Ville et rénovation urbaine

Publié le 22 juillet 2003 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

par Yves Coquelle

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cher-e-s collègues

C’est à nouveau dans la précipitation que nous entamons l’examen d’un texte supposé « casser la spirale de la ségrégation sociale et territoriale que connaissent de nombreux quartiers où vivent près de six millions d’habitants ».

Il faut effectivement casser cette spirale. Les mesures que vous proposez, Monsieur le Ministre, y parviendront-elles ? Permettez-nous d’en douter.
Les difficultés des quartiers concernés par votre projet, celles que vivent leurs habitants, sont avant tout le résultat d’une politique globale.

Or, depuis un an, le gouvernement procède, projet de loi après projet de loi, à un remodelage complet de la société dans un sens ultralibéral. Il accélère toutes les mesures négatives, de régression sociale, de casse des solidarités, de libéralisation. La cohésion nationale est menacée ; les inégalités sociales et territoriales vont s’accroître de manière dramatique avec la soit-disant décentralisation. Vous présentez votre projet de loi, Monsieur le Ministre, comme un « complément indispensable des lois de décentralisation » ; cela ne peut que nourrir nos inquiétudes.

Comment faire croire qu’avec moins de services publics, moins de dépenses publiques, les orientations et objectifs avancés en matière de diminution du chômage, de formation professionnelle, de prévention, d’accès aux soins, de réussite scolaire ou d’accessibilité aux services publics seront atteints ? Ce n’est pas sérieux.
Pour 2003, le budget de la politique de la ville, tous ministères confondus, à baissé de 3 % et touché essentiellement les opérations de fonctionnement.

Les emplois-jeunes sont supprimés. Que vont devenir les associations, les professionnels qui tentent, avec des moyens insuffisants, d’améliorer un peu la situation des habitants, de faire un peu de lien social ?
Vouloir ne considérer que la crise urbaine, les quartiers « sensibles », c’est camoufler la réalité de la crise sociale, de crise de l’Etat ; c’est camoufler les défaillances de ce dernier dans ses missions.

Alors qu’aujourd’hui, il n’est procédé qu’à 8 000 démolitions de logements par an, votre programme, Monsieur le Ministre, en prévoit 40 000. C’est irréalisable. La démolition est une opération lourde socialement, humainement, politiquement. Elle l’est d’autant plus que, comme l’indique le Conseil national des villes : « le relogement est réalisé majoritairement, à cause des réticences des autres bailleurs et de l’égoïsme des autres communes à les accueillir, dans les communes qui « le peuvent » sur place. Mais, les familles relogées ne seront pas les bénéficiaires directes des logements qui seront reconstruits ».

Il est certes nécessaire, dans certains cas, d’avoir recours à la démolition. Mais le problème, c’est cette conception qui fait qu’on va détruire un immeuble en tant que tel, au nom des difficultés sociales de tous ordres ; bref, au nom de la pauvreté. C’est laisser croire que le bâti serait la cause de tous les maux.

De plus, à l’instar du Conseil national des Villes et du Conseil économique et social, nous craignons en bout d’opération un solde négatif, une accentuation de la pénurie de logements sociaux.
Je lis par exemple, parmi les fiches remises à la presse le18 juin dernier : Meaux, ville de Monsieur Coppé ; projet de rénovation urbaine 2003-2008, quartier Beauval-Pierre Collinet :

  • 2500 réhabilitations
  • 1600 démolitions
  • 570 reconstructions sociales
  • 730 nouveaux logements libres.

C’est une bonne illustration de la politique du gouvernement, qui n’ aucune volonté politique de faire face à la crise du logement, dans notre pays . Alors que rois millions de personnes sont mal logées, le budget du logement est en baisse de 300 millions d’euros pour 2003, et une partie des crédits gelée.

Il faudrait construire de 80 à 90 000 logements sociaux par an ; on en construira peut-être 30 000 cette année, le chiffre le plus bas depuis cinquante ans, ce qui soulève des inquiétudes au sein du Conseil Economique et social.

Le gouvernement a abandonné le principe de l’obligation des communes d’atteindre 20% de logements sociaux en vingt ans. Il a ainsi créé de toutes pièces les conditions d’un isolement social et spatial. Il a porté atteinte au droit à l’habitat et affaibli considérablement la possibilité même d’agir sur les inégalités dans la ville.

Il a abrogé la loi de 1948. Ce sont 300 000 logements privés à vocation sociale en moins, l’équivalent de six ans de production de logements sociaux ! A Paris, alors qu’un effort de construction de 3 500 logements sociaux a été entrepris, ce sont 50 000 logements qui sortent du logement social de fait ; 10 à 15 ans d’efforts anéantis d’un trait de plume.
Les quelques contraintes (loyer et plafonnement) du dispositif Besson ont été supprimées et 63 % de l’investissement est remboursé !

Le logement social est ainsi un enjeu pour le Medef, qui rêve de rapatrier sur le marché les 15 milliards de chiffres d’affaires qui lui échappent en partie.

L’accès à la propriété devient une priorité et le secteur privé reste dégagé de toute responsabilité en matière d’accès au logement pour ceux qui en ont le plus besoin.
Les institutions françaises, comme la Caisse des dépôts et consignation ou la Banque de France vendent à tour de bras des dizaines de milliers de mètres carrés aux fonds de pension américains, dont l’objectif est de revendre par lot, appartement par appartement, et de réaliser une plus value spéculative sur le court terme. Pour les locataires concernés les choix sont terribles : acheter très cher, grossir la liste des demandeurs de logements, ou quitter Paris.

Dans d’autres villes, la vente du parc locatif social est préoccupante.
Ainsi, pour une part très importante, c’est de plus en plus la loi du marché qui prévaut. Nous allons à marche forcée vers la suppression d’une politique nationale du logement au profit d’un éclatement de celle-ci (qui va encore accentuer l’apartheid urbain.

Rien d’étonnant, par conséquent, si la participation financière de l’Etat dans le programme de rénovation urbaine, par le biais de l’Agence nationale de rénovation urbaine, est particulièrement peu élevée.

L’Etat se désengage sur les OPHLM -autrement dit les locataires- qui vont devoir verser jusqu’à 70 millions d’euros, et sur les fonds du 1 %, au détriment des missions originelles de ces organismes, et au nom de la solidarité. Il se désengage sur les collectivités locales.

Le texte de loi confirme les 41 zones franches urbaines existantes et en crée 44, dans des quartiers où le chômage est deux fois plus élevé qu’ailleurs et frappe surtout les jeunes de moins de vingt-cinq ans. Les seules mesures sont des mesures d’exonération sans contrepartie, sans véritable contrôle.

Dans le débat sur les retraites, nous avons proposé, qu’au lieu de telles mesures, on applique une modulation des cotisations en fonction de l’effort de création d’emplois. Dans ces quartiers une telle disposition était opportune. Vous n’avez pas voulu l’envisager.

Alors que le nombre d’emplois créés ou, j’y insiste, transférés -ils représentent 40% du total- dans les ZFU, il a atteint 46 000 en 2002, ce sont en un an plus de 90 000 emplois qui ont été détruits. A Grigny, existe une zone franche urbaine, qui a permis la création de quelques emplois. Mais dans le mêmes temps, juste à côté, il y a eu des licenciements à Lu-Danone, à Air Lib.
Dans tout le pays, de nouveaux plans sociaux sont annoncés tous les jours. Dans mon département du Pas-de-Calais…, dans ma région du Nord…

Ce sont des dizaines de fermetures d’entreprises, des dizaines de milliers de suppressions d’emplois sur une année.
Et ce sont toujours les qui en sont les premières victimes. Les plus pauvres et les jeunes ; le chômage des jeunes de moins de vingt-cinq ans atteint 30% dans certaines villes ; 38% à Paris. Ce sont de véritables désastres humains que la politique de récession, de régression sociale du gouvernement programme.

Mon collègue Roland Muzeau avait évoqué cette question devant vous en mars dernier, sans obtenir de réponse.
La vérité, c’est qu’on ne construit pas une politique urbaine sur la démolition, sur la stigmatisation des HLM, sur les cadeaux aux entreprises. Il faut une forte politique d’accompagnement de l’urbanisme avec une forte dimension sociale et humaine.

Or l’essentiel de votre projet, Monsieur le Ministre, laisse de côté les aspects sociaux de la politique de la ville. Car pour cela, il faut des moyens. Vous ne les avez pas. Le gouvernement préfère la libéralisation et le soutien au parc privé.

En filigrane, ce qui pointe dans votre projet, c’est un nouvel apartheid social qui fait fi de la mixité sociale. Le risque, je l’évoquais, est grand que le gouvernement soit plus volontariste sur les démolitions que sur les reconstructions de logements sociaux, là où il y en aurait de trop, aux yeux de certains maires.

Les murs, je le disais, ne sont pas seuls en cause. A ne s’en prendre qu’aux formes qui ont le malheur de marquer le paysage et de signaler le mal de vivre, on peut présager l’émergence de nouveaux problèmes urbains.
A moins que le souci ne soit justement de faire disparaître du paysage ce signal, cette marque des dysfonctionnements de notre société dans ces grands ensembles souvent situés, selon vos propos, Monsieur le Ministre, dans des « sites magnifiques ».

A moins que le souci « inavouable » soit de récupérer le foncier qui a pris de la valeur parce que le terrain de ces cités autrefois excentrées a été rattrapé par la ville et les mécanismes spéculatifs. Ces logements déclarés obsolètes le sont plus pour des raisons sociales que pour des raisons techniques et ont pris, en revanche une incontestable valeur urbaine.

Ces cités autrefois implantées « hors les murs », dans des sites lointains, peuvent maintenant être de vrais quartiers, articulés avec la trame urbaine, les réseaux de transport ; c’est alors qu’on envisage de les démolir. Cela fera le bonheur des promoteurs à la recherche de terrains au moindre coût, alors que les bailleurs sociaux ont du mal à construire, car pour eux, les terrains sont trop chers. Il serait urgent de mettre en place une politique foncière empêchant la spéculation de gagner.
N’aviez-vous pas évoqué, Monsieur le Ministre, en octobre dernier, la création de zones franches immobilières facilitant la construction de logements de « grande qualité » dans ces quartiers ?

La libéralisation de domaines comme celui du logement, des transports, des services publics… telle qu’elle se profile dans la décentralisation, se profile aussi dans votre projet de loi, Monsieur le Ministre.

Le risque, c’est que nous assistions à la relance d’une nouvelle vague massive d’exclusions centrifuges, qui conduiront à empêcher les personnes aux revenus modestes à s’accrocher à la ville. Ils devront toujours plus s’éloigner.

La mixité sociale, Monsieur le Ministre, ne se décrète pas. Elle ne peut être que le résultat d’une politique globale concernant l’emploi, le logement, l’éducation, le service public...

Le vrai débat auquel il aurait fallu s’atteler, c’est celui de la conception de la ville ; une ville diversifiée et rééquilibrée, ouverte et accessible. C’est celui de la démocratie, du droit donné aux habitant de décider du quartier ou de la ville dans lesquels ils veulent vivre. C’est celui de la liberté du choix de résidence et de lieu de vie, celui d’un vrai parcours résidentiel. Celui d’un accès égal aux différentes parties de la ville, centre ou périphérie.

Malheureusement, votre projet est partiel, partial et insuffisant. Il ne permettra pas de résoudre les difficultés.

Yves Coquelles

Ancien sénateur du Pas-de-Calais

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