"Travailleurs du numérique : laisser faire ou protéger ?"

Résolution pour transposer une directive européenne de protection des travailleurs du numérique

Publié le 20 février 2025 à 09:53 Mise à jour le 21 février 2025

Barbara, auxiliaire de vie, ne travaille plus depuis son accident en 2023. Envoyée par France Travail sur la plateforme Click and care, elle pensait être en intérim, jusqu’au jour où elle se blesse grièvement.

C’est en demandant la reconnaissance de son accident du travail qu’elle découvre qu’elle était autoentrepreneuse. Pourtant, tout indiquait une relation de subordination. Sans droits ni protection, elle est abandonnée.

Ce n’est pas un exemple isolé. D’abord cantonnée aux taxis, la plateformisation s’est infiltrée dans tous les secteurs, du dépannage jusqu’aux services à la personne, en passant par le droit.

Ce modèle gangrène notre économie, détricote le droit du travail, sape notre protection sociale. Ce qui relie ces milliers de travailleurs, ce n’est pas l’indépendance, mais la précarité. Ils ne négocient pas leurs contrats, ils les subissent. Un clic, et ils sont déconnectés. On vante l’autonomie, mais c’est l’intelligence artificielle qui décide de tout !

Ils sont 28 millions en Europe, plus de 600 000 en France. Mais derrière ces chiffres, il y a des visages.

La révolution numérique a bouleversé le monde du travail. Ces plateformes redéfinissent la relation entre travailleur, client et entreprise. Certaines - les plateformes d’intermédiation - se limitent à une mise en relation. D’autres - les plateformes de travail - vont bien plus loin.

Sur le papier, c’est alléchant. Mais dans la réalité, c’est une mise sous tutelle algorithmique. Nous assistons à une mutation profonde du salariat : la relation de subordination ne disparaît pas, mais change de visage et prive les travailleurs de leurs droits fondamentaux.

Nous sommes face à un choix : laisser faire ou protéger ?

Le 24 avril 2024, une directive - à transposer dans les deux ans - a été adoptée pour mieux protéger ces travailleurs, grâce à une présomption de salariat. Le renversement de la charge de la preuve est un progrès majeur. Le contrôle du management algorithmique est accru.

Pourquoi demandons-nous l’application immédiate et ambitieuse de cette directive ? Parce que la France, seule contre tous, avait voté contre ce texte, cherchant à imposer à tout prix une dérogation à la française.

Le gouvernement Attal s’est réfugié derrière l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (Arpe), mais cette instance n’est qu’un cache-misère : elle accorde quelques concessions, tout en maintenant les travailleurs dans la précarité. Comment l’Arpe a-t-elle récemment répondu à la détresse des livreurs Uber ? Par une augmentation de 10 centimes du prix minimum de la course ! Voilà la grande avancée sociale que le Gouvernement ose mettre en avant pour justifier son refus de la directive.

Différents gouvernements ont choisi de défendre les intérêts des plateformes, au détriment de ceux que nous applaudissions pendant la crise covid. Ces travailleurs méritent bien plus que des remerciements, ils méritent des droits. Le choix politique d’Emmanuel Macron est lourd de conséquences, alors que tous les partis de la gauche au centre droit s’accordent sur l’urgence d’accorder ces droits.

Il est temps d’être cohérents, comme l’ont été les députés européens.

Cette proposition de résolution ne fait que refléter les conclusions unanimes de la mission d’information sur l’ubérisation de la société de 2021, présidée par Martine Berthet. (L’orateur brandit un document.) Nous avions ainsi proposé l’extension aux travailleurs des plateformes des garanties dont bénéficient les salariés en matière de sécurité au travail, le droit à un document détaillé sur les logiques de fonctionnement des algorithmes et l’extension des compétences de l’inspection du travail aux plateformes. C’est ce que propose la directive, ni plus ni moins.

Elle protégera les travailleurs des plateformes, mais rétablira aussi une concurrence libre et non faussée, car les entreprises traditionnelles sont lourdement pénalisées. Pensez aux artisans et aux PME qui font face à ces géants qui tordent le droit du travail ! Ces plateformes ont imposé un modèle destructeur, précipitant la disparition de nombreux emplois. Voilà le véritable danger de la plateformisation !

C’est un piège pour les travailleurs, un poison pour les PME, une menace pour notre modèle social et notre pacte fiscal. Le travail dissimulé coûte au moins 6 milliards d’euros par an à la sécurité sociale. Pourtant, le Président de la République a préféré accuser les travailleurs précaires. Or ce sont non pas eux, mais les plateformes qui saignent notre modèle. Pire, l’ubérisation des services à la personne conduit l’État à subventionner indirectement la précarité. Pendant que les multinationales accumulent les profits, notre protection sociale s’effondre.

Dès 2020, un arrêt de la Cour de cassation a reconnu un lien de subordination entre un chauffeur Uber et la plateforme. Depuis, les décisions de justice tombent : Deliveroo, Stuart, Uber. Tous sont condamnés pour travail dissimulé.

Faire respecter le droit, réduire l’insécurité juridique, garantir aux entreprises un cadre stable et équitable : voilà l’objectif.

Je pose la question à tous mes collègues : face à l’urgence, pourquoi attendre ?

Pascal Savoldelli

Sénateur du Val-de-Marne
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Faire respecter le droit, réduire l'insécurité juridique, garantir aux entreprises un cadre stable et équitable : voilà l'objectif.

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