"À force de protéger l’exception, vous êtes en train de normaliser l’injustice"

Taxe Zucman

Publié le 12 juin 2025 à 17:14

Nous vivons dans une France de l’héritage, pas dans celle du mérite. Une France où la richesse se transmet plus qu’elle ne se conquiert. Où le capital paye plus que le travail.

Où l’État se montre bien plus soucieux du bien-être fiscal des ultra-riches que de la précarité réelle de millions de citoyens.

Cette loi déposée par nos collègues du GEST a été votée à l’Assemblée Nationale. Il s’agit d’un impôt plancher de 2 % sur les très grandes fortunes. Ce n’est pas une radicalité, c’est une normalité démocratique. Elle nécessitera par ailleurs une transposition européenne ; là où l’harmonisation ne peut pas être utilisée qu’au service du dumping social. C’est le minimum du minimum, et quand le minimum est perçu comme excessif, ce n’est pas le niveau de prélèvement qu’il faut questionner, mais le régime politique et économique qui rend cette discussion inaudible.

De longue date, les parlementaires communistes ont proposé de rééquilibrer notre système fiscal. Là où la majorité populairequi vit de son travail paye proportionnellement d’avantage queles possédants. Des propositions souvent refusées par des gouvernements d’orientations politiques différentes.
Aujourd’hui encore, le taux d’imposition effectif devient régressif, passant de 46 % pour les 0,1 % les plus riches, à 26 % pour les 0,0002 %.

Nous opérons ici un changement de regard, nécessaire et lucide : passer d’une lecture strictement fiscale à une lecture économique des situations patrimoniales. Car à ces niveaux de richesse, ce n’est plus le revenu déclaré qui traduit la capacité contributive réelle, mais la masse critique de capital accumulé, souvent immobilisé, parfois dissimulé, presque toujours optimisé.

Et là est la grande contradiction de la droite : refuser les outils nouveaux — ceux adaptés à une économie financiarisée, transnationale, spéculative — tout en prétendant défendre l’efficacité de l’action publique. Vous défendez une pseudo- modernité quand elle réduit les droits sociaux, mais vous invoquez la tradition dès qu’il s’agit de fiscalité sur la fortune.

Mais allons au fond. Ce débat ne se résume pas à la question des finances. Il touche à l’éthique républicaine. Il interroge la cohésion de la nation.

L’État, Monsieur le Ministre, est-il encore le garant de l’intérêt général, ou devient-il le protecteur des intérêts particuliers dès lors qu’ils dépassent les 8 zéros ? Est-ce encore à l’État d’anticiper les exils fiscaux ? Ou bien est-ce aux plus fortunés d’assumer enfin de vivre dans un pays où la solidarité n’est pas une option, mais une condition d’appartenance ?

Si exil fiscal il y a, alors inspirons nous des Etats-Unis. Depuis 2010, ils contraignent les banques étrangères à fournir des renseignements sur les comptes de leurs ressortissants pour les dépôts supérieurs à 50 000 dollars.

Car enfin, que disent les faits ? Et les faits sont têtus. Selon l’Observatoire des inégalités, les 500 premières fortunes françaises détiennent 1 228 milliards d’euros d’actifs nets (contre 124 milliards d’euros en 2003 soit une augmentation de 890 % en 20 ans). Les dix premières possèdent à elles seules 400 milliards. Et pourtant, elles contribuent en moyenne à hauteur de 0,2 % de leur fortune. Et dans ce contexte, la droite sénatoriale nous explique que ce filet fiscal serait... confiscatoire ?

La vérité, chers collègues, c’est qu’à force de protéger l’exception, vous êtes en train de normaliser l’injustice.

Nous ne sommes pas dans une querelle idéologique, mais dans une exigence éthique. La République, ce n’est pas le confort des puissants. C’est l’égalité comme condition du commun. Et si la République vacille aujourd’hui, ce n’est pas faute d’idées. Il n’y a pas de République sans justice, pas de nation sans contribution.

L’impôt plancher n’est pas une fin. C’est un signal que la France ne renonce pas à sa promesse ; que l’extrême richesse ne peut plus être une extrême dérobade.
Nous voterons pour. Je vous remercie.

Pascal Savoldelli

Sénateur du Val-de-Marne
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Car à ces niveaux de richesse, ce n’est plus le revenu déclaré qui traduit la capacité contributive réelle, mais la masse critique de capital accumulé, souvent immobilisé, parfois dissimulé, presque toujours optimisé.

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