Formation professionnelle et dialogue social : intermittents

Publié le 10 février 2004 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

par Jack Ralite

M. Jack RALITE. Nous présentons cet amendement tendant à insérer un article additionnel parce que nous avons participé fidèlement et de manière dynamique aux diverses réunions concernant les intermittents du spectacle depuis le début de l’application de l’accord du 26 juin, resigné le 13 novembre, que vous avez agréé quelques jours après, Monsieur le Ministre, et qui a eu des conséquences très graves pour les femmes enceintes et les femmes et les hommes frappés de maladie. Aujourd’hui, nous avons la possibilité de le corriger. C’est un acte de justice et d’humanité. Ce serait le rétablissement d’un droit. Je me permettrai d’apporter quelques témoignages parmi quarante-sept cas que m’ont transmis la fédération du spectacle CGT et la coordination de l’Ile-de-France.

Auparavant, je voudrais insister sur quelques idées générales que m’inspire le débat. Il s’agit effectivement d’un débat très profond et très novateur, mais pas dans le sens que nous espérons. J’en veux pour preuve les textes du MEDEF ; je pense qu’il faut constamment y revenir en ce moment.

Dans leur article paru dans « Les Echos » du 27 août et dans celui qui a été publié dans « Le Monde » et qui est intitulé : « Le nouveau positivisme », Ernest-Antoine SEILLIERE et Denis KESSLER disent leurs intentions et expliquent les raisons de leurs interventions.

Leur revendication, c’est d’assurer en France « la grande transformation » - en vérité, ils revendiquent d’être un nouveau parti politique et de vectoriser la politique nationale -, et ce avec les entrepreneurs d’abord parce que « ce sont eux qui écrivent l’histoire des transformations, ce sont eux qui osent et qui innovent, ce sont eux qui conduisent le changement. »

Cette « grande transformation », le « nouveau positivisme » qui la nourrit, sont des évolutions - je cite M. SEILLIERE - « qui, prises une à une, peuvent sembler désordonnées, dessinent en réalité une nouvelle organisation sociale, une nouvelle organisation économique, une nouvelle organisation géopolitique du monde. Après des années de grand désordre, de nouvelles régulations s’esquissent enfin et des priorités nouvelles s’affirment pour notre pays. Au-delà des suspicions et des vieilles peurs, la France se transforme et entre enfin dans la réforme que, des puis des années, le MEDF appelle des se vœux. Un processus de fond s’est engagé, un point d’inflexion intellectuel autant que conjoncturel ». Je pourrais lire l’article tout entier, vous n’y trouveriez, mes chers collègues, aucune contradiction tant il es homogène.

Oui, c’est bien le fond du débat auquel nous participons : la France prend un tournant. Mais pas vers l’avant, vers l’arrière !
Ce matin, l’Humanité publie un texte - je vous en recommande la lecture - de l’organisation de la branche des sociétés de services et d’ingénierie informatiques, qui revendique le rapport VIRVILLE et qui souhaite le mettre en œuvre tout de suite à travers notamment les contrats de mission.

Nous, ici, nous débattons des textes, mais eux, ils sont déjà à l’ouvrage - et très concrètement ! - singulièrement là où les syndicats sont faibles afin de tenter de les enfoncer sur le terrain.
Il est important d’évoquer maintenant le problème des intermittents parce qu’en fait, ce fut du point de vue du dialogue social le premier laboratoire.

M. Guy FISCHER. Eh oui !

M. Jack RALITE. Et l’on se demande toujours pourquoi on en parle autant ! C’est que l’on a bien senti qu’à travers les travailleurs du spectacle, on entrait dans une nouvelle configuration politico-sociale.

Je viens d’évoquer le texte publié dans l’Humanité de ce jeudi. Mais le rapport GOURINCHAS sur les abus de l’intermittence dans l’audiovisuel, la Commission des Affaires culturelles préconise l’application du « contrat de mission » du rapport VIRVILLE. Ce qui veut bien dire que, dans la problématique, de l’accord du 26 juin, i l y a tout ce que le MEDEF recommande.

De surcroît, nous avons appris il y a quelques jours, que, aux termes de cet accord du 26 juin, revisité le 13 novembre, et dans quelles conditions ! le droit d’auteur reçu par le réalisateur serait pris en compte pour le calcul du délai de franchise.
C’est un recul, un de plus, après ceux que notre collègue CHABROUX énumérait tout à l’heure, article par article. Voilà donc un nouveau recul ; il est d’hier, mais il a l’avantage, sur le débat théorique que nous pouvons avoir, d’être déjà en œuvre. D’ailleurs, M. AILLAGON va sans doute protester, mais il est un peu dommage qu’il réagisse une fois que le texte a été agréé.

On peut aussi se placer sur le terrain de la représentativité. On ne cesse de nous répéter que trois syndicats, c’est mieux qu’un seul. Mais, précisément, l’accord du 26 juin a été signé par trois syndicats. Et cela donne quoi, dites-moi ? Tout vient du fait qu’ils ne sont pas représentatifs.

M. Roland MUZEAU. Eh oui !

M. Jack RALITE. On a fait état, hier, de la représentativité des confédérations qui ont signé et cela donnait 46%. Mais la représentativité des fédérations concernées, ce n’est même pas 20% !

M. Gilbert CHABROUX. Bien sûr !

M. Jack RALITE. J’ai rencontré récemment les syndicats du spectacle de la CGC qui m’ont dit leur total désaccord avec leur confédération.
Mes chers collègues, vous le constatez bien, il ne s’agit pas de questions de détails ou d’arguties politiciennes, c’est la vie de ce pays, c’est le monde du travail, du salarié de base à l’ingénieur, qui sont mis en cause aujourd’hui.
Mais, venons-en à l’amendement.

M. le Président. Vous y êtes déjà depuis un certain temps, mon cher collègue. (sourires)

M. Jack RALITE. Nous sommes devant un problème concret. Des centaines de femmes enceintes intermittentes du spectacle…

M. François FILLON, Ministre. Des centaines de milliers, des millions, des milliards !

M. Jack RALITE. … depuis l’accord du 26 juin n’ont plus le droit de toucher les indemnités auxquelles elles avaient droit auparavant. Exclues de l’UNEDIC, c’est-à-dire des fameuses annexes VIII et X, elles relèvent désormais du régime général, qui est bien moins intéressant.
J’avais l’intention de lire des témoignages de ces femmes…

M. le Président. Mon cher collègue, vous n’en auriez plus le temps.

M. Jack RALITE. Pourtant, ils seraient bien utiles, parce qu’il y a des femmes qui, disant leur expérience, manifestent une capacité parlementaire et législative qui prouve que, « en bas », comme on dit quand on s’appelle M. RAFFARIN, on pense haut, on ne pense pas bas.

M. Jean-Pierre PLANCADE. Très bien !

M. le Président. J’y répugne, mais je vais être obligé de couper votre micro, M. RALITE.

M. Jack RALITE. Monsieur le Président, je serais confus de vous mettre dans cette obligation.

M. Nicolas ABOUT, Président de la Commission des Affaires sociales. M. RALITE a donné la priorité au MEDEF !

M. Jack RALITE. Cela dit, vous avez parlé de la santé, M. ABOUT, tout à l’heure. Eh bien, nous y sommes !
J’ai reçu hier soir un courrier que l’UNEDIC a adressé aux syndicats indiquant qu’il allait être tenu compte des observations faites par ces femmes s’agissant de leur maternité. A l’examen, l’UNEDIC tient un peu compte des maladies, mais pas du tout des maternités. Vous voyez que la discrimination à l’égard des femmes est aggravée.

L’amendement est donc tout à fait important, et je demande qu’on le vote.
Le Ministre ici présent qui, par la répartition des responsabilités gouvernementales, a été amené à donner l’agrément à l’accord du 26 juin peut, en soutenant cet amendement, corriger un accord dont M. AILLAGON reconnaît lui-même avoir été surpris des conséquences. Moi, je crois que c’est plutôt la loi qui a été surprise, et nous avons le pouvoir et le devoir de rétablir la réalité des choses.
Je demande donc à M. le Ministre de soutenir mon amendement qui tend à corriger une des inhumanités de l’accord du 26 juin dernier ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et du groupe socialiste)

M. le Président. La parole est à M. Jack RALITE, pour l’explication de vote.

M. Jack RALITE. Permettez-moi de vous relire les termes de l’article additionnel que nous proposons d’insérer : « Les périodes de congé maternité ou maladie faisant suite à un accident de travail, indemnisées par la sécurité sociale, dont bénéficient les salariés relevant des annexes VIII et X du régime d’assurance chômage, sont assimilées à des heures de travail - à hauteur de 5,6 heures par jour d’arrêt - pour l’ouverture des droits à l’assurance chômage, quel que soit leur statut contractuel au jour de leur prise de congé. »

Excusez-moi, mais la référence « à hauteur de 5,6 heures par jour d’arrêt » n’est pas dans la lettre de l’UNEDIC ! C’est si vrai que, dès que le courrier de l’UNEDIC a été connu, il y a deux jours, un texte a été publié, déjà signé par la société des réalisateurs de films, puis par la coordination des intermittents et précaires d’Ile-de-France et par la fédération CGT du spectacle sur cette question précise. En deux jours, 6.000 signatures ont été recueillies. On comprend pourquoi !
Ecoutez Delphine Le GOUEFF ! « Je suis une intermittente du spectacle, j’ai trente-deux ans ! S’il vous plaît, lisez-moi jusqu’au bout ! Ceci n’est pas une revendication, mais un état des lieux, un appel au secours ! Je suis enceinte de sept mois. J’exerce la profession de cameraman sur le terrain, « à la pige », c’est-à-dire avec des contrats à la journée. »

Comment peut-on aborder le problème de la maternité des personnes sous contrat à la journée, s’il n’y a pas une prise en considération plus large des problèmes ?
Delphine Le GOUEFF poursuit : « Bien évidemment, depuis plusieurs mois, il m’est difficile de travailler régulièrement, la caméra pesant plus de douze kilos. Aussi, je n’ai pas réussi à faire mes heures avant mon congé de maternité, alors que, jusqu’à présent, cela ne m’a jamais posé de problèmes ! Employer une femme cameraman, c’est déjà difficile, mais enceinte, alors là, c’est une illusion ! Avant la nouvelle loi sur les intermittents, il existait une réglementation qui comptabilisait 5,6 heures par jour » - je vous renvoie à l’amendement - « durant toute la durée du congé maternité. Ce système permettait aux femmes enceintes de faire un enfant sans être pénalisées par leur inactivité forcée et de bénéficier de leur droit au chômage à la fin de leur période d’arrêt. Là, terminé ! Je sors des ASSEDIC où je viens de m’entendre dire qu’à la fin de mon congé, en juin 2004, je ne toucherai rien ! »

M. Nicolas ABOUT, Président de la Commission des Affaires sociales. Ils se sont trompés !

M. Jack RALITE. M. AILLAGON connaissait le problème quand l’accord a été signé, parce que cela y figure explicitement. Mais il a attendu six mois pour protester ! Tant mieux qu’il ait protesté, mais on le savait avant !
Et je ne parle pas davantage du problème du droit d’auteur : il va se poser de plus en plus.

Je termine ma lecture du message de Delphine Le GOUEFF : « Avec les anciennes dispositions, il n’était pas nécessaire d’être sous contrat de travail le jour du début du congé maternité ; avec le nouveau protocole, il faut être sous contrat ce jour-là. » Ce jour-là ? Un jour, un contrat de travail et la maternité ! Mais ce n’est rien connaître à la vie, je dirais à l’amour !
Elle continue : « Explication ? Comme tant d’autres, le nouveau protocole vise à aligner les annexes VIII et X sur le régime général. »

La suggestion de M. SUEUR me semble très judicieuse. Admettons que je me trompe, puisque M. le Ministre et M. le Rapporteur affirment, eux, savoir que le problème est réglé. Eh bien votons ! Cela nous départagera ! Si l’on ne vote pas cet amendement, c’est bien qu’il y a un lièvre quelque part. Alors moi, je vote pour que les femmes qui travaillent dans le spectacle conservent les droits qu’elles ont conquis. (applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste).

M. Jack RALITE. Je suis vraiment stupéfait d’une partie de la réponse que vous m’avez faite, Monsieur le Ministre. Que nous n’ayons pas la même lecture, après tout, c’est la marque du pluralisme, mais me dire, à moi surtout, que les artistes sont responsables des contrats à la journées…

M. Claude ESTIER. C’est un peu gros !

M. François FILLON, Ministre. Il y en a beaucoup qui en sont responsables !

M. Jack RALITE. …. c’est, comme le dit Claude ESTIER, un peu gros.

M. Jean CHERIOUX, Rapporteur. Hélas, non !

M. Jack RALITE. Il y a, s’agissant du travail intellectuel, et du travail artistique, quelque chose qui ne va pas dans les propos de M. le MInistre. J’en suis étonné, le connaissant.

Hier, avec M. le Président VALADE, nous avons reçu des chercheurs. Nous recevons ainsi chaque semaine des représentants des différentes professions artistiques. Au sein de la Commission des Affaires culturelles, nous n’avons pas tous les mêmes idées mais, sur ces questions-là, un quasi consensus existe parce qu’il n’est pas acceptable que la matière humaine, intellectuelle, soit agressée comme elle l’est en ce moment.
Franchement, je dirai que mon rappel au règlement est en réalité un rappel à la morale.

M. Nicolas ABOUT, Président de la Commission des Affaires sociales. Vous n’avez pas l’apanage de la morale.

M. Jack RALITE. Je ne prétends pas détenir seul la morale, mais, en tout cas, l’amendement que je défendais était un amendement de moralité civique, politique et national, et je n’y dérogerai pas. Monsieur CHERIOUX, ce ne sont pas là de grands mots, car il s’agit de la vie quotidienne de centaines de jeunes femmes du spectacle.

Je lisais il y a trois jours, un article dans Libération sur les femmes et leur grossesse dans la société. On y voyait bien qu’il y avait contestation. Au-delà des intermittents, dans le document que j’ai lu tout à l’heure, figurent mot pour mot mes propos mais pris dans le sens inverse par le patronat qui est contre ce qui existait dans le spectacle et qui est en train d’essayer de s’en dégager dans les périodes dites inter-contrats et de faire payer l’UNEDIC dans le cadre général.
On verra bien à ce moment-là quelle sera la réaction des uns et des autres. En tout cas, Monsieur le Ministre, il ne faut pas poser ainsi la situation, ou alors, je ne suis plus là où je vis, c’est-à-dire, dans mon pays. (applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste).

M. Jean CHERIOUX, Rapporteur. Qui est le nôtre aussi, figurez-vous !

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