Ukraine : guerre ou paix ?

Débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, portant sur la situation en Ukraine et la sécurité en Europe.

Publié le 5 mars 2025 à 10:31 Mise à jour le 7 mars 2025

Le 24 février 2025 a marqué le troisième anniversaire de la guerre d’agression menée par la Russie de Poutine contre l’État ukrainien. Je tiens ici à le rappeler avec force, cette agression militaire est injustifiable et constitue un crime, un crime contre le droit international et contre la paix.

Dès lors, je tiens, au nom de mon groupe, à saluer et à exprimer ma profonde solidarité envers le peuple ukrainien, qui n’en peut plus de cette guerre.

Depuis l’arrivée de Donald Trump, chacun pressentait que la donne allait changer, que les États-Unis allaient mettre un terme à leur engagement. Cela fait des années que Washington regarde ailleurs, les yeux braqués sur l’Asie plutôt que sur l’Europe.

Cependant, l’impression de violence qu’a dégagée la confrontation entre Volodymyr Zelensky et le président américain, épaulé par le brutal et très droitier Vance, a sidéré le monde, pétrifié nombre d’États européens, qui n’avaient pas anticipé un tel retournement de situation. Nous fustigeons de telles méthodes qui violent les règles élémentaires de la diplomatie.

Le choix solitaire de Trump sonne comme une évidence : la guerre ne pourra, de fait, pas continuer, car une Ukraine et une Europe sans appui militaire américain seront incapables de la poursuivre. L’enjeu est donc clair : comment mettre en place une paix durable à même de garantir la sécurité de chacun ?

Depuis le 24 février 2022, notre groupe n’a cessé d’affirmer que le choix de la guerre fait par Poutine était insensé, qu’il tournait le dos à l’aspiration de tout être humain à vivre en paix. Nous avons exigé le cessez-le-feu pour que l’intelligence triomphe de la bêtise de la guerre.

Mais, lors de chaque débat, ici même au Sénat, c’est l’escalade militaire qui a emporté l’adhésion de la plupart des groupes, certains s’exprimant avec des accents guerriers qui, aujourd’hui, paraissent bien irresponsables au regard des centaines de milliers de morts et de blessés, ukrainiens ou russes.
Tout cela pour en arriver où ? À la situation de 2014, mais avec un pays dévasté !

Je le dis clairement : ceux qui, depuis trois jours, font de la surenchère, appellent au surarmement et au développement de l’arme nucléaire, tentent d’instrumentaliser l’émotion suscitée, afin d’assouvir des ambitions politiques et économiques diamétralement opposées au seul objectif que nous devrions chercher à atteindre : garantir la paix sur le continent européen, en bloquant l’expansionnisme russe et en échappant à la domination américaine.

Nous nous opposons frontalement à la démarche de Mme von der Leyen, laquelle veut consacrer 800 milliards d’euros au réarmement de l’Europe. Que cherchent ces gens ? La confrontation généralisée ? Quelle légitimité ont cette dame et la Commission européenne pour s’exprimer et agir de la sorte ?
Les États-Unis, depuis trente-cinq ans, imposent leur vision impérialiste au continent européen, écartant toute possibilité de construction pacifique avec la Russie. En somme, l’Amérique de Trump ne peut pas se donner le rôle de faiseur de paix, alors que c’est à elle qu’incombe une grande part de la responsabilité qui a mené à l’impasse actuelle et au triomphe de la force au détriment du dialogue et de la raison.

La brutalité de Trump est une caricature de la puissance américaine et de la défense systématique de ses propres intérêts aux dépens de l’équilibre mondial. Rappelez-vous le Vietnam, l’Irak, la Libye, et, plus récemment, la volte-face en Afghanistan, sans oublier l’accompagnement, sans état d’âme, de la violence de Benyamin Netanyahou.

La violence de Trump implique la mise en œuvre de nouveaux rapports internationaux. Face au nouvel ordre international isolationniste, celui du chacun pour soi, un nouvel ordre doit être recherché, mais certainement pas avec pour seule réponse l’ouverture infinie des marchés aux marchands de guerre, dont le cours des actions s’envole.

On prête l’intention à Trump et à ses acolytes techno-fascistes ou suprémacistes de vouloir sortir de l’ONU. Cela montre bien que la voie du développement humain et de la concorde est, à l’inverse, dans le redressement des institutions internationales.

Oui, mes chers collègues, nous sommes à un tournant, à un moment de rupture. Les richesses produites dans le monde entier doivent contribuer, non pas à nourrir davantage la guerre, mais à garantir l’avenir de l’humanité. Le nouvel ordre international ne peut être dissocié d’un nouvel ordre économique qui place, non plus l’accumulation des profits et des richesses, mais l’être humain au cœur de la politique.

Trump et, plus largement, les partisans d’une accumulation capitaliste sans frein et sans fin font des affaires. Le président américain met son poids politique, considérable, dans la balance pour tirer profit matériellement du conflit ukrainien, comme les Bush père et fils ont tiré profit des guerres du Golfe. Le marchandage autour des minerais est insupportable, car il est profondément immoral.
Si l’Europe a un regret à avoir, c’est celui d’avoir tardé, tant tardé, à œuvrer pour la paix, et non celui d’avoir plus fait la guerre ou livré davantage d’armes.

Au printemps 2022, à Istanbul, Kiev a accepté de renoncer à adhérer à l’Otan et a confirmé son intention de ne pas se doter de l’arme nucléaire ; en contrepartie, Moscou a concédé un retrait volontaire de ses troupes des nouveaux territoires occupés. À l’époque, Boris Johnson, alors Premier ministre britannique, a mis fin à cet espoir en affirmant, au nom de l’Occident, que les Ukrainiens devaient « combattre jusqu’à ce que la victoire soit acquise et jusqu’à ce que la Russie subisse une défaite stratégique ».

Johnson reprenait ainsi à son compte la logique d’affrontement imposée par les États-Unis sur le sol européen depuis 1990. Après la dissolution du pacte de Varsovie, plutôt que d’agir pour une Europe de la paix, les États-Unis ont en effet cherché à étendre le plus possible la présence de l’Otan, jusqu’à atteindre les frontières russes. En omettant de rappeler ce fait, nous ne pourrons pas avancer vers une paix durable.

Après trois années de conflit, il est impossible de ne pas dresser un bilan dramatique : on dénombre aujourd’hui des centaines de milliers de soldats et de civils blessés ou tués. Avant d’appeler à la poursuite de la guerre quoi qu’il en coûte, il importe d’épargner toute nouvelle souffrance aux peuples. Si ces derniers pouvaient exprimer librement leur avis, leur réponse serait sans équivoque : donner une chance à la paix !

L’Ukraine, malgré une aide massive, est exsangue ; son PIB a ainsi chuté de 30 %. Face à un tel état des lieux, vouloir la surarmer – même en cas de paix –, comme le proposent Emmanuel Macron et le Gouvernement, est une hérésie, dans la mesure où cette entrée dans une économie de guerre se fera au détriment de la population. Porter le budget de la défense, en France comme en Europe, à 3,5 %, voire à 5 % du PIB, constituerait une véritable bombe sociale.

Il s’agirait aussi d’une hérésie stratégique. Quel est l’objectif ? S’agit-il réellement de dissuasion ou préparons-nous la reconquête des territoires annexés par la force à la Russie ? Nous refusons clairement l’envoi de troupes au sol pour poursuivre la guerre. Des soldats de la paix, oui ! De la chair à canon, non !

Selon nous, la réponse est ailleurs : il faut une autonomie stratégique européenne pour la paix. Cette paix doit respecter la souveraineté de l’Ukraine et se fonder sur la Charte des Nations unies, ainsi que sur les principes de la sécurité collective en Europe tels qu’ils ont été définis dans l’acte final de la conférence d’Helsinki. Elle doit aussi prendre appui sur un cessez-le-feu immédiat, et non sur une trêve alambiquée.

Concernant la question territoriale, il faut dès maintenant poser le principe selon lequel un éventuel compromis, imposé par les rapports de force militaires, devra être ratifié démocratiquement par les citoyens des zones concernées pour être reconnu officiellement. Les coups de boutoir de Trump montrent que nous devons nous libérer de l’Otan pour agir. Nous estimons que cette organisation inféodée aux États-Unis a vocation à être dissoute.

Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, notre défi est de mettre en œuvre la paix et non d’élaborer de nouveaux plans de guerre. Poussons à l’ouverture rapide de négociations avec toutes les parties concernées et, en particulier, les Ukrainiens !

CécileCuckierman

Présidente de groupe
Sénatrice de la Loire
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Avant d'appeler à la poursuite de la guerre, quoi qu'il en coûte, il faut se souvenir des centaines de milliers de soldats civils blessés ou tués. Si l'avis des peuples était librement demandé, la réponse serait sans ambiguïté : donnez une chance à la paix

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