Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que, voilà soixante ans, l’appel de l’Abbé Pierre pour le droit au logement résonnait comme un cri d’alarme devant la nécessité absolue de garantir à tous des conditions de vie qui respectent la dignité des hommes, le défi du logement pour tous n’est toujours pas relevé. Le droit au logement est pourtant un droit fondamental, reconnu constitutionnellement.
Aujourd’hui, accéder à un logement et pouvoir s’y maintenir est toujours la première préoccupation de la majorité de nos concitoyens. C’est donc avec beaucoup d’espoir que la loi ALUR était attendue.
Le processus de la préparation et de l’élaboration de ce projet de loi a été mouvementé. Nos débats ont été longs, riches et passionnés. Mais aujourd’hui, qu’en est-il réellement ? En quoi ce projet de loi apporte-t-il des réponses à la crise du logement que traverse notre pays ?
Au fond, le message de ce gouvernement concernant la politique du logement est contradictoire. Alors que les objectifs affichés au travers du projet de loi ALUR, à savoir introduire de la régulation dans un secteur qui a été totalement soumis à la marchandisation, sont ambitieux, le cadre budgétaire général pénalise votre action, madame la ministre.
Ainsi, les crédits liés à la politique du logement ont été une nouvelle fois rabotés. Les aides à la pierre sont en baisse, loin des 800 millions d’euros promis par le Président de la République. Les aides personnalisées au logement, les APL, ont été gelées jusqu’en octobre prochain. L’épargne populaire collectée par le biais du livret A a été rendue aux banques. Comment, dans ces conditions, envisager une quelconque amélioration, si ce n’est à la marge ?
Madame la ministre, je vous le dis simplement : même si j’apprécie votre engagement personnel pour le droit au logement, le contenu de ce projet de loi n’est pas à la mesure de la grave crise du logement que connaît notre pays.
Certaines mesures sont positives, certes, et l’action de notre groupe a permis des avancées importantes. Je pense notamment à l’allongement de la trêve hivernale, à la pénalisation des expulsions manu militari, à la reconnaissance du caractère universel du droit à l’hébergement d’urgence, à l’interdiction, pour le bailleur, de s’opposer au versement des APL au locataire, à la possibilité de sanctuariser les dépôts de garantie…
La qualité du débat d’octobre dernier a permis d’améliorer ce projet de loi, notamment sur la question du PLUI, qui représentait le principal point de blocage. L’instauration d’une véritable minorité de blocage a constitué le point d’équilibre, permettant à ce projet de loi d’être adopté par la majorité sénatoriale de gauche.
Vous nous avez assurés de votre volonté de défendre ce compromis à l’Assemblée nationale, et le Premier ministre avait soutenu cette position au Congrès des maires. Pourtant, malgré vos tentatives de conciliation, les députés ont balayé nos travaux ; nous le regrettons.
Permettez-moi alors d’exprimer des doutes sur la suite du processus, quand bien même nous confirmerions ici notre attachement au compromis trouvé.
Le temps de parole des orateurs des groupes dans la discussion générale étant contraint, je n’aborderai au fond que trois points qui me semblent essentiels.
Premièrement, nous confirmons notre jugement de première lecture sur l’encadrement des loyers. Si nous partageons la volonté de réguler le marché, nous estimons qu’aujourd’hui l’urgence commande non pas d’encadrer les loyers à un niveau anormalement élevé, mais bien de les geler, puis de les faire baisser. Le mécanisme proposé ne permettra pas d’atteindre cet objectif, dans la mesure où il se borne à accompagner les tendances du marché, en lissant les écarts sans remédier au fait que les loyers sont beaucoup trop élevés. Les propositions que nous formulons tendent à les faire baisser de manière progressive, en retenant pour plafond, en zone tendue, celui du prêt locatif social.
Deuxièmement, la GUL s’écarte un peu plus encore de ce que nous entendons par une « sécurité sociale du logement ». En effet, elle n’a plus rien d’universel. Certes, elle reste gratuite, mais elle devient facultative, s’apparentant désormais à un outil parmi d’autre pour sécuriser le bailleur face au risque locatif. Nous sommes très attachés, pour notre part, au maintien de son caractère universel, et donc obligatoire.
Par ailleurs, nous trouvons le dispositif particulièrement déséquilibré, plus encore qu’initialement. En effet, les travaux menés entre les deux lectures ont conduit à renforcer les garanties accordées aux bailleurs, alors que nous continuons de nous interroger sur les contreparties réelles offertes aux locataires. Pour le bailleur, l’intérêt de la GUL est évident : elle lui permettra de se faire rembourser les impayés. À l’inverse, les locataires resteront, quoi qu’il arrive, débiteurs et redevables de ces impayés,…
M. Philippe Dallier. Ça paraît normal…
Mme Mireille Schurch. … tandis que le Trésor public est instrumentalisé pour recouvrer des dettes privées.
M. Philippe Dallier. C’est son boulot !
Mme Mireille Schurch. L’accompagnement des personnes en difficulté n’est pas renforcé. Il s’enclenchera éventuellement plus vite, mais je n’appelle pas cela un droit nouveau.
Qui pis est, le mécanisme préconisé va exclure de nombreux locataires fragiles du marché, par la création d’un « fichier des mauvais payeurs ». Tout impayé sera recensé par l’agence. Seront donc exclus de l’accès à la GUL ceux qui auront connu ce type de difficultés durant deux années. Nous n’approuvons pas cette démarche antinomique du droit au logement pour tous.
J’en viens maintenant au troisième point d’achoppement : le fameux PLUI.
Vous connaissez notre position de fond : nous considérons que tous les projets menés depuis plusieurs années dévitalisent les communes et évaporent leurs compétences. Pour nous, le respect de l’échelon communal, c’est le respect de la démocratie. Il faut cesser de penser que les élus locaux, a fortiori en milieu rural, sont incompétents, qu’ils grignotent les terres agricoles, qu’ils sont clientélistes et méconnaissent au fond la notion d’intérêt général. Ce mépris n’est pas acceptable, alors même que l’État se désengage des territoires, comme en témoigne l’article 61 de ce projet de loi.
Nous considérons donc que, notamment s’agissant du droit des sols, les élus locaux doivent conserver des prérogatives et que l’élaboration d’un PLU intercommunal doit rester un choix, et ne pas devenir une obligation pour tous les territoires. À l’heure où la carte intercommunale est retouchée, pourquoi aller à marche forcée ? Pourquoi ne pas faire comme votre collègue François Lamy et permettre une articulation entre les communes et les intercommunalités, dans un esprit de coconstruction, plutôt que d’imposer le carcan d’un transfert autoritaire de compétence ? Nous faisons, pour notre part, confiance à la démocratie et aux élus.
Comme en première lecture, nous soutiendrons l’amendement pragmatique de M. Bérit-Débat, dont la proposition a conduit à un consensus, dans le respect des élus locaux, des communes et de leurs EPCI. Au cours de ces débats, madame la ministre, nous défendrons avec détermination les valeurs qui sont les nôtres, afin qu’elles puissent véritablement imprégner ce projet de loi.