Hôpital, Patients, Santé, Territoires : conclusions de la CMP

Publié le 24 juin 2009 à 18:58 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au terme de quatre semaines de débats en séance publique, je ne vous surprendrai pas en réaffirmant devant vous, aujourd’hui, que les sénatrices et les sénateurs du groupe CRC-SPG voteront contre ce projet de loi.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Quelle déception ! (Sourires sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)

M. Guy Fischer. Permettez-moi tout de même, avant d’en venir au fond de notre opposition, de dire quelques mots des conditions dans lesquelles ce texte a été travaillé en commission et sur la manière dont il a été débattu en séance publique.

Ce projet de loi était véritablement le premier à être discuté sous les auspices de la nouvelle procédure, destinée, selon les dires de ses défenseurs, à renforcer le rôle des parlementaires.

Toutefois, en lieu et place d’un tel renforcement, nous avons assisté, au contraire, à une forme d’amenuisement des droits des parlementaires, notamment en raison des délais trop courts pour le dépôt des amendements.

Par ailleurs, je regrette qu’en réponse aux amendements que nous avons défendus en séance publique le rapporteur ait eu trop souvent recours, comme seule explication quant à sa position, à une formule renvoyant les parlementaires et ceux qui suivaient les débats aux décisions prises préalablement en commission des affaires sociales.

Cette réponse n’est pas satisfaisante dans la mesure où, contrairement aux séances publiques, les débats en commission ne font pas l’objet d’une publicité complète.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh !

M. Guy Fischer. Eh oui, monsieur le président de la commission !

Nous ne saurions trop conseiller aux futurs rapporteurs de ne plus recourir à une telle formule, au risque de voir les parlementaires, notamment ceux de l’opposition, délaisser le travail en commission pour se consacrer à la séance publique, ce qui me semble être contraire aux objectifs de la réforme constitutionnelle et réglementaire.

Par ailleurs, si le Gouvernement dispose bien de la faculté de déposer des amendements à tout moment au cours de nos débats, nous préférerions qu’il en use avec parcimonie. Les délais entre la date limite de dépôt des amendements et l’examen par le Sénat de ceux-ci en séance publique laissent au Gouvernement tout loisir de déposer les amendements qu’il estime nécessaires.

Permettez-moi maintenant d’en venir au fond.

Au début de nos travaux, mon ami François Autain annonçait qu’avec cette réforme tout convergeait vers la privatisation du service public hospitalier.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ah bon !

M. Guy Fischer. Après la réunion de la commission mixte paritaire, je ne puis que confirmer ces propos.

En effet, dès le premier titre de ce projet de loi, dès son article 1er même, le ton est donné : vous procédez à l’emblématique suppression de la notion de « service public hospitalier » et divisez la mission qui était la sienne en treize missions distinctes et séparées, permettant aux établissements de santé privés commerciaux de choisir les plus rentables.

Aujourd’hui déjà, plus de 60 % des actes de chirurgie sont réalisés par le privé commercial. À n’en pas douter, cette proportion aura, pour les opérations les plus rentables, tendance à s’accroître. Quant aux missions les moins rentables, du moins, en apparence, comme l’accueil d’urgence des patients, elles serviront certainement pour le privé commercial, comme nous l’avons déjà dénoncé dans nos débats, d’« aspirateurs à patientelles ». (M. le président de la commission des affaires sociales le conteste.)

Pour nous, cette division en treize missions est profondément contraire à l’esprit de la Constitution et, notamment, de son préambule. Elle desservira les intérêts des patients, notamment des plus démunis, tout en renforçant le poids des établissements de santé privés commerciaux.

Nous entendons également rappeler notre opposition à la possibilité offerte dans ce projet de loi aux établissements de santé privés commerciaux d’ouvrir des centres de santé.

Cette mesure constitue, là encore, un outil nouveau offert au secteur commercial, lui permettant d’attirer dans ses établissements des patients qui se seraient naturellement dirigés vers les établissements de santé publics, et ce d’autant plus que vous avez refusé notre amendement visant à préciser que les patients accueillis dans des centres de santé gérés par des établissements de santé privés lucratifs bénéficient, dès lors qu’ils poursuivent les soins dans la clinique gestionnaire, d’une tarification sans dépassement.

De la même manière, vous avez refusé notre amendement visant à sanctionner spécifiquement les personnes physiques et les établissements de santé privés commerciaux qui, bien que chargés de missions de service public de santé, ne respecteraient pas les tarifs définis dans le code de la sécurité sociale pour les établissements publics de santé.

Comme les nombreux partenaires que nous avons rencontrés durant et après nos débats de première lecture nous l’ont confirmé - notre groupe a en effet pris l’initiative, en conclusion de nos travaux, de réunir au Sénat près d’une centaine de participants -, tout cela nous donne l’impression que ce texte, s’il est adopté, ce qui sera sans doute chose faite dans quelques minutes, permettra au secteur privé lucratif de venir concurrencer le secteur public.

Cette concurrence sera d’autant plus importante qu’elle portera sur les missions les plus rentables. Or, en raison de l’application de la tarification à l’activité, la T2A, contre laquelle seul notre groupe a voté, cette opération de transfert d’actes et, donc, de ressources aura pour effet d’appauvrir encore plus les établissements publics de santé. Cela vous permettra, demain, d’arguer de cette absence de rentabilité pour imposer, contre les intérêts des patients et de leurs familles, la fusion, voire la fermeture d’un certain nombre de ces établissements.

Personne n’en a parlé jusqu’à présent, mais l’enjeu est de taille, puisque deux cents à trois cents établissements hospitaliers de proximité sont concernés.

Madame la ministre, vous organisez la concurrence des services publics, dans le seul but de les fragiliser encore un peu plus !

Nous nous opposons de même à la disposition permettant à des non-fonctionnaires de diriger des établissements publics de santé. Nous avons bien compris, madame la ministre, qu’en agissant de la sorte vous entendez permettre l’émergence, dans les hôpitaux, d’une culture différente. C’en est fini de la culture de santé publique, de la culture de service public, aujourd’hui en place, et ce au bénéfice d’une nouvelle culture d’entreprise, d’où la nécessité d’imposer un directeur-manager à un hôpital-entreprise.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. C’est reparti !

M. Guy Fischer. Non, madame la ministre, cela continue ! (Sourires.)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Et le « superpréfet sanitaire », monsieur Fischer ?

M. Guy Fischer. Il arrive ! (Nouveaux sourires.)

M. Charles Revet. Belle constance !

M. Guy Fischer. Il en faut, en politique, mon cher collègue !

Madame la ministre, durant nos débats, nous vous avons interrogée sur les compétences nouvelles que vous espérez réunir en autorisant des non-fonctionnaires à diriger des hôpitaux. Vous ne nous avez jamais répondu, et nous le regrettons.

Mme Annie David. Eh oui !

M. Guy Fischer. Si nous ignorons tout de ces nouvelles compétences, nous savons celles qui seront malheureusement perdues, au premier rang desquelles figurent les compétences en santé publique.

Sans doute les directeurs non fonctionnaires seront-ils plus sensibles que les directeurs fonctionnaires, qui se font une certaine idée de leurs missions, aux exigences de rentabilité et aux nouvelles contraintes financières que vous entendez imposer aux établissements publics de santé.

Cette décision s’inscrit, par ailleurs, dans un plan de plus grande ampleur de démantèlement de la fonction publique hospitalière : c’est le prélude à une opération encore plus vaste et dangereuse de privatisation des missions de service public, à l’exception de quelques rares missions régaliennes, comme la sécurité, l’armée et la justice, mais c’est un autre débat...

Je ne puis que dénoncer l’amendement déposé et adopté en commission mixte paritaire visant à assouplir encore plus cette mesure. Demain, les directeurs non fonctionnaires des établissements publics de santé n’auront plus, contrairement à ce que nous avions défendu ici, à recevoir une formation complémentaire de l’École des hautes études en santé publique.

Mme Annie David. Ce seront désormais des gestionnaires !

M. Guy Fischer. Il leur suffira de recevoir une formation de la part d’un « organisme compétent ». Cette formulation ambiguë inquiète et participe, à sa manière, un peu plus encore au démantèlement du service public de santé.

Mme Annie David. C’est la casse du service public !

M. Guy Fischer. Par ailleurs, nous continuons à nous opposer à la création des groupements de coopération sanitaire, permettant la participation indistincte des établissements de santé privés commerciaux, des établissements d’intérêt collectif et des hôpitaux dans une même structure. Cela aura pour conséquence de nourrir la confusion auprès des usagers et permettra, encore une fois, une dilution des missions de service public.

Madame la ministre, mes chers collègues, voilà un dispositif qui me paraît juridiquement incertain. Il serait en outre très difficile à mettre en œuvre, d’autant que les principaux partenaires concernés, la FEHAP, la Fédération des établissements hospitaliers et d’assistance privés à but non lucratif, et la FHF, la Fédération hospitalière de France, annoncent ne pas vouloir y participer.

Cette privatisation du service public hospitalier en treize missions correspond à une exigence permanente de la droite la plus libérale de France et d’Europe, qui n’a de cesse de réduire les dépenses publiques, un objectif qui ne souffre aucune contradiction, y compris au regard du critère le plus fondamental, celui de la pertinence de cette politique par rapport aux intérêts de la population. Qu’il nous soit pourtant permis de douter !

En France, cette politique porte un nom : la révision générale des politiques publiques, la fameuse RGGP, au nom de laquelle 36 000 postes de fonctionnaire seront supprimés l’année prochaine.

Mme Annie David. Absolument !

M. Guy Fischer. Les agences régionales de santé, dont les directeurs s’apparentent à de véritables superpréfets sanitaires,...

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Les voilà ! (Sourires.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Eh oui, comme prévu ! (Nouveaux sourires.)

M. Guy Fischer. ... sont les instruments de cette politique de rigueur.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Les superpréfets sanitaires, les privatisations...

M. Guy Fischer. Vous ne m’empêcherez pas de m’exprimer, monsieur le président de la commission des affaires sociales !

M. Jean Desessard. Ne vous laissez pas faire par les Versaillais, monsieur Fischer ! (Rires.)

M. Guy Fischer. Merci de votre soutien, mon cher collègue !

Pour preuve de cette politique, je relève la possibilité offerte par la loi à ces directeurs de placer seuls, sans avoir à se concerter avec les partenaires sociaux ou les élus locaux, les établissements publics de santé déficitaires sous administration provisoire, c’est-à-dire sous tutelle.

Mme Annie David. Exactement !

M. Guy Fischer. Cette procédure, on le comprend, n’aura pour seul objectif que le retour à l’équilibre.

Nous persistons à l’affirmer, les déficits que subissent les hôpitaux ne sont pas exclusivement le fait d’une mauvaise gestion de la part de leurs directeurs, mais ils résultent d’un double mouvement, la convergence public-privé et le paiement à l’acte, qui a pour conséquence d’appauvrir les hôpitaux en les privant des ressources nécessaires à l’exercice de leurs missions.

M. Alain Vasselle. Allons bon !

Mme Annie David. Mais oui !

M. Guy Fischer. Il s’agit, madame la ministre, d’une divergence de fond entre nous. À nos yeux, certaines missions de service public, notamment dans le domaine de la santé, ne peuvent, par nature, être rentables. La santé ne sera jamais, contrairement aux rêves de certains, une marchandise !

L’hôpital public souffre, en fait, de son sous-financement.

De la même manière, nous entendons dénoncer l’adoption d’une disposition par le Sénat, confirmée en commission mixte paritaire, autorisant les directeurs d’ARS à exiger des directeurs des établissements publics de santé qu’ils opèrent, dans le cadre d’un plan de retour à l’équilibre, de très nombreuses suppressions de postes.

La généralisation de ces plans de retour à l’équilibre est en marche !

Voilà la preuve de ce que nous avons dénoncé durant nos débats : ce projet de loi ouvre la voie à un large plan social à l’hôpital, pouvant se concrétiser, selon les estimations de la Fédération hospitalière de France, par la suppression de 20 000 emplois à terme. Bien sûr, celle-ci ne sera pas régulière, mais chaque année apportera son lot de postes supprimés !

Le mouvement, madame la ministre, est amorcé. Je ne reprendrai pas, comme j’ai pu le faire dans nos débats, la longue liste des hôpitaux qui procèdent déjà aujourd’hui à de telles suppressions, notamment par le biais du non-remplacement des départs à la retraite, mais il ne fait de doute pour personne que, demain, pour satisfaire à l’exigence présidentielle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, ce mouvement aura tendance à s’accélérer.

Pourtant, nos concitoyens, qui sont les usagers des hôpitaux, dénoncent précisément le manque de moyens, y compris en termes de personnels, et, de leur côté, les personnels, notamment paramédicaux, dénoncent des conditions de travail insoutenables. Dans ce contexte, il n’est pas acceptable d’ajouter de la pénurie à la pénurie.

De plus, concernant les questions salariales, nous entendons nous opposer à l’amendement adopté en commission mixte paritaire et tendant à autoriser le transfert automatique, au sein d’une même communauté hospitalière de territoire, des personnels d’un établissement public de santé vers un autre établissement.

Cette automaticité, à la place du volontariat que la Haute Assemblée avait instauré, est, pour notre groupe, la démonstration que la CHT sera, demain, un outil supplémentaire de réduction des dépenses et de concentration des structures, au détriment des établissements jugés par les pouvoirs publics trop petits et pas assez rentables.

Cela nous renvoie aux débats que nous avons eus en séance publique sur le caractère contraignant de la participation à une communauté hospitalière de territoire ou à un groupement de coopération sanitaire, puisque le directeur général de l’agence régionale de santé pourra décider, demain, de sanctionner financièrement les établissements qui refuseraient d’y participer.

Avec ces dispositions, madame la ministre, tout est fait pour redessiner une nouvelle carte sanitaire, une nouvelle carte hospitalière, au détriment des besoins des populations, mais une carte conforme aux exigences de rentabilité et de réduction des dépenses publiques chères à votre gouvernement.

Pour permettre l’application de cette politique de rigueur, vous aviez besoin d’un outil administratif et politique de circonstance. Avec la création des agences régionales de santé, c’est chose faite, puisque vous instaurez de véritables superpréfets sanitaires qui se substitueront, demain, aux représentants des collectivités territoriales, lesquels tirent pourtant toute leur légitimité du suffrage universel.

Aussi, je ne peux que dénoncer ici l’adoption en commission mixte paritaire, avec l’avis favorable de notre rapporteur, d’un amendement visant à autoriser la présidence du conseil de surveillance des établissements publics de santé par des membres du troisième collège, c’est-à-dire des personnes qualifiées, là où précisément le Sénat, représentant les territoires et les collectivités locales, avait fait le choix d’une présidence par un élu.

Je ne reviendrai pas longuement sur notre opposition fondamentale à la substitution des conseils d’administrations par les conseils de surveillance, dont les compétences et les missions sont réduites au simple contrôle, sinon pour redire combien nous sommes opposés à cette conception issue du secteur privé commercial, qui prive les personnels non médicaux, notamment administratifs et ouvriers, d’une véritable participation à la direction des établissements de santé dans lesquels ils œuvrent.

À notre sens, précisément parce que les hôpitaux de France ne sont pas des entreprises comme les autres, il est impératif, pour qu’ils assurent leurs missions particulières, d’associer à leur direction toutes celles et tous ceux qui, au quotidien, font la qualité et la réussite d’établissements dont la renommée est mondiale.

Mais, à une loi d’association des personnels et des compétences, vous avez préféré une loi d’opposition, d’exclusion et de cloisonnement.

S’il s’agit d’une loi de méfiance à l’égard des personnels des établissements publics de santé - cela va très loin, puisque le conseil de surveillance n’aura même pas à se prononcer sur le budget de l’établissement -, elle est également une loi de défiance à l’encontre des élus locaux et des représentants des collectivités territoriales. La présidence des conseils de surveillance des futures agences régionales de santé ne peut nous satisfaire.

En autorisant cette présidence par des personnalités qualifiées, toutes désignées directement ou indirectement par le Gouvernement, qu’il s’agisse des nominations par les directeurs des ARS, eux-mêmes nommés par le ministre chargé de la santé, ou de celles qui sont le fait des préfets de région, nommés par le Gouvernement, vous témoignez d’une défiance sans précédent à l’encontre des élus locaux et des représentants des collectivités territoriales.

Mme Annie David. Eh oui !

M. Guy Fischer. Ceux-ci participent pourtant pleinement, particulièrement dans le domaine médico-social, au financement des opérations menées dans les régions et les départements.

En réalité, pour éviter toute contestation, notamment sur la faiblesse des financements et sur les fermetures d’établissements à venir, vous avez préféré faire taire la contestation. Le schéma que vous avez retenu est, il faut le dire, contraire à l’esprit que nous nous faisons de la démocratie sanitaire.

Vous préférez, pour museler les oppositions, organisez le contrôle de l’État par l’État, ce qui, madame la ministre, n’est pas à la hauteur des enjeux.

Nous entendons également dénoncer avec force la conception même des missions confiées aux ARS.

Vous avez clairement affirmé votre volonté de faire des agences régionales de santé les acteurs clés de la dépense publique en santé, puisqu’elles seront, de votre aveu même, un nouvel opérateur de la gestion du risque « santé ».

Cela témoigne de la volonté du Gouvernement de peser directement sur la dépense publique, sur la dépense sociale, plus particulièrement sur la dépense hospitalière, cette dernière étant considérée comme la plus importante. Nous avons d’ailleurs entendu mille fois M. Vasselle dire que le déficit de l’assurance maladie était constitué au moins pour moitié par les dépenses hospitalières, et qu’il fallait donc contraindre ces dernières.

Cette analyse méconnaît à notre avis la réalité des faits, qui se traduit par une explosion continue des dépenses de soins de ville. Mais, plus grave encore, elle suppose une véritable reprise en main des dépenses de santé par l’État, rompant ainsi avec l’esprit du programme du Conseil national de la résistance, dans le seul objectif de permettre au Gouvernement de peser sur les dépenses publiques.

Et pourtant, le Président de la République utilise le Conseil national de la résistance dans ses discours politiques... Je tiens à manifester, à cet égard, notre total désaccord !

Nous considérons qu’il y avait d’autres solutions.

M. Alain Vasselle. Ah !

M. Guy Fischer. Nous aurions préféré que le Gouvernement, en lieu et place d’une action portant sur les dépenses, assure les ressources nécessaires au financement de notre protection sociale, notamment en renonçant, comme le suggère chaque année la Cour des comptes lors de l’examen par le Parlement des projets de loi de financement de la sécurité sociale, aux quelque 42 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales consenties en 2009 aux entreprises de notre pays.

M. Alain Vasselle. Et aux salariés aussi !

M. Guy Fischer. Mais ce sont surtout les patrons qui encaissent, monsieur Vasselle !

Les salariés ne voient pas leurs fiches de paie augmenter. Au contraire, elles diminuent ! Nous assistons, depuis quelques années, à un écrasement des salaires et des retraites. Voilà la vérité ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. -M. Jacques Mézard applaudit également )

Nous considérons par ailleurs que, contrairement à ce qu’indique l’intitulé de son titre III, ce texte ne sera pas de nature à garantir l’accès de tous à des soins de qualité.

Nous avons présenté, au cours de nos débats, de très nombreux amendements destinés à résorber deux phénomènes ayant indéniablement une incidence sur l’accès de tous aux soins : les déserts médicaux et les dépassements d’honoraires.

La majorité du Sénat, soutenue par le Gouvernement, a malheureusement refusé tous nos amendements visant à résorber les déserts médicaux, c’est-à-dire les zones géographiques dans lesquelles l’accès aux soins est devenu compliqué ou impossible, en raison d’un déficit d’installation des professionnels de santé. Pourtant, et nous l’avons tous dénoncé, la situation est des plus paradoxales : jamais le nombre de professionnels de santé n’a été aussi important et jamais l’accès aux soins n’a été aussi difficile. Pour notre part, nous avons défendu l’idée, présente dans les politiques menées en Allemagne, en Autriche ou au Québec, d’un aménagement de la notion de « liberté d’installation », afin que celle-ci ne soit pas en contradiction avec les intérêts des populations.

Vous avez écarté toutes ces pistes, renonçant ainsi à garantir le droit fondamental de tous nos concitoyens à l’accès aux soins.

Le gouvernement auquel vous appartenez aura, pour l’avenir, la lourde tâche d’assumer cette posture de renoncement et devra s’en expliquer un jour ou l’autre devant nos concitoyens qui, dans les zones de montagne - n’est-ce pas, Annie David ? -, de campagne, ou dans les quartiers populaires, n’ont plus, ou ont difficilement, accès aux soins.

Je regrette, à cet égard, l’adoption en commission mixte paritaire d’un amendement supprimant la disposition, proposée par mon amie Annie David et adoptée par le Sénat, qui visait à préciser que le comité de massif était tenu informé de la situation de la démographie médicale dans les territoires qui le concernent.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Parce qu’il le sera !

M. Guy Fischer. Cette volonté de ne plus informer les comités de massif est une preuve supplémentaire de votre conception des contre-pouvoirs. Je regrette d’autant plus la suppression de cette disposition qu’elle répondait à une demande forte de l’Association nationale des élus de la montagne, l’ANEM, à laquelle participent des représentants des communes de toutes les sensibilités politiques.

Mme Annie David. Eh oui !

M. Guy Fischer. De la même manière, je regrette le refus de la majorité et du Gouvernement de légiférer, dans le cadre de ce projet de loi, sur les dépassements d’honoraires qui constituent, nous le savons bien, une entrave particulièrement importante pour l’accès aux soins.

Je ne reviendrai pas, afin de ne pas alourdir mon propos, sur les résultats du grand testing mené par les associations de malades concernant l’accès aux soins des bénéficiaires de la couverture maladie universelle, la CMU, ou de l’aide médicale de l’État, l’AME. Ces résultats montrent à ceux qui pouvaient en douter que, contrairement à ce qu’édictent nos grands principes républicains, la discrimination en matière d’accès aux soins est également fondée sur les ressources financières de nos concitoyens, soit que certains praticiens refusent de soigner les plus pauvres, soit que ces derniers renoncent d’eux-mêmes, en raison de l’absence de professionnels pratiquant des tarifs opposables, à consulter un médecin, a fortiori un spécialiste. Les patients sont, d’ores et déjà, de plus en plus nombreux à opérer des choix entre les soins urgents et ceux qui peuvent attendre : la faute en revient aux franchises médicales et à la crise économique qui frappe nos concitoyens les plus pauvres de manière particulièrement aiguë et se traduit, par exemple, par un grand mouvement de démutualisation.

J’ai bien noté, madame la ministre, la timide avancée résultant de l’adoption en commission mixte paritaire d’un amendement relatif au secteur optionnel. Mais cet amendement est trop timide pour avoir des effets suffisants et réels. Il présente, en outre, l’inconvénient majeur de renvoyer l’action non pas à la discussion parlementaire, mais au secret de l’élaboration du décret ou au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.

J’aurai, à ce sujet, une suggestion à vous faire.

M. Alain Vasselle. Ah !

M. Guy Fischer. Depuis plusieurs années, il est devenu de coutume que le projet de loi de financement de la sécurité sociale soit l’occasion d’un débat particulier. Lors de l’examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, ce débat portait sur l’hôpital. Compte tenu de l’intérêt des Françaises et des Français, mais aussi des sénatrices et des sénateurs pour ce sujet, je vous propose de consacrer le débat à venir à la question des dépassements d’honoraires et de laisser les parlementaires, qui ont fait preuve durant nos travaux de beaucoup d’imagination, libres d’agir par voie d’amendements.

Vous pouvez compter sur les sénatrices et les sénateurs du groupe CRC-SPG pour défendre, une nouvelle fois, les amendements qui leur sont chers, comme ceux relatifs au testing, à l’inversion de la charge de la preuve et à l’interdiction d’installation des professionnels en secteur 2 dans les zones sous-denses, toutes mesures qui sont, selon nous, nécessaires et urgentes.

Par ailleurs, je tiens à rappeler, en accord avec mon amie Isabelle Pasquet, l’opposition du groupe CRC-SPG à la suppression des comités régionaux de l’organisation sociale et médico-sociale, les CROSMS, et à leur remplacement par une procédure d’appels à projets. Ce mécanisme, inspiré du secteur privé commercial, nous semble totalement contraire à l’histoire du mouvement médico-social qui fait sa force aujourd’hui. Comme nous l’avons dit au cours de nos débats, nous ne sommes pas contre une certaine forme de décentralisation, mais nous souhaitons que cette dernière soit plus solidaire. Nous voulons faire vivre une véritable démocratie sanitaire, renforcée par rapport à la situation actuelle.

La suppression de la consultation des CROSMS sur les schémas départementaux revient en réalité à se priver de compétences, de savoir-faire, d’analyses diverses et complémentaires, alors même que ces schémas, arrêtés tous les cinq ans, revêtent une grande importance pour les personnes en situation de dépendance et de handicap et pour leurs familles. Nous regrettons d’autant plus cette mesure que la consultation des CROSMS aurait permis de confronter les différents schémas départementaux au niveau régional, considéré dans le projet de loi comme pertinent, dans un souci de solidarité et d’équité territoriale.

Nous craignons également, d’une part, que cette suppression ne se traduise par la création d’une concurrence entre les établissements et, d’autre part, que ce choix ne privilégie la plupart du temps le « moins-disant » économique au détriment du « mieux-disant » social. Cela reviendrait en effet à ouvrir un boulevard aux établissements privés.

Comme les associations concernées, je crains que la réponse à un cahier des charges préétabli, en privilégiant un processus uniforme du haut vers le bas plutôt qu’un processus partant du terrain, ne favorise les grands opérateurs et des projets trop « formatés » au détriment des projets innovants. Or c’est bien d’innovation, puisée dans sa longue expérience, dont le secteur médico-social fait preuve depuis cinquante ans ! Comment peut-on le déposséder ainsi de sa capacité à inventer au plus près des besoins des personnes handicapées ?

Ce n’est pas la mise en place d’un cahier des charges allégé pour les projets à caractère expérimental ou innovant qui va leur rendre l’initiative. Surtout lorsqu’il n’y a plus de secrétaire d’État chargé des personnes handicapées ! Dans tous les cas, il s’agira avant tout de garantir une mise en concurrence qui sera, à n’en pas douter, contraire aux intérêts des personnes concernées. Croyez-moi, le reste à charge sera d’autant plus important pour les familles !

Avant de conclure cette longue intervention, qui témoigne de la richesse de nos travaux et de l’ampleur des différences qui nous opposent, j’aborderai deux dispositions qui nous inquiètent.

Tout d’abord, avec mon amie Nicole Borvo Cohen-Seat, j’entends réaffirmer l’opposition du groupe CRC-SPG à la suppression du statut particulier de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris, l’AP-HP. Elle témoigne, là encore, de la volonté de reprendre en main l’organisation hospitalière dans son ensemble et aura pour conséquence de mettre à mal l’unicité de l’AP-HP, qui faisait pourtant sa spécificité et a permis, jusqu’à aujourd’hui, une prise en charge des populations les plus diverses qui composent la région parisienne, tout en permettant à l’hôpital public, au travers des hôpitaux de la région parisienne, d’être à la pointe de la recherche médicale mondiale. Ce démantèlement inquiète les personnels de l’AP-HP, y compris les directeurs de service, qui étaient réunis voilà peu en assemblée générale à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris. Ils nous ont fait part de leurs inquiétudes : ils craignent la casse d’un outil formidable composé de trente-sept établissements, actuellement au service des populations.

Je ne perds pas de vue que, dans des territoires désertés par la médecine de ville, qui les considère comme insuffisamment rentables, l’offre publique est la seule à accueillir les patients. Je tiens à dire aux personnels de l’AP-HP que nous sommes à leurs côtés et qu’ils pourront compter sur nous pour défendre partout le modèle public, seul garant du droit de tous à accéder, sans distinction de ressources, d’origines ou de pathologies, à des soins de grande qualité.

Enfin, je veux dénoncer ici l’amendement adopté en commission mixte paritaire supprimant la disposition introduite au Sénat à l’unanimité et visant à préciser dans la loi que l’accès aux gynécologues médicaux ne relevait pas du parcours de soins et était d’accès direct. Cet amendement est un mauvais signal envoyé aux femmes de notre pays, et particulièrement aux plus jeunes d’entre elles, qui pourraient ne plus recourir à cette spécialité. Cette décision est d’autant plus importante qu’elle s’inscrit dans un contexte de pénurie grandissante des gynécologues obstétriciens, qui constitue un véritable risque pour la santé des femmes.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous remercie pour votre écoute attentive. En l’état actuel de ce projet de loi, et particulièrement après son passage en commission mixte paritaire, le groupe CRC-SPG votera résolument contre.

Guy Fischer

Ancien sénateur du Rhône

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