritable tissu rural.
Votre budget ne s’oriente pas encore vers ces directions, Monsieur le Ministre, le débat dans cet hémicycle sur la LOA a montré le gouffre qui nous séparait de la droite en matière agricole, même si, parfois, des propositions de tout sens peuvent être communes, aussi, nous voterons contre ce budget.