Protection des inventions biotechnologiques

Publié le 26 octobre 2004 à 14:19 Mise à jour le 8 avril 2015

par Gérard Le Cam

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,

Les deux sessions ordinaires et extraordinaires qui viennent de s’écouler auront été une succession de coup de force politique visant à court-circuiter les prérogatives parlementaires en ne permettant à ces derniers d’effectuer dans de bonnes conditions leur travail.

Car, cette boulimie gouvernementale de textes s’est accompagnée de la multiplication de projets de loi déclarés d’urgence concernant des sujets particulièrement importants : changement de statut et privatisation des grandes entreprises de service public de l’électricité et du gaz, EDF-GDF ; privatisation de notre compagnie aérienne Air-France qui avait particulièrement bien résisté à la crise du secteur, bouleversement du champ de régulation des communications électroniques et des services de communications audiovisuelles, réforme de la sécurité sociale…autant de texte touchant aux fondements même de l’organisation et du fonctionnement de notre société.

L’encombrement du calendrier parlementaire et cette précipitation à légiférer sur des domaines des plus importants pour l’avenir de notre pays a eu tendance à transformer le parlement en simple chambre d’enregistrement et ce d’autant plus que les amendements de l’opposition étaient dans la majorité des cas, systématiquement rejetés sans réel débat de fond.

Or, force est de constater que malgré les déclarations d’intention, le gouvernement semble vouloir poursuivre dans la même voie.

Recourir à la procédure d’ordonnance pour ouvrir la session parlementaire avec un projet de loi de plus de 60 articles touchant des domaines multiples mais non des moindres en est une illustration parfaite !
La volonté de consacrer le lundi ou le vendredi, jours traditionnellement réservés au travail en circonscription, à l’examen en séance public de textes transposant des directives européennes en est une autre illustration tout aussi parfaite !

Là encore, nous le savons très bien, les directives européennes touchent à des questions et choix de sociétés si cruciaux qu’elles devraient exiger un délai suffisant et ce, aussi du fait du caractère de plus en plus technique des textes européens qui versent parfois dans l’hermétisme le plus total.

A cela s’ajoute encore le fait que l’on assiste de plus en plus, sur des sujets des plus graves et généralement lourds de conséquences, à des contradictions parfois rédhibitoires entre notre propre législation et de droit communautaire. Autrement dit, les directives d’inspiration fortement libérale sur le plan économique et anglo-saxonne sur le plan juridique heurtent de plein fouet notre conception sur des choix cruciaux de société.

Cette directive 98 / 44 / CE en est tout à fait exemplaire, et ce à plusieurs égards.

En premier lieu, —et raison pour laquelle le gouvernement de gauche les avait préalablement retirés de ce projet de loi - ses articles 5 et 6 relatifs à la brevetabilité du vivant ont suscité de multiples débats et polémiques débordant des clivages politiques traditionnels tant les enjeux éthiques y sont considérables.
Lors de la discussion en séance publique, notre groupe, et nous n’étions pas les seuls, s’était fermement opposé à l’article 5. Mon collègue et ami Guy Fischer s’adressait, le 8 juin dernier, en ces termes à la majorité sénatoriale :
« la brevetabilité des éléments du corps humain, notamment de son génome, mais plus largement, du vivant dans sa totalité, fait toujours d’objet de notre opposition majeure à la position que vous avez prise tout au long de l’examen de ce texte. Vous êtes bien embarrassés et je vous comprends. Comment en effet pouvez-vous, comme le fit M. Matteï, comme vient de le faire M. Douste-Blazy, comme l’a exposé notre rapporteur - avec tout le respect que je lui dois - affirmer à la fois qu’il y a incompatibilité entre la loi française et la directive européenne, sans pour autant avoir le courage politique de revenir sur celle-ci.
En cela, les scientifiques vous renvoient dos à dos mes Chers Collègues en disant qu’il appartient au pouvoir politique de renégocier la directive européenne. Au lieu d’en étudier la faisabilité, vous faites de la « haute voltige » pour éviter d’affirmer que vous n’entendez pas revenir sur une directive pourtant largement incriminée par la communauté scientifique et une grande partie des formations politiques. ».

Vous considérez, Monsieur le Rapporteur, je vous cite, que « l’hypothèse d’une renégociation de la directive devenant, au fil du temps, de moins en moins réaliste l’obligation de transposer complètement le texte a fini par s’imposer ».

Nous continuons de penser que de nombreuses et graves questions demeurent soulevées par cette directive visant la protection des inventions biotechnologiques. Le flou, par exemple, persiste toujours entre distinction de ce qui relève de l’invention et ce qui relève de la découverte. Enfin, loin de chercher, comme le réclamaient lors du débat sur la loi bioéthique des scientifiques patentés, à laisser ouverte la possibilité de réviser la directive, vous vous réjouissez de son adoption totale et définitive par le biais d’un texte rendu plus conforme encore à l’esprit même de la directive.

En deuxième lieu, la mise en place d’un droit européen de la brevetabilité dans le domaine des biotechnologies comporte d’énormes enjeux économiques touchant aussi bien les secteurs de la santé que l’agro-industrie ou encore l’industrie pharmaceutique. Car, il faut le souligner, avant toute chose, le brevet confère à son détenteur le droit d’exploiter commercialement son invention. Qui nierait dès lors, que le domaine des biotechnologies, celui des manipulations génétiques ayant abouti aux organismes génétiquement modifiés (OGM), offrent d’énormes perspectives de profits, voire des rentes de monopoles, aux multinationales du secteur.
Là encore, au nom des impératifs de compétitivité, la transposition complète et définitive de la directive, se justifierait et ce en faisant fi des enjeux et réflexions éthiques et sociétaux à la clé !

J’observe que contrairement à l’esprit du texte déposé par le gouvernement de gauche, vous prenez soin, monsieur le rapporteur, à travers un certain nombre d’amendements, de rendre le projet de loi plus conforme à la directive.
Nous sommes un peu pris de court pour mesurer l’exacte portée des modifications que vous opérez. Le moins que l’on puisse dire est que vous ne laisser guère de marge de manœuvre et de souplesse d’appréciation au législateur.

Vous justifiez cette volonté d’assurer une meilleure conformité du texte à la directive par le souci d’éviter de futurs litiges qui pourraient porter préjudice aux entreprises et laboratoires de biotechnologies. Tout ceci est discutable et relève peut-être de choix politiquement bien différents de ceux de l’ancien gouvernement de gauche.
Cela apparaîtra sans doute au cours de ce débat et lors de la seconde lecture. En tout cas, c’est un choix politique d’opter pour une certaine souplesse dans la transposition, de laisser la porte ouverte à de possibles renégociations sur des domaines où l’évolution technologique est extrêmement rapide et introduit des changements radicaux.

Enfin, et si je m’adresse si souvent à vous, Monsieur le rapporteur, c’est au fond parce que vous modifiez substantiellement un projet de loi déposé en novembre 2001.
Vos propositions vont au-delà du contenu même de la directive puisque vous introduisez l’exception du sélectionneur afin, précisez-vous, « d’assurer la survie des entreprises semencières européennes par une coexistence harmonieuse et équilibrée entre le droit des brevets et celui des obtentions végétales ».

Je m’interroge, pour ma part, sur le sort réservé à notre petite paysannerie, dont la survie est essentielle à l’aménagement de notre territoire.
Car, au final, à qui profite l’extension de la brevetabilité sur le plan européen ?
Comme le signale d’ailleurs à juste titre le rapport, le règlement communautaire prévoyant d’exonérer les petits agriculteurs de payer une rémunération au titulaire du certificat d’obtention végétale n’a jamais été introduit en droit français. Une telle discrimination positive à l’égard des petits agriculteurs, les gros agriculteurs devant s’acquitter d’une redevance pour bénéficier du privilège de l’agriculteur me semble pourtant tout à fait opportune.

Il n’en demeure pas moins, qu’on ne peut que s’inquiéter de la domination et des pressions qu’exercent aujourd’hui les grandes entreprises semencières sur les agriculteurs qui produisent des semences fermières pour leur propre exploitation.
Face au développement des biotechnologies et des pratiques de sélection de nouvelles variétés, il paraît évident que les semenciers cherchent à obtenir le monopole de la reproduction des graines. Par divers moyens, ces derniers tentent depuis une dizaine d’années de soumettre les agriculteurs à une obligation d’achat de leurs semences : à travers, par exemple, des contrats de qualité qui permettent aux agriculteurs d’écouler leur production moyennant l’achat de semences ; à travers le développement de la « brevetabilité » qui permet l’appropriation privative de la semence ou encore parce que les semences hybrides ou à base d’OGM ne peuvent être reproduites par les agriculteurs eux-mêmes. A terme, les semences de ferme, au demeurant moins coûteuses que les semences hybrides tout en étant de qualité comparable, sont-elles condamnées à disparaître ?

De telles questions méritent d’être soulevées face à l’emprise de plus en plus évidente des grands groupes mondiaux semenciers.

Pour terminer, et au vu de ce que je viens de dire et des interrogations qui demeurent, je crois qu’il aurait été nécessaire de procéder aux traditionnelles auditions sur un projet de loi dont les enjeux économiques et sociaux sont avérés.
Nous ne pouvons que regretter cette nouvelle précipitation.

Dans l’attente d’éventuels approfondissements au cours de la navette, le groupe CRC s’abstiendra donc sur ce projet de loi.

Gérard Le Cam

Ancien sénateur des Côtes-d'Armor
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