Politique étrangère de la France

Publié le 14 mai 2008 à 07:52 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la diplomatie française a longtemps été considérée comme une référence.

En effet, la France a des atouts pour jouer un rôle important sur la scène internationale : elle s’affiche comme la cinquième puissance économique mondiale, elle possède encore le second réseau d’ambassades, elle siège en permanence au Conseil de sécurité, elle est représentée en bonne place dans les institutions internationales, elle compte 150 centres culturels et 270 lycées à l’étranger.

Un an après l’élection du chef de l’État et deux mois avant la présidence française de l’Union européenne, de nombreuses personnes, en France, mais peut-être plus encore à l’étranger, estiment que la diplomatie française procède d’une politique dont les choix se sont altérés et dont l’image s’est sensiblement ternie.

La politique étrangère de la France méritait bien un débat, et je remercie le président de la commission des affaires étrangères du Sénat d’en avoir demandé - et obtenu ! - l’organisation.

La présidence Sarkozy s’annonce à l’évidence comme celle d’un prétendu retour de la France sur la scène internationale, à marche forcée, entraînant souvent de légitimes crispations chez nos partenaires. Le chef de l’État semble s’être soudain pris de passion pour cet exercice difficile, mais il se comporte à l’étranger comme en France : beaucoup d’agitation volontariste et une amnésie chronique quant à ses promesses de campagne.

Le 26 avril 2007, au cours d’une conférence de presse visant à exposer sa vision de la politique étrangère, le candidat à l’élection présidentielle s’était alors prononcé pour une présence militaire en Afrique « réduite au maximum » et avait souhaité que la France mette fin à toute ambiguïté et complaisance dans ses relations avec ses partenaires arabes.

La tentation d’affirmer la présence française dans les moindres recoins du monde semble relever davantage d’une fuite en avant, voire d’improvisations, aux antipodes de la diplomatie efficace et reconnue qu’avait portée la France, notamment, lors de son refus de s’engager dans l’aventure irakienne de M. Bush.

La façon de procéder est pour le moins discutable et révèle souvent un mépris certain envers l’opinion publique et la représentation nationale. J’en veux pour preuve la très médiatique libération des infirmières bulgares, l’envoi d’un avion dans la jungle colombienne, les déclarations engageant militairement la France devant les parlementaires anglais, l’intervention dirigiste et inélégante envers la Chancelière allemande et les maladresses et ambiguïtés de la France dans ses relations avec la Chine à la veille des jeux Olympiques.

Cet état de fait me permet de souligner d’autant mieux l’importance de la mission sénatoriale conduite récemment avec succès par le président Poncelet, conjuguée à celle de Jean-Pierre Raffarin. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. -M. Robert Bret applaudit également.)

M. Bernard Kouchner, ministre. Bravo !

M. Robert Hue. Les nombreux faux pas que j’ai évoqués précédemment irritent les dirigeants étrangers et amusent souvent la presse internationale.

Notre diplomatie doit être forte, par son influence, mais aussi par sa capacité d’initiative ; enfin et surtout, elle doit être respectée.

Les premières déclarations du Président de la République et du Gouvernement ont marqué une inclination pour un alignement sur la politique « OTANienne » des États-Unis, inclination qui s’est trouvée puissamment confirmée depuis avec la décision d’envoyer quelque 700 soldats supplémentaires en Afghanistan, contre l’avis majoritaire des Français, moyennant un débat sans vote, à la volée, afin de donner à voir un semblant de démocratie. Faut-il rappeler que la politique étrangère n’est pas du seul ressort du Président de la République ?

Que s’est-il donc passé depuis un an après cette volte-face sur la vision de la gestion des crises ? Pourquoi accentuer notre présence militaire dans ce qui pourrait devenir le bourbier afghan ? Quels sont finalement les objectifs ? Les États-Unis ont dilapidé 127 milliards de dollars en sept ans, pour le résultat que l’on connaît. Cette opération coûterait la France un surcroît de dépense estimé à 150 millions d’euros.

Cette décision, qui va à l’encontre des objectifs affichés, ne permettra pas de trouver une solution politique et économique à la crise que connaît ce pays.

M. Jean-Louis Carrère. Absolument !

M. Robert Hue. Elle aura, au contraire, pour effet d’aggraver les tensions dans la région et de placer notre pays dans un guêpier militaire aux très lourdes conséquences.

Dans ces conditions, renforcer notre dispositif militaire dans ce pays apparaît clairement comme un gage supplémentaire d’allégeance donné aux États-Unis. Mais cela constitue malheureusement un risque évident d’enlisement et d’engrenage dans une guerre aux objectifs flous, dans une région du monde terriblement sensible.

C’est aussi, à n’en pas douter, la contrepartie de la réintégration annoncée de notre pays dans les structures de commandement militaire d’une Alliance atlantique largement soumise aux États-Unis d’Amérique, alors même que la crise financière que connaît ce pays et les échéances électorales qui l’attendent constituent une source majeure d’incertitude.

Ces choix, qui apparaissent de plus en plus comme une dérive atlantiste d’une France rompant avec sa politique étrangère précédente, ne peuvent laisser peser le doute dans nos rapports nécessaires avec des pays comme la Russie - où nous nous sommes rendus avec M. le président de la commission des affaires étrangères -, qui sont particulièrement inquiets de la volonté américaine d’intégrer l’Ukraine et la Géorgie dans l’OTAN, et de l’engagement unilatéral des États-Unis d’implanter des radars ainsi qu’un dispositif antimissiles en Pologne et en Tchéquie.

Qu’en est-il, monsieur le ministre, de l’évolution des choix de la France sur ces questions ?

La politique étrangère de la France ne peut ignorer les nécessités économiques et énergétiques d’une présence terriblement étiolée de notre pays et de l’Europe dans de nouvelles relations économiques avec la Russie - j’y ai fait allusion précédemment en parlant de la Chine -, ou encore dans nos rapports avec le continent africain.

Cela s’applique également au Proche-Orient, toujours à la limite de l’embrasement, vivant en permanence dans un état de tension extrême, qu’illustre aujourd’hui le risque d’une nouvelle guerre civile au Liban. Avec ses partenaires européens, la France doit impérativement peser de tout son poids pour obtenir le retour des Israéliens et des Palestiniens à la table des négociations, afin que soient respectés les engagements pris lors de la conférence d’Annapolis et que, enfin, une solution de paix s’impose pour ces peuples.

Nous devons nous montrer plus efficaces. La France et l’Union européenne doivent être plus présentes dans les mois à venir. Qu’en est-il, monsieur le ministre, à la veille de la présidence française de l’Union européenne ?

Concernant la relation de la France avec l’Afrique, des déclarations souvent excessives, parfois gravissimes se sont enchaînées. Le discours le plus récent prononcé par le président au Cap, en Afrique du Sud, n’a en rien apaisé la tempête légitime ressentie par nos amis africains lors du discours de Dakar au mois de juillet 2007. En Afrique et dans le reste du monde, ce discours a été considéré comme dominateur, voire non dépourvus de relents racistes.

Même si, dans les mots, le discours du Cap avait pour objet d’infléchir les effets dévastateurs du discours de Dakar, il y a souvent un fossé entre les déclarations d’intention et les actes.

Dans mon intervention lors des débats budgétaires consacrés aux affaires étrangères, j’exhortais déjà le Gouvernement à plus de modestie dans sa politique étrangère. Oui, notre pays gagnerait à rompre avec une certaine arrogance et avec des certitudes dominatrices d’un autre âge.

En décembre dernier, la France se targuait d’être en phase avec les objectifs du Millénaire, à savoir consacrer 0,7 % de son PIB à l’aide au développement, et ainsi, avec l’aide des pays du G8, réduire de moitié la pauvreté dans le monde d’ici à 2015. Avec 7,2 milliards d’euros alloués en 2007, la contradiction est totale puisque l’aide française a diminué de 16 %. Nous savons que ce retard, ce recul sont gravissimes. L’Afrique est le premier continent touché, alors que l’aide publique au développement reste un levier majeur pour le développement de son économie.

Au 1er juillet 2008, la France assurera la présidence de l’Union européenne Dans ce contexte, elle doit impérativement garder le cap de ses engagements et conduire ainsi l’Europe à agir pour de nouveaux rapports Nord-Sud.

Ce sera notamment tout l’enjeu des accords de partenariat ACP-UE, dont nous avons débattu ici même en octobre. Ce texte, auquel nous n’avons pas été nombreux à nous opposer, ne respecte en aucune façon nos partenaires des pays ACP ; eux-mêmes le disent avec force. Il serait infiniment plus réaliste de repousser la signature de cet accord, prévue à la fin du mois de décembre 2008 - date à laquelle la France présidera l’Union -, et d’envisager une période transitoire, afin que les négociations puissent continuer.

Au mois de janvier, la fondation Gabriel Péri tenait un colloque à Dakar sur les enjeux agricoles africains. Un éminent agronome français demandait le droit pour les nations africaines de protéger leur agriculture vivrière dans le cadre de marchés communs régionaux par le biais de droits de douane importants. Pour cela, il est donc impératif non seulement de changer les règles de libre-échange fixées par l’OMC, mais aussi d’engager une réforme en profondeur de la PAC.

Devant la crise alimentaire à laquelle les pays pauvres doivent faire face, il y a urgence. Depuis mars 2007, les prix du soja et du blé ont augmenté respectivement de 87 % et 130 %, et les réserves mondiales de céréales sont à leur plus bas niveau.

Le précédent Président de la République, Jacques Chirac, a eu raison de rappeler récemment que, dans « le monde confronté au spectre des grandes famines..., cette conjonction des périls fait courir au monde un risque sans précédent ».

Quant à l’essor de ce que certains appellent l’« or vert », il apparaît certainement primordial pour des pays dits émergents comme le Brésil, la Chine, l’Inde, le Mexique, mais toute fuite en avant conduirait une nouvelle fois à des déséquilibres majeurs et accentuerait le fossé Nord-Sud.

Dernier coup d’éclat, et pas des moindres, qui atteste un engagement à géométrie variable de la France en matière de droits de l’homme : la visite en Tunisie, au cours de laquelle le fait d’asséner que « l’espace des libertés progresse » n’était pas forcément bienvenu. Plus de 1 000 opposants au régime sont emprisonnés, et le seul journal d’opposition encore autorisé était interdit de distribution !

Cette visite a, bien sûr, suscité de nombreuses et légitimes critiques. Les termes de ce voyage montrent bien ce que pourrait être le projet de l’Union pour la Méditerranée, tel que le souhaite le chef de l’État, réduit à une stricte zone de libre-échange, sans prendre en compte le développement et les échanges culturels.

La situation internationale est extrêmement difficile. Dans les régions du monde où pèsent des menaces de conflit, les tensions s’amplifient. Face à cela, la politique étrangère de la France a besoin de plus de cohérence et de plus de réalisme, considérant le monde tel qu’il est. Une telle politique ne peut être à la remorque d’une vision occidentale et unilatérale atlantiste d’une autre époque.

Notamment avec les pays émergents et l’Afrique, l’heure est de moins en moins à des stratégies de rapport de force ou de choc des civilisations. Il convient de contribuer plutôt, sans nostalgie ni prétention chimérique, mais au contraire avec modestie, ce qui n’exclut pas la détermination et le souci de l’efficacité, à la construction d’un monde multipolaire, à l’établissement de relations multilatérales.

Robert Hue

Ancien sénateur communiste du Val-d'Oise

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