Une extension de la zone d’influence de l’Union européenne par le biais d’une libéralisation économique

Accord d'association Union européenne-Ukraine

Publié le 7 mai 2015 à 05:30 Mise à jour le 8 mai 2015

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes amenés à nous prononcer sur la ratification d’un accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine signé par le gouvernement ukrainien les 21 mars et 27 juin 2014, puis ratifié par la Rada le 16 septembre 2014.

Je rappelle ces dates et ces faits, parce qu’il faut connaître le processus de l’accord pour en comprendre la portée et les enjeux. Le refus par un gouvernement pro-russe de le signer a été à l’origine de la guerre civile et de la quasi-partition du pays en 2013. Aujourd’hui encore, c’est au cœur de l’actualité politique de la région.

La ratification de cet accord interviendrait donc dans le contexte très sensible du conflit de haute intensité qui se déroule depuis un an dans l’est de l’Ukraine, au moment où les récents accords dits de « Minsk II », dont notre pays est l’un des garants, s’efforcent avec difficulté de mettre en œuvre des solutions politiques pour y mettre fin.

Nous sommes donc particulièrement concernés. Nos actes auront inévitablement des répercussions sur l’évolution de la situation dans la région.

Il faut aussi avoir à l’esprit que, en arrière-plan du premier sommet entre l’Union européenne et l’Ukraine, qui s’est tenu à Kiev le 27 avril, il y avait la mise en œuvre de cet accord d’association, vital pour le maintien au pouvoir du gouvernement ukrainien.

Force est de constater que les représentants européens se sont montrés particulièrement prudents. Ils ont demandé des résultats effectifs sur les réformes promises par l’exécutif ukrainien.

Malgré cela, la seule véritable annonce du sommet a été la réaffirmation que l’accord d’association entrerait bien en vigueur le 1er janvier 2016, mais que son application concrète dépendrait des consultations trilatérales avec la Russie.

C’est cette prudence de l’Union européenne qui explique que les préoccupations des Russes aient été assez largement prises en compte pendant le sommet, en termes aussi bien d’approvisionnements gaziers que d’application du processus de paix dans le Donbass.

Cela explique également que l’appel du président ukrainien au déploiement d’une force européenne de maintien de la paix n’ait pas été suivi d’effets.

En revanche, l’Union européenne a exigé des Ukrainiens des engagements substantiels en faveur des accords de Minsk, et ce malgré les violations du cessez-le feu qui s’intensifient dans le Donbass.

Dans un tel contexte, où le gouvernement ukrainien joue manifestement un rôle ambigu, est-il opportun de ratifier cet accord si rapidement ? La procédure accélérée a été engagée sur ce projet de loi, ce qui est assez inhabituel pour les accords internationaux de ce type. Nous pouvons nous demander dans quelle mesure cette ratification par le Parlement français contribuera, ou non, à trouver une solution politique à la crise actuelle.

De plus, le contenu même de l’accord d’association avec l’Ukraine nous paraît critiquable. Il entre, nous le savons, dans le cadre de la stratégie de l’Union européenne, dite de politique de voisinage. Or cette stratégie, au lieu de mettre en place chez nos voisins des politiques de coopération sur une base d’égalité et de réciprocité, vise en réalité à étendre la zone d’influence de l’Union européenne par le biais d’une libéralisation économique, afin d’instaurer une économie de marché dans les pays concernés.

En Ukraine, cette politique, en démantelant progressivement la structure étatique de l’économie et en favorisant la mise en coupe réglée des principaux secteurs stratégiques de l’industrie par des oligarques qui se sont partagé le pouvoir, a pris en otage la population, lui faisant subir des réformes ultralibérales dévastatrices !

Les Russes, de leur côté, ont perçu cette stratégie, qui vise de fait à instaurer un rapport de force, comme une menace directe contre les pays membres de l’« union eurasiatique ».

N’entrons donc pas dans ce jeu, où l’Ukraine tient le rôle de tête de pont de l’économie libérale !

Notre pays gagnerait à ne pas s’inscrire dans une telle stratégie, qui veut isoler la Russie, sur fond de sanctions économiques et de surenchères militaires auxquelles la Pologne et les États-Unis poussent en permanence.

À la suite du sommet de Kiev, Angela Merkel, François Hollande, Petro Porochenko et Vladimir Poutine ont affirmé ensemble que l’apaisement sur le terrain était la « priorité absolue. » Nous y souscrivons pleinement.

Or les événements récents nous ont montré que le rapprochement économico-institutionnel avec l’Union européenne n’était pas toujours le meilleur moyen de stabiliser la situation dans cette région.

Compte tenu de ces considérations et des tensions actuelles entre le gouvernement ukrainien, les éléments pro-russes de l’est de l’Ukraine et la Russie, la ratification de l’accord par notre pays nous semble prématurée. Nous ne pensons pas qu’elle apparaîtra comme un signe d’apaisement et qu’elle contribuera à aider un processus de paix.

Telles sont les raisons pour lesquelles la majorité du groupe CRC a décidé de voter aujourd’hui contre le présent projet de loi de ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine.

Michel Billout

Ancien sénateur de Seine-et-Marne
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